« Il faut faire des économies. » Tiens, le Chef de l’État semble émerger d’une longue léthargie dans laquelle un abus de vins fins, de douceurs sucrées et de femmes pulpeuses l’avaient probablement conduit. Le Moyennement Beau Au Bois Dormant vient de se réveiller pour constater que le Royaume, pendant son sommeil, a continué sa trajectoire cacahuète et qu’il va lui falloir, dans le peu de temps qu’il lui reste, tenter des trucs et des machins pour … pour quoi, au juste ?
Mais ne nous emballons pas. Avant de répondre à cette question, plantons le décor. Nous sommes fin septembre 2014, et François Hollande est, dans la croyance populaire, toujours en charge de la destinée du pays. S’attelant aussi bien que possible à une tâche qui lui pèse de plus en plus, il affronte donc courageusement réunions petits-fours sur réunions discours, et supporte son sacerdoce dans les palais dorés de la République avec ce stoïcisme que seul permet l’entraînement reçu dans les unités de combat de l’ENA. Déjà on voit perler la sueur sur ses muscles turgescents bandés dans cet effort herculéen d’inversion de courbes dangereuses, et c’est donc avec son corps noueux, asséché par l’effort intense et répété, qu’il s’est exprimé lors de la remise du Prix de l’Audace Créative et du Dressement Reproductif devant un plateau de patrons amenés là pour l’occasion. Et, entre deux ahanements lourds qui ponctuent sa diction, il a ainsi déclaré :
« Il faut faire des économies. C’est ce que nous allons faire en 2015 et cela a forcément des conséquences [...] Si vous n’entendez pas crier, c’est que nous ne faisons pas d’économies. »
Et ainsi donc, la voie est tracé. Promis, juré, craché, en 2015 (c’est-à-dire « demain »), on va faire des économie (c’est-à-dire « on rase gratis »). Il était temps.
D’abord parce que, c’est officiel, c’est connu, c’est su, mais c’est toujours bon de le répéter : selon l’INSEE et depuis le 30 septembre, la France dépasse joyeusement les 2000 milliards de dette. Ce qui n’a pas l’air d’inquiéter le Chef de l’Exécutif :
« Pendant les cinq années qui ont précédé mon entrée en responsabilité, la dette publique a augmenté de 600 milliards, nous sommes à 2.000 milliards. Donc notre rôle doit être de maitriser les déficits pour éviter que nous puissions encore augmenter le niveau absolu de la dette même si elle se finance à des taux d’intérêts très bas. »
Maîtriser les déficits, ça, Pépère, il sait faire. D’ailleurs, depuis son « entrée en responsabilité », il a montré un talent fabuleux à toujours rôder loin des 3% de déficit maximal, dans une décontraction que d’aucun pourrait qualifier de désinvolte. Mais à la question « Est-ce grave docteur ? », la presse a déjà une réponse, agréable, aussi connue que léninifiante, et qu’on peut résumer en une interjection : non.
D’après des zéconomistes avertis, d’après les journalistes et d’après nos gouvernants, « Même si le chiffre est impressionnant, la France a peu de chance de faire défaut. » Personne n’y croit, tout le monde est même certain que la France et l’Allemagne sont des valeurs refuge et c’est d’ailleurs pour cela qu’on n’a jamais emprunté à des taux si bas, voyons. Bref, tout baigne, et si jamais les taux devaient remonter, si jamais, par un malheur fort improbable, la France devait éprouver des difficultés à emprunter sur les (méchants, forcément méchants) marchés, il lui restera toujours la possibilité, parfaitement probable, elle, d’aller effectuer une saine ponction dans les gros bas de laine dodus de sa population. Et c’est justement cette assurance que l’épargne des Français suffira largement à remplir les besoins des administrations toujours plus gloutonnes qui garantit ces taux d’amis.
Et puis ensuite, il ne faut pas oublier que Rambollande avait tout misé sur deux éléments cruciaux : un changement de cycle économique, parce que l’économie voyage sur un vélo, c’est bien connu, et surtout, le retour de l’inflation, sans laquelle le keynésianisme est nettement moins rigolo.
