Il y a six mois, le Sénat, du geste auguste qui rendent les gamelles toujours plus magistrales, se penchait sur la question de l’économie collaborative et dans la loi sur le numérique voulue par Axelle Lemaire, obligeait les particuliers à déclarer tout revenu gagné avec outrecuidance grâce aux plateformes de partage numérique. Devant telle avancée magistrale de la loi, l’Assemblée nationale ne pouvait pas rester de marbre.
Ce mois d’octobre, elle répare donc son incroyable retard législatif en rajoutant une petite couche bien épaisse de contraintes à un pays connu de par le monde pour sa liberté et son laisse-faire galopissime : pour les (salauds de) propriétaires de biens divers et variés qui osent récupérer un peu d’argent en les louant, il va falloir maintenant déclarer l’intégralité des sommes au fisc, se préparer mentalement à payer un impôt dessus, et s’affilier dans la foulée au RSI, ce système d’assurance collectiviste que le monde nous envierait mais ne nous copie surtout pas.
Certes, le résumé est lapidaire, mais si, si, vous avez bien lu : les revenus issus de plateformes comme AirBnb, Drivy, Zilok ou autres vont devoir être sévèrement encadrés et taxés.
Ouf, il était temps. Sans ça, la France risquait de développer une économie vivace et des solutions réalistes pour aider les individus à regagner du pouvoir d’achat. Et qui dit pouvoir d’achat obtenu de façon indépendante de l’État dit affranchissement de sa férule, baisse de l’intérêt d’y mettre des ronds, compromission du consentement à l’impôt et remise en question du collectivisme tous azimuts patiemment mis en place depuis 40 ans dans ce pays. On commence comme ça et on finit en plein turbolibéralisme apatride. Insupportable.
Et quoi de mieux, pour assurer le consentement à l’impôt, qu’en ajouter quelques uns ?
C’est donc ce à quoi se sont employés nos députés pour qu’enfin les possesseurs de matériels louables, de voitures, de biens immobiliers et autres perceuses électriques soient correctement punis taxés sur leur propriété, marque difficilement contestable d’un embourgeoisement assez nauséabond. Dorénavant, pour une location d’appartement, un particulier devra déclarer l’intégralité des revenus obtenus, sera imposé dessus, et – youpi – devra s’affilier au Régime social des indépendants (RSI) et lui payer le pizzo pardon les cotisations afférentes dès lors que ce revenu dépassera les 23.000 euros. Pour les autres biens (tondeuses, perceuses, bateaux, voitures, RPG7…), le gouvernement a établi le seuil à 7720 euros (après l’avoir choisi à 3860 euros seulement mais s’être fait rabrouer par ces trop aimables députés qui l’ont trouvé trop faible – ils sont trop choux).
Officiellement, le but du gouvernement est, avec ces seuils et cette méthode, de lutter contre les abus et la concurrence déloyale ; autrement dit, les députés et le gouvernement ont sagement écouté les lobbies de ces professions de loueurs qui sentent bien la menace internet arriver avec ses gros sabots, mais qui ont déjà beaucoup trop de frais (RSI, peut-être ?) pour se lancer dans une refonte de leur modèle d’affaire et qui ont donc choisi la voie législative pour tirer de l’argent à leurs clients, plutôt que celle de l’adaptation et de l’innovation pour survivre.
Officieusement, le procédé permettra aussi de trouver un motif de harceler à nouveau le contribuable ou toute personne qui se rapprochera de trop près de sa définition. N’oublions pas que l’Etat manque toujours d’argent, et à plus forte raison en période électorale où il distribue des paquets de Noël à qui réclame (et puis, à 250 millions d’euros le petit cadeau, il vaut mieux être créatif sur le plan fiscal).
