La maison
d’édition Les Belles Lettres inaugurent
« Les insoumis », une nouvelle collection de petits
livres à 9,5 euros, dirigée par Patrick Smets.
Le premier titre de cette collection, Le
silence de la loi, est un brulot absolument remarquable, tant par son
style que par son contenu. Cédric Parren y
décrit une civilisation sous tutelle, étouffée par un
maquis de lois et de règlements devenus impossibles à
déchiffrer.
Son constat
est en effet accablant : la législation française aligne
plus de onze millions de mots, en augmentation de sept pour cent par an. Le
Journal officiel s'étale sur plus de vingt-trois mille pages
annuelles. Les Français vivent sous 1'empire de près de onze
mille lois – dont certaines dépassent les deux cents pages
– et de cent trente mille décrets. Le code du travail comptait
quatorze pages en 1911, contre deux mille cinq cents en 2013. Le code
général des impôts a crû de cent quarante-sept pour
cent au cours de la dernière décennie, et le code de
l'urbanisme de deux cent six pour cent.
Une cascade d’effets pervers
Une telle
inflation législative ne peut que se payer d’une
considérable baisse de qualité : incohérences,
contradictions et ambiguïtés. Les effets pervers sont
corrigés par d’autres lois qui engendrent d’autres effets
pervers, entraînant ainsi une insécurité juridique
constante. C’est le cas notamment pour les entrepreneurs. Il est devenu
pour eux presque impossible d'établir des prévisions de
coût, des stratégies d'embauche ou des plans d'investissement.
L'instabilité
des normes incite en outre les individus à ne plus se fier aux
conventions existantes ni à respecter les accords passés. Quand
le législateur modifie les règles à son gré et
annule des accords et des conventions jusqu'alors volontairement
acceptés, c’est la défiance qui devient la norme.
La raison de
cette usine à gaz législative et de
l’insécurité qui en résulte est bien
analysée par Cédric Parren : les
parlementaires tentent de satisfaire chaque groupe de pression. Ceci engendre
de multiples compromis politiques dont les réglementations sont le
reflet. Et l’auteur de paraphraser Frédéric
Bastiat : « le parlement est devenu la grande fiction à travers laquelle chacun
s'efforce d'être libre aux dépens des autres ».
La domination de 1'exécutif sur
le législatif
Autre sujet
d’inquiétude : le gouvernement dépose plus de
projets de loi que ne le font les deux assemblées réunies.
D'autre part, le nombre annuel d'ordonnances dépasse celui des lois.
L'article 38 de la Constitution permet en effet au gouvernement « de
prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures
qui sont normalement du domaine de la loi ». L’ordonnance est donc
un moyen pour le gouvernement de légiférer sans passer par le
Parlement. L’auteur en conclut que « 1'exécutif est
par conséquent le législateur effectif en France »,
menaçant au passage l’idéal de séparation des
pouvoirs.
L’auteur
évoque également la domination du Parlement européen sur
le Parlement français. Désormais les initiatives
législatives de la Commission européenne priment sur les normes
locales. L’auteur note ainsi que « la moitié de la
législation nationale se trouve sous influence européenne et
que soixante-dix pour cent des textes adoptés en France sont une copie
plus ou moins servile de la logorrhée bruxelloise ».
L’aveuglement de la justice
De leur
côté, les juges sont confrontés à une
déferlante de nouvelles dispositions et se retrouvent ensevelis sous
les dossiers à cause de 1'extension incessante de leurs
compétences. Le flou des dispositions renforce l'arbitraire et le
pouvoir de juges, si bien que l'issue d'un procès n'est plus
prévisible, même avec le meilleur des dossiers.
Les magistrats
rendent leurs décisions à la chaîne, ce qui a pour effet
de les entacher de vices et d'erreurs. « Balancés entre
1'obscurité de la loi et son instabilité, ils ne
réussissent plus à en déterminer avec précision
la portée ni le champ d'application. Désormais, la justice n'a
plus les yeux bandés : elle est aveugle », conclut
l’auteur.
Une nouvelle religion
Dans la
seconde partie de son livre, l’auteur se fait philosophe. Selon lui, la
puissance symbolique de la loi est la vraie clé du phénomène
d'inflation normative. « La loi n'est, en effet, que la
continuation de la religion par d'autres moyens. » Les politiciens
remplacent les prêtres et deviennent de véritables sorciers.
« Le cérémonial presque surnaturel de 1'élection puis de l'installation des représentants
les investit et les afflige simultanément d'un
pouvoir thaumaturgique. »
Ce
thème des liens inconscients entre le pouvoir moderne et les religions
ancestrales, a été traité, rappelle l’auteur, par Bertrand
de Jouvenel dans un livre un peu oublié : Du Pouvoir. Histoire naturelle de sa croissance, Hachette, Paris,
1972.
Dans les
dernières pages, Cédric Parren
esquisse une autre philosophie de la loi, l’idée que
l’État ne crée pas le droit mais le découvre. Il
rappelle qu’un ordre cohérent peut émerger spontanément entre
les hommes, doté d'une efficacité et d'une souplesse inaccessibles à
une structure centralisée. « Les normes,
écrit-il, ne sont
pas le produit d'une
volonté unique ; elles
naissent des interactions entre des individualités différentes, ce qui rend
vaine, si ce n'est
dangereuse, toute tentative de décréter un droit idéal ex cathedra. »
Pour
approfondir ce thème, on pourra se reporter à La
loi de Frédéric Bastiat, ou bien à l’ouvrage
du philosophe du droit italien Bruno Leoni, La liberté et le droit, préfacé par Carlo Lottieri et publié aux Belles Lettres en 2006.
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