Bon, côté cycle, les vigoureux coups de pompes monétaires n’ont absolument pas suffi à regonfler les roues de l’attelage économique et le pays semble coincé dans une ornière. Et pour ce qui est de l’inflation, stupeur et fourchette en plastique, elle refuse de revenir, à tel point qu’elle est même tombée en Europe à son plus bas niveau en cinq ans, 0.3%, ce qui fait craindre la crevaison pneumatique suivie d’une déflation économique. Et bien que nombre d’économistes un peu sérieux (mais subtilement cachés des masses citoyennes bêlantes, et inconnus des dirigeants âpres au combat comme François) ont largement expliqué qu’il n’y avait en réalité pas de raison d’en avoir peur, l’ensemble des classes jacassantes (depuis les politiciens jusqu’aux journalistes) a pris parti contre elle et attend ardemment que Mario, de la Banque Centrale Européenne, appuie prestement sur CTRL+P au rythme d’une ou deux centaines de milliards d’euros, au bas mot, ce qui donnerait, on en est sûr, une nouvelle vigueur à la monnaie européenne. Après tout, plus on en imprime, et plus elle monte, non ? Ah, tiens, non.
En vertu de quoi, il faudra donc, comme l’a expliqué le Chef des Armées, le coprince d’Andorre, le premier et unique chanoine d’honneur de l’archibasilique Saint-Jean de Latran à Rome, faire des économies. Et le président l’a expliqué sans détour : il y aura du sang et des larmes, ou disons plutôt, des petits cris parce que les économies, ça fait toujours un peu crier. Normal, quoi.
« Il n’y a pas de plan d’économie qui soit indolore. Sinon, ça aurait déjà été fait [...] Les économies forcément sont douloureuses, il n’y a aucun secteur qui peut accepter de voir un certain nombre de ses habitudes, parfois de ses financements, être remis en cause. »
Et le bougre a tant raison que, jusqu’à présent, les économies envisagées (et pas encore mises en musique, oh là, doucement camarade) ont essentiellement porté sur des secteurs pour lesquels il sait qu’il n’y aura en réalité qu’assez peu de ces cris qui pourraient lui vriller les oreilles. Les professions réglementées en sont un bel exemple : certes, ça couine face à un projet (un projet, seulement, rien n’est voté, rien n’est décidé, tout est négociable, ♪ tout est amendable, ♩ tout peut s’amender ♫) pour lequel, du reste, on peine justement à voir de quelle économie il est question, mais de toute façon, peut importe : ce n’est pas comme si ces professions pouvaient vraiment paralyser le pays, si les rouspéteurs avaient vraiment les moyens de faire durer le plaisir. Et puis, s’ils crient un peu plus, on peut toujours lâcher du lest, d’autant plus qu’on n’a rien décidé de ferme (d’où le mot « projet ») et que tout ça avait été lancé par l’autre Frétillant et que, tombé en disgrâce, il ne pourra rien dire si on laisse tout tomber.
Il faut l’admettre : si, dans l’espace, personne ne vous entend crier (moyennant quoi, on termine en petite culotte dans une navette de secours), en France, en revanche, tout le monde écoute les moindres gémissements et s’empresse de bien vite revenir au statu quo dès que possible, et ce ne sont certainement pas les pilotes d’Air France qui diront le contraire. Et les cris sont d’ailleurs d’autant plus audibles qu’ils viendront de la fonction publique, des politiciens, ou, mieux encore, de la presse…
La réalité est sans équivoque et tout se déroule comme prévu : Hollande a très manifestement choisi la procrastination, l’enfumage, les mesurettes et le petit bricolage histoire de tenir deux ans. Mais aucune mesure d’importance ne se profile, et les mesures d’économie pèsent exclusivement sur cette partie de la France qui pliera mais ne rompra pas, à savoir les classes moyennes, ceux qui payent sans rien dire, ceux qui endurent en croyant (de moins en moins) n’être qu’une partie de ceux qui font des efforts alors qu’ils en sont la totalité. Pendant ce temps, la fonction publique pleurniche sur d’éventuels réservoirs d’essence vides, quelques agrafeuses manquantes, des portables peu renouvelés, mais sa masse salariale augmente, ses avantages ne sont toujours pas rabotés. Les régimes spéciaux se portent bien. Les indemnités et les primes continuent de tomber. Thévenoud est toujours député.
La (re)distribution continue, François tient trop à son poste pour envisager autre chose. Ne vous inquiétez pas. Ce pays est foutu.
J'accepte les Bitcoins !
1KLmEWFS6rjk573zbSKg7v5CUrvRMfYLFc
Vous aussi, foutez Draghi et Yellen dehors, terrorisez l’État et les banques centrales en utilisant Bitcoin, en le promouvant et pourquoi pas, en faisant un don avec !