Bien que GDF-Suez ait récemment troqué son nom à rallonge pour celui d’une maladie de gorge d’Engie, le mastodonte français de l’énergie a bien du mal à modifier ses réflexes de vieux monopole parfaitement obtus à toute remise en question, dont la dernière manifestation laisse plus que perplexe.
Tout se passe à Plessis-Pâté, petite commune de 4000 habitants située au nord de Paris, dans l’Essonne. En 1992 (il y a donc plus de vingt ans), le maire d’alors signe un contrat avec le monopole du moment, GDF, pour une fourniture de gaz à l’école communale, dans lequel il s’engage à consommer 334 500 kWh par an.
Les années passent, les normes aussi, et l’envie d’isoler l’école en question gagne naturellement le maire actuel, Sylvain Tanguy. Bonne idée écologique et surtout économique, puisqu’en lieu et place des 300.000 kWh prévus, l’école une fois isolée n’a consommé que 89.856 kWh (trois fois moins). La surprise est donc grande lorsque le maire découvre que l’opérateur gazier facture à la ville 5.985 € de gaz, dont 4.824 € de pénalité, pour n’avoir pas consommé autant que prévu en 2014. Une facture d’un peu plus de 1.000€ transformée en une facture de près de 6.000€ grâce à une pénalité, voilà qui revigorerait les comptes de n’importe quel Enron.
Devant l’absurdité de la demande, le maire a cherché à contacter son fournisseur, normalement puis via le médiateur de l’entreprise, en vain. Le maire avait pourtant non seulement prévenu Engie, ex GDF-Suez, des travaux qui allaient avoir lieu sur l’installation scolaire, sans recevoir la moindre remarque de leur part. En outre, lorsqu’il a cherché dans les archives municipales les traces du fameux contrat, ses recherches n’ayant rien donné, il s’est retourné à nouveau vers Engie pour lui demander la copie qu’ils conservaient par devers eux. Malheureusement, comme le maire l’explique :
« Ce contrat, on ne l’a jamais retrouvé dans nos archives. Nous avons demandé à GDF Suez une copie, mais ils ne nous l’ont pas fournie. »
Voilà qui est particulièrement cocasse (et, pour le contribuable, coûteux).
Devant une telle absurdité, on ne peut s’empêcher de poser quelques questions, à commencer par se demander où est passée la nécessaire révision régulière de contrat. Il semble donc que ce soit un contrat signé il y a plus de vingt ans qui pilote cette facturation, et que personne n’ait trouvé nécessaire d’en revoir les termes pendant toute cette période.
À ceci s’ajoute l’autre question, évidente : où est passé le contrat ? Si personne n’en a plus trace, il va devenir délicat pour le fournisseur de prouver qu’il a bien existé en premier lieu et, à plus forte raison, de se baser dessus pour établir une pénalité.
Pénalités qui ont tout de l’arbitraire, ici, et pourront facilement se voir rejetées en justice ; et si elles ne sont pas arbitraires (et donc, contractualisées dans un document lisible par les deux parties), on doit se demander qui a autorisé la signature d’une telle aberration. De loin, un maire qui signe un contrat qui l’engage de façon aussi hallucinante (un gros x5 de pénalité sur une facture, tout de même), sans en prendre la mesure, cela ressemblerait presque à certaines habitudes en matières de prêts bancaires que d’aucuns qualifiaient de toxiques il n’y a encore pas si longtemps…
Quoi qu’il en soit, une impression désagréable surnage de cette histoire dont on espère que la publicité permette une renégociation du contrat dans des termes plus favorables à la mairie, et par ricochet, au contribuable local. Difficile de se séparer de cette idée qu’en France, une fois encore, faire des efforts assez organisés pour réduire ses factures, notamment d’énergie, est particulièrement mal accueilli, et ce d’autant plus qu’on est une collectivité, qu’il s’agit avant tout d’argent des autres, et que le tout a été contractualisé il y a suffisamment de temps pour que ce soit rentré dans les bonnes habitudes, c’est-à-dire le robinet public ouvert en grand.
Et cette impression d’une habitude de dépenses sans freins, enkystée comme indispensable voire normale, n’est en rien amoindrie par les récentes déclarations du président de l’Association des Maires de France (AMF), François Baroin, qui a récemment pleurniché auprès du premier ministre et sur les micros de RTL.
« On a une mise en coupe réglée par l’État sans précédent en réalité depuis 40 ou 50 ans. Certes, la situation est difficile, naturellement il faut réduire la dette publique, évidemment chacun doit apporter sa contribution à la réduction des déficits publics mais dans des proportions qui soient acceptables et tenables. Là, elles ne le sont pas. »
Pour le pauvret et d’après les calculs diaboliquement précis et commodes de son association lucrative sans but, il faut prévoir « 25 à 30% d’investissement public en moins d’ici à 2017. C’est 0,6% de croissance, 60.000 à 80.000 emplois dans les bâtiments et travaux publics. », ce qui occulte très habilement que c’est aussi toute un ponction correspondante que le contribuable n’aura pas à supporter, ou une dette supplémentaire à court, moyen, et long terme qu’on ne crée pas sur le dos des générations futures.
Mais voilà, Baroin, il s’en contrefiche, du contribuable, et il n’a rien à cirer des générations futures. Comme Engie qui invente des pénalités pour s’éviter des pertes sur un vieux contrat, il veut son pognon pour ne pas avoir à remettre en question son mode de pensée et de dépenses.
L’ancien ministre qui avait surtout brillé par son absence de talent, de saveur, de couleur et d’odeur, se permet donc de pleurer sur la baisse prévue de dotation de l’État aux collectivités locales, qui devrait s’établir à 3,67 milliards par an jusqu’en 2017, en oubliant que ces 11 milliards d’euros resteront donc dans la poche du contribuable qui pourra, peut-être enfin, commencer à mettre de l’argent de côté pour ses vieux jours, rembourses ses prêts, acheter des biens de consommation dont il a besoin plutôt que financer des sens giratoires luxuriants, des médiathèques baroques et des complexes sportifs à la con dans lesquels il ne met jamais les pieds.
D’autant que, et c’est le plus comique de cette histoire, la Cour des Comptes a, quant à elle, expliqué dans son rapport annuel sur le budget de l’État que ces fameuses collectivités territoriales n’ont justement pas encore été frappées par l’austérité et indique qu’en moyenne, la baisse des dotations a été plus que compensée par d’autres mesures, notamment des transferts de fiscalité.
En réalité, la mésaventure du maire de Plessis-Pâté n’est pas fortuite. En fait, il a clairement contrevenu à un pacte tacite, mal connu mais évident lorsqu’on voit les déclarations lacrymales de Baroin : une collectivité, en France, devra dépenser toujours plus, devra toujours se débrouiller pour fournir le plus de laine aux myriades d’acteurs qui tournent autour, cette laine étant prélevée sur les tendres moutontribuables locaux.
Dès lors, pour ces collectivités françaises, faire des efforts sera puni.
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