Péripétie amusante lors du passage de cet article de loi, il avait été débouté lors d’un premier vote auquel 32 courageux députés avaient participé (18 voix contre 14). Devant un tel résultat, Christian Eckert, le factotum en charge de pousser ce nouveau tabassage fiscal, avait immédiatement jugé la démocratie défaillante et décidé qu’il était nécessaire de faire revoter – façon Constitution Européenne, si vous voyez ce que je veux dire – histoire d’être bien sûr que le « non » était bien un « non ». Joie, bonheur et culture du viol des contribuables : lors du second vote, le non n’était qu’un oui un peu déguisé et l’article glissa donc comme s’il était enduit de cette vaseline qu’on recommande maintenant aux ménages Français.
On imagine déjà tout le bonheur que nos compatriotes vont ressentir lorsqu’après avoir trouvé un moyen de mettre un peu de beurre (de Normandie A.O.C) dans les épinards (bio non OGM), le fisc passera par là et le leur laissera après avoir pris les épinards. De la même façon, on n’aura aucun mal à se représenter la joie qu’éprouvera l’honnête père de famille qui, une fois son mois terminé, se tapera les déclarations au RSI sur les petits revenus complémentaires qu’il se sera fait. Non seulement, cela permettra de faire découvrir ce merveilleux régime et sa paperasse enrichissante à toute une frange de salariés, jusqu’ici protégés de ce genre de démarches rigolotes, mais cela permettra aussi d’enfin donner une vraie bonne couverture à des gens qui en avaient déjà une puisque, quasiment par définition, les revenus de ce genre de plateformes sont des revenus d’appoint.
Oh, bien sûr, il y aura bien l’un ou l’autre cas d’un quasi-professionnel, dont les revenus ne dépendaient plus guère que de cette économie collaborative et qui, en l’occurrence, devaient bien se sentir en délicatesses avec les administrations pléthoriques de notre beau pays. Ceux-là auront maintenant à payer leur écot. Mais je parie sur un nombre fort modeste.
En revanche, tous ceux qui n’en tiraient qu’un petit revenu d’appoint seront durablement dégoûtés des démarches et de la ponction, de l’état d’esprit dans lequel on replonge le pays une fois encore, comme si on tentait le waterboarding avec Marianne par le truchement de piscines de Cerfas et de ponctions fiscales. Ceux-là, beaucoup plus nombreux, n’auront guère que deux options.
La première consistera évidemment à laisser tomber leur activité. Les professionnels lobbyistes auront beau jeu de se réjouir d’une concurrence ainsi écrabouillée. Manque de bol, le petit pouvoir d’achat récolté servait souvent, pour ces particuliers, à se payer des vacances, des services ou des facilités que les professionnels, justement, leur proposaient. Tout porte à croire en tout cas que cette disparition d’une activité de particulier se traduira inévitablement par une perte pour le pays. Dans une France en croissance nulle, voilà une excellente nouvelle.
En seconde option, nos particuliers pourront choisir de basculer dans cette zone abominable du travail au noir, non déclaré. De la fraude, en somme. Oh. Mon dieu. Comme c’est horrible. Le fisc sera perdant de toutes façons (les capacités des uns à frauder étaient très supérieurs aux moyens des autres à les repérer), et les professionnels aussi puisque, pour le coup, il n’y a aucune chance que les particuliers reviennent vers eux. Dans l’histoire, le consentement à l’impôt se sera pris une nouvelle beigne (bien fait) ; le lobbyisme des professionnels aussi. Les députés, de plus en plus détestés par le peuple, gagneront quelques nouveaux noms d’oiseau et des perspectives encore plus réduites de se faire réélire.
Dans tous les cas, gageons que cette guerre au commerce et à l’entraide (éventuellement monnayée) entre particuliers saura porter ses fruits : la France en ressortira plus faible, plus aigrie, plus pauvre. À l’approche d’élections décisives qui pourraient bien porter les messages les plus populistes au pouvoir, c’est exactement ce qu’il nous fallait.
Messieurs les députés, franchement, merci.
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