Une lecture superficielle du discours économique, cultivée par une certaine pensée radicale qui contamine grandement tous les relais d’opinion, pourrait laisser penser que l’économiste est systématiquement contre les hommes et femmes de l’Etat, prenant ainsi le risque de cultiver les pulsions poujadistes des citoyens et le rejet de la classe politique. Evidemment, une démocratie ne peut pas être dirigée par des militaires (dictature), ni par les syndicats (démocratie populaire). Nous sommes donc d’accord pour dire que nous avons besoins d’hommes et femmes politiques, et donc des partis politiques qui les forment et les font émerger sur la scène politique. Puisqu’il y a une demande, il faut bien une offre politique.
Mais c’est justement parce que nous avons besoin que la démocratie vive et fonctionne, que ce personnel politique doit être compétent, rigoureux et responsable. Il appartient au marché du travail d’organiser la sélection des compétences. Soucieux d’efficacité, bénéfique à tous, l’économiste s’efforce seulement de traquer et de dénoncer l’incompétence, qui, si elle n’est pas détectée pour être corrigée, conduit aux pires dérives et gaspillages, surtout lorsqu’il s’agit des affaires publiques.
Et cette contrainte d’efficacité s’impose à tous en raison même des lois de l’économie. C’est pour cela que nous devons tous rendre des comptes dans notre vie quotidienne, notamment à notre employeur (celui qui nous nourrit en fait).
Un salarié qui ne fournit pas correctement son travail, alors qu’il perçoit régulièrement son salaire, met en difficulté son entreprise et risque à terme un licenciement. Un manager qui conduit son entreprise dans le mur, et mets donc en danger tout son personnel, risque d’être débarqué par ses actionnaires ou faire l’objet d’une OPA qui reprendra le contrôle de l’entreprise mal gérée afin de la redresser. Un trader fou, qui joue avec l’argent de ses clients, lesquels lui ont fait pourtant confiance, ne peut pas rester impuni. Une école supérieure qui délivre un diplôme, qui ne débouche sur aucun débouché, ne peut pas continuer à fonctionner…
Il en est de même pour les hommes politiques qui sont en charge de la gestion du bien public, qui est notre bien collectif aussi précieux que les autres biens et services privés. Il doit donc être bien géré. Normalement, dans un Etat de droit fondé sur des institutions démocratiques, les électeurs sanctionnent, par les urnes, les gouvernements jugés incompétents. Et si les gouvernements ne les écoutent pas, ils voteront avec les pieds. Mais, au nom de l’alternance, il ne mène nulle part de remplacer des incompétents par de nouveaux incompétents…
Pourtant, en France, on assiste impuissant, depuis trente ans, à la dérive des comptes publics, qui entraîne une dette dont le financement écrase à petit feu tout le secteur productif.
Alors l’économiste rigoureux a le devoir d’alerter les autorités et l’opinion. L’impôt, comme la dette, ne sont légitimes que dans certaines proportions. C’est toujours une question d’équilibre. Et c’est précisément ce qui est proclamé dans le texte de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et dans l’Esprit des Lois de Montesquieu.
On en est aujourd’hui bien loin. Ainsi, le nouveau directeur de Sciences-Po Paris vient de découvrir que certains professeurs titulaires n’assumaient pas leur service horaire de cours mais touchaient malgré tout l’intégralité de leur traitement. Mais la cour des comptes enfonce le clou : « des primes en hausse de 60%, des rémunérations attribuées sans contrôle, des emprunts dangereux et un Etat qui ferme les yeux » publie Le Mondedans son édition du 9 octobre 2012.
Moi qui croyais que ce genre de plaisanteries était réservé aux universités provinciales…
Foncièrement optimiste, un économiste est évidemment un être naïf. Pourtant, je suis sûr qu’à Science-Po, il doit y avoir d’excellents économistes… Rassurez-moi ! |