Il y a six mois, je relatais, à la suite de la parution d’un ouvrage d’Yvan Stefanovitch, intitulé « Le Sénat, un paradis fiscal pour des parlementaires fantômes », les déboires du Palais du Luxembourg et, plus généralement, de nos Assemblées un peu trop généreuses avec leurs membres et leurs équipes. Mais voilà : six mois sont passés, et l’austérité est arrivée. Boum. D’un coup.
Ou en tout cas, c’est ce qu’on doit penser si l’on s’en tient aux discours de certains de nos élus concernés par des mesures d’économies particulièrement drastiques.
Prenez Henry Guaino (avec des pincettes, ça tache, ces petites choses-là) : relançant avec une véhémence une complainte pourtant déjà entendue en 2013 dans laquelle il nous expliquait, à environ 80 mètres au-dessus du sol et les yeux rivés vers les nuages, qu’il estimait que les députés étaient mal payés (un peu plus de 5.100 euros net auxquels on ajoutera 5.900 euros net d’indemnité représentative de frais de mandat), voilà notre Henri encore une fois tout remonté qui, invité de LCI Matin, a remis le couvert en déclarant, les yeux tremblants d’émotion, qu’avec 5100 euros net par mois, il ne parvenait à « rien pouvoir mettre de côté ».
Il faut le comprendre : à 59 ans, pépère a des charges importantes et un train de vie qu’il convient de ne pas trop bousculer. Et comme il est élu de Paris, il semble impossible pour lui de trouver un petit appartement plus dans ses capacités réelles.
Sans surprise, cette déclaration a quelque peu défrisé les réseaux sociaux et une bonne partie de ces Français qui aimeraient sans doute échanger leur place avec la sienne. Il faut dire qu’avec son salaire, Henri se situe douillettement dans les 4% des Français les mieux payés. Et dans son cas, on peut affirmer sans exagérer qu’en plus, c’est une bonne partie des 96% restants qui payent son salaire ce qui devrait l’inciter à plus de prudence dans ses petits gémissements hors-sol.
En introduction, j’évoquais le Sénat dans lequel continuent de s’ébattre mollement quelques gros mammifères dodus dont les borborygmes parviennent parfois jusqu’à nous.
Si l’austérité qui frappe l’Assemblée Nationale a déclenché les couinements de Guaino (qui, après, ne pourra pas s’étonner du score microscopique qu’il fera à la prochaine élection dont il sera candidat), cette même austérité semble s’être abattue avec une violence au moins aussi spectaculaire du côté du palais du Luxembourg où nous retrouvons Gérard Collomb qui, éberlué, se rend compte qu’il va lui falloir vivre les prochains mois avec seulement 4000€ d’indemnité sénatoriale au lieu des 5500€ nets habituels (sans parler des frais de représentation qui se montent à 6000€).
Il faut le comprendre : il n’avait absolument pas prévu de se serrer ainsi la ceinture, et voilà que, pour des économies de bout de chandelle n’en doutons pas, la Haute Chambre n’a rien trouvé de mieux qu’à sanctionner son absentéisme un peu trop voyant. Eh oui : si le brave Gérard ne touche pas la somme totale, ce n’est pas parce que des coupes claires ont été prévues au budget du Palais du Luxembourg (ne rêvez pas), mais bien parce que le sénateur du Rhône, maire de Lyon et président de Métropole Lyon, cumule … les mandats absences.
Sanctionné pour ne pas avoir été assez présent en commission et lors des séances de questions au gouvernement, ses indemnités ont été rabotées. Le pauvre, tout meurtri, s’en est ouvert à qui voulait l’entendre : tout ceci est un vrai cauchemar (financier, bien sûr), et cela risque même d’impacter négativement le sort des Assemblées, ma brave dame !
« Dans ces conditions, on n’aura bientôt plus comme sénateurs que des mauvais, des apparatchiks de partis et des retraités »
Ah, que ce serait catastrophique d’avoir des gens du troisième âge à l’Assemblée Nationale ou au Sénat ! Collomb, 69 ans et toujours pas en retraite au plus grand désarroi de tous ses seconds couteaux qui n’attendent que ça, en sait quelque chose ! Mais pire que ça, imaginez si l’Assemblée ou le Sénat se retrouvaient peuplées de mauvais ou d’apparatchiks de partis ? On se retrouverait immédiatement plongée dans une France moisie, remplie de types qu’on voit tourner depuis les années 90, qui ressassent les mêmes explications éculées sur « pourquoi on a tout tenté » mais « pourquoi ça n’a pas marché » et « pourquoi, cette fois, c’est sûr, avec moi, c’est différent ». Ce serait une France avec des partis de droite et de gauche qu’on confondrait, remplie de types qui voyagent d’un bord à l’autre, qui diraient tantôt qu’il n’y a pas assez d’Etat dans le pays, tantôt qu’il n’est pas assez fort, et tantôt qu’il en faudrait plus. Ce serait… ce serait… La France de 2017, en somme.
Et ça, on comprend que ça défriserait Gérard Collomb qui, en attendant, vit un calvaire avec ses 4000 misérables petits euros par mois dans un pays où le salaire médian n’est même pas de la moitié de cette somme (1.772 euros net par mois en 2015).
Pourtant, j’ai tendance à penser que si la condition subie de Gérard Collomb était subitement étendue à tous les parlementaires, on ravirait un paquet de Français d’un coup. On ferait, très certainement, quelques centaines de malheureux, mais on rendrait instantanément 65 millions d’autres bien plus contents. En poussant le raisonnement, j’avais même montré, dans un précédent billet, qu’on pouvait ainsi faire 600 millions d’économies par an. Et ce serait sans commencer à éplucher les comptes de l’Assemblée Nationale ou du Sénat… Au fait, monsieur Bernard Saugey, Premier Questeur du Sénat, vous avez une remarque peut-être ?
« Ce n’est pas la peine que tous les gens regardent des choses qu’ils ne seront pas capables de commenter ; ils auront certainement des réflexions idiotes. »
Ah oui, vous avez raison, concluons vite sans plus attendre.
Les petits couinements de Collomb ou de Guaino, outre l’insupportable toupet de ces fats inconséquents, rappellent fort nécessairement de temps en temps de quel bois nos élus sont faits. C’est un bois tendre, qui n’aime pas les petites misères du quotidien des Français qu’ils entendent pourtant représenter, régenter et surtout ponctionner. C’est aussi une excellente illustration du problème de nos élites et de ceux qui dirigent les finances du pays, de près ou de loin : les réactions idiotes de ces deux nantis de la République montrent que tant que l’argent provient de la poche des autres, il n’est jamais dur à gagner et toujours temps de s’augmenter, jamais de se restreindre.
D’autre part, comme l’État qui décide d’adapter ses entrées fiscales à ses grands projets et à ses grandes distributions sociales mais ne tente jamais l’inverse (adapter ses distributions à ses entrées effectives), pour nos deux compères, c’est leur salaire qui doit monter ou se maintenir, vaille que vaille. Ce n’est surtout pas leur train de vie qui doit s’ajuster.
Enfin, une fois élu, il n’y a pas de responsabilité qui tienne : on a décroché la timbale, on a gagné le gros lot ! Pas question qu’en face de ce droit d’indemnités généreuses corresponde une devoir de probité, de qualité et de quantité de travail.
Et puis quoi encore ? Pourquoi pas faire de la politique pour servir gratuitement son pays, tant qu’on y est ?!
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