Trois
arguments de base fondent habituellement la critique de
l’électronucléaire. Le premier est que les
conséquences potentielles d’une catastrophe sont telles
qu’il ne faut tout simplement pas prendre le risque qu’elles
surviennent, le « risque nul » n’existant pas. Le second
que le coût du mégawatheure (MWh) de
l’électronucléaire croît au fur et à mesure
des générations successives de réacteurs, de celui du
démantèlement des centrales et du stockage de ses
déchets, qui ne sont pas établis. Le dernier, moins
rencontré, est que cette industrie est l’archétype
d’un monde oligopolistique opaque et incontrôlé, à
cheval sur le pouvoir politique, industriel et financier.
Fukushima
vient de monter que la sécurité était toujours prise en
défaut là où on ne l’attendait pas, comme
c’est le cas pour le déclenchement des crises
financières, les deux mondes étant fortement apparentés
à de nombreux égards. Il est beaucoup trop tôt pour
mesurer toutes les conséquences radiologiques, sanitaires et
environnementales de la catastrophe, mais il est déjà certain
que son coût financier, pris en charge par l’État
après la nationalisation de Tepco,
l’opérateur, va être considérable.
Les
réacteurs General Electric de la centrale sont d’un
modèle ancien, plaident les partisans de
l’électronucléaire, en oubliant de mentionner que par
dizaines des réacteurs du même type sont encore en exploitation,
notamment aux États-Unis. Mais le coût du fleuron technologique
de dernier cri que représente l’EPR en construction à
Flamanville (France) crève les plafonds et induit un coût du MWh qui est estimé à plus du double de ce
qu’il était escompté en 2005 (plus de 100 euros au lieu
de 46). Si la sécurité est à ce prix – les
premiers enseignements tirés de Fukushima ont déjà
imposé d’apporter des modifications à l’EPR, en
dépit de sa modernité – elle devient inabordable car elle
impose une très importante hausse du prix de l’énergie
aux entreprises comme aux particuliers. L’avantage comparatif du
coût de l’électronucléaire par rapport à
celui des énergies nouvelles disparait ou est très fortement
réduit.
Enfin,
la société nucléaire est faite de tromperies, de
dissimulations et de connivences entre des acteurs qui y trouvent leur
avantage. L’exploration de ce que les Japonais dénomment «
le village nucléaire » dévoile la corruption qui
sévit dans les milieux scientifiques et les médias, parmi les
élus, ainsi que l’investissement des organismes
régulateurs. Il faut la force du rejet enregistré dans
l’opinion publique japonaise pour s’y opposer et imposer,
à deux exceptions près, le maintien de l’arrêt du
parc des centrales et susciter un programme de sortie de l’électronucléaire
dont la réalisation est menacée.
La
dernière ligne de défense de ses défenseurs est connue :
elle contribuerait par son développement à la baisse de la
production du CO2 et à la lutte contre le réchauffement de
l’atmosphère. Mais est-ce vraiment le meilleur moyen d’y
parvenir, si c’est au prix des dangers et des conséquences
précédemment évoquées ? En n’oubliant pas
non plus comment la tentative de diminuer l’émission
industrielle de CO2 en créant un marché du carbone s’est
soldée en Europe par un retentissant échec que la Commission ne
parvient pas à surmonter.
L’industrie
électronucléaire symbolise la pire des dérives ; par ses
caractéristiques, elle représente à de nombreux
égards le modèle précurseur d’un projet plus
global de société. Elle offre la vision d’une
activité s’octroyant un environnement oligarchique garantissant
sa pérennité, comme l’industrie pharmaceutique y est
également parvenue.
Billet
rédigé par François Leclerc
Son livre,
Les CHRONIQUES DE LA GRANDE PERDITION vient de
paraître
Un «
article presslib’ » est libre de
reproduction numérique en tout ou en partie à condition que le
présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
|