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J'ai déjà
évoqué l'existence d'une bulle immobilière en Chine. Des
articles récents confirment son ampleur. Les dégâts que
son éclatement provoquera sont plus difficiles à
évaluer.
Selon le South China Morning Post (article payant,
cité par ZeroHedge), l'étude des
consommations électriques des abonnés laisserait entendre que
64 millions de logements urbains seraient vacants en Chine. Il m'a
été impossible de trouver un nombre total de logements
dans ce pays (il y en
avait 276 millions en 1990, ce qui n'a guère d'importance),
mais ce qui semble clair pour nombre d'observateurs est qu'une
majorité de logements vacants urbains sont des logements neufs que des
ménages chinois ont acheté d'en l'espoir d'en tirer un revenu,
et que ces revenus... ne viennent pas, faute de locataire. Il y a
"peu" de logements abandonnés par excès de
vétusté dans cette masse de logements.
On peut donc estimer raisonnablement que le taux de logements vacants en
Chine est désormais largement supérieur à 10%, et une
grande partie de ces logements est neuve ou récente. Le paroxysme de
cette situation est atteint à Ordos, ville nouvelle construