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La Presse
publiait récemment un dossier sur la question des accommodements raisonnables
visant à démontrer qu'un an et demi après la publication du rapport
Bouchard-Taylor, la question n'est toujours pas résolue. Un sondage indique
que 72% des Québécois considèrent que le rapport n'a rien clarifié.
Selon le même sondage,
une forte majorité s'oppose à la plupart des accommodements qui sont proposés
et 68% estiment qu'il y a trop d'accommodements, même s'ils admettent n'être
que rarement ou même jamais exposés dans la vraie vie à une telle situation.
Pas étonnant que
la confusion règne, puisqu'on leur demande en fait de donner leur opinion sur
une situation qu'ils préfèrent de manière abstraite, même si ça ne les
concerne pas. Comme c'est le cas de la presque totalité de nos grands
« débats de société », on a nationalisé une problématique qui
relève en grande partie de la sphère privée.
Prenons les exemples
d'accommodements soulevés dans les questions de ce sondage.
Une femme
peut-elle exiger de recevoir des leçons de conduite d'un instructeur
automobile féminin? Les sondés répondent non à 81%. Mais en quoi s'agit-il
d'un enjeu « public »? Une école de conduite est une entreprise
privée et devrait pouvoir instaurer ses propres règles. Si elle veut répondre
ou non à cette exigence, et perdre ou gagner des clients en conséquence,
c'est son affaire.
Devrait-on installer
des locaux de prière à l'école ou sur les lieux de travail? Non à 76%. Mais
qu'est-ce que ça peut bien faire à Ti-Coune Tremblay de St-Ephrem si une
entreprise de Montréal aménage ou non un tel local pour ses employés? Si nous
avions des écoles entièrement privées, le problème serait réglé de la même
façon. Certaines écoles pourraient décider de le permettre, d'autres non,
selon leur type de clientèle, leurs projets pédagogiques et d'autres facteurs
propres à chacune.
Devrait-on pouvoir
choisir d'être traité par un médecin du même sexe? Non à 59%. La dynamique
est la même que celle pour l'éducation, le gouvernement ayant nationalisé nos
corps quand il a nationalisé la santé. Des cliniques et hôpitaux privés
devraient pouvoir gérer ce problème à l'interne, sans avoir à en faire chaque
fois un débat « national ». Mais comme la santé est devenue un
« droit » plutôt qu'un service qu'on s'achète, le gouvernement se
permet de s'ingérer dans tous les aspects de l'obtention de ce droit.
Doit-on laisser les
garderies offrir un menu différent ou accorder des congés pour des fêtes autres
que chrétiennes? Non à 57%. Voilà un débat complètement absurde s'il en est.
Pourquoi doit-on décider collectivement ce qu'une garderie de la rue
St-Urbain à Montréal sert ce midi à ses poupons? Il revient aux garderies de
régler ce genre de problème avec leur clientèle. Ah mais j'oubliais!
– les garderies appartiennent maintenant presque toutes à l'État, y
compris les garderies prétendument privées mais qui sont forcées d'exiger les
mêmes tarifs et de suivre les mêmes consignes que les autres.
Trois Québécois sur
quatre s'opposent systématiquement au port de signes religieux, que ce soit à
l'école (à 76%), au travail (à 74%) ou dans les hôpitaux (à 70%). Chacun de
ces lieux de travail est pourtant soit un endroit privé où la question
devrait être réglée à l'interne, soit un endroit public qui devrait être
privé – ou au minimum obtenir une certaine autonomie pour régler ce
genre de problème tout en restant public.
Doit-on accommoder les
jeunes demoiselles prudes dans les piscines publiques? Non à 90%. Même en
présumant que ce service reste sous le contrôle d'une municipalité, c'est
justement le type de problème qui devrait être réglée localement. Évidemment,
dans une ville comme Montréal, les jacobins voudront une seule règle pour toute
l'île. C'est là qu'on voit à quel point le morcellement municipal (le
contraire des fusions forcées qui ont eu lieu ces dernières années)
permettrait non seulement de réduire la bureaucratie et de donner plus de
contrôle aux citoyens, mais aussi de désamorcer ces conflits potentiels. Vous
n'aimez pas la règle adoptée dans votre quartier? Vous allez dans un autre et
ça finit là.
En
bref, certaines de ces fausses questions ne concernent que deux parties à un
arrangement privé et pas la population en général. D'autres deviennent
d'intérêt public parce que le conflit potentiel prend place dans des secteurs
nationalisés par l'État, alors que le problème se réglerait si on les
privatisait. En nationalisant un secteur de l'économie et en érigeant la
production de services en « droit », on a transporté sur la place
publique tous les problèmes qui se règleraient à l'amiable entre un client et
un commerçant dans une situation de concurrence, où l'on peut toujours aller
ailleurs si on n'est pas satisfait à un endroit donné.
Dans la mesure où l'on
garde un État avec certaines fonctions, il resterait bien sûr un espace
public – que faire avec les fonctionnaires qui travaillent pour le
ministère de la Justice à Québec par exemple? – pour un petit nombre d'employés.
Il s'agirait de la seule décision politique à prendre nécessitant un débat
public, qui aurait une ampleur beaucoup plus limitée que le débat actuel.
Il est clair qu'une
forte majorité des Québécois ne veulent pas faire de compromis sur certaines
questions pour s'adapter à leurs concitoyens, surtout des immigrants, qui
souhaiteraient qu'on les accommode. Ce qui est tout à fait légitime. Nous
avons tous nos limites et nous estimons à juste titre que ce sont les
nouveaux arrivants qui doivent d'abord s'adapter à nous, et non le contraire.
Personnellement, je ne suis prêt à faire aucun compromis dans ma vie pour
accommoder une femme portant une burqa et je n'ai même pas envie de
simplement voir des personnes costumées de la sorte dans mon environnement.
La question est plutôt
de savoir si la volonté des uns doit être imposée à tous, et la réponse
est – dans une société libre – évidemment non. Pour prendre un
exemple caricatural, même si 99% des Québécois pensent qu'on ne devrait pas
laisser des musulmans exiger le retrait de tous les crucifix sur les murs
avant d'entrer dans une maison, si moi je veux me plier à cette demande en
recevant des visiteurs musulmans chez moi, c'est mon affaire. Et ce qui se
passe chez moi ne regarde absolument pas les 99% de mes concitoyens qui ne
sont pas d'accord.
La même règle
s'applique à tous les endroits privés. On se souviendra que dans la fameuse histoire des cabanes à sucre servant de la soupe
aux pois sans jambon et permettant à leurs clients musulmans de prier sur la
piste de danse, qui avait lancé toute une controverse il y a deux ans, il n'y
avait eu en fait aucun conflit. Les propriétaires des établissements avaient
volontiers accepté de répondre aux demandes spéciales de leurs clients. Tous
les xénophobes professionnels de la province en avaient malgré tout fait tout
un plat.
Plus fondamentalement,
on en revient au débat de fond sur l'immigration. Pourquoi laisse-t-on entrer
sur ce territoire, avec tous les « privilèges » dont peuvent se
prévaloir les citoyens (en particulier des services publics gratuits), des
étrangers dont les valeurs et les coutumes sont si différentes de celles de
la majorité? Les libertariens sont évidemment en faveur de la liberté de
circuler et ne proposent pas l'adoption d'une politique d'immigration plus
restrictive. Sauf que dans une société libertarienne, où l'État ne
contrôlerait plus l'entrée et les sorties sur un territoire national, il y
aurait d'autres formes de contrôle reflétant non pas des critères politiques
et bureaucratiques, mais la volonté de la population s'exprimant dans un
marché libre.
L'une de ces formes de
contrôle serait le droit de décider quoi faire avec sa personne et sa
propriété et donc de pratiquer une discrimination envers certaines personnes.
Ce droit fondamental – qu'on nous a enlevé dans de nombreuses
situations – enverrait un message clair à ceux qui ne sont pas les
bienvenus ici. On ne devrait pas pouvoir expulser une femme portant une
burqa, ni la forcer à l'enlever. Sauf que si personne ne souhaite transiger avec
elle – ni lui acheter ou lui vendre quelque chose, ni la soigner, ni
éduquer ses enfants (la santé et l'éducation sont devenus des services
privés), ni lui louer un appartement, ni l'embaucher – eh bien, cette
femme aura le choix de s'habiller comme une personne civilisée ou bien de
retourner vivre dans sa société d'origine.
On verra également si
un simple hijab – qui, personnellement, ne me cause pas plus de problème
qu'un chapeau dans la majorité des situations – provoque les mêmes
réactions et comment les gens et les institutions s'y adaptent ou non. Ceux
qui le veulent le feront, les autres ne seront pas forcés de le faire. Les
femmes portant des hijabs décideront alors si elles peuvent vivre d'une façon
qui leur convient compte tenu des restrictions auxquelles elles doivent se
conformer dans leurs rapports avec les autres membres de la société.
Cela obligerait tout
les personnes concernées (et il n'y en a pas tant que ça) à s'adapter et à
évaluer chaque situation au lieu de s'en remettre à des règles édictées par
l'État. Mais la liberté, c'est justement de laisser chacun faire ses propres
choix dans le respect des droits fondamentaux des autres, même si le portrait
collectif que ça donne est plus embrouillé, au lieu d'imposer à tous les
règles de la majorité – ou de la minorité qui crie le plus fort. Comme
ce n'est pas demain la veille que ces principes libertariens seront
appliqués, on peut prévoir que bien d'autres reportages nous annonceront que
la question des accommodements raisonnables n'est toujours pas réglée au
cours des années à venir...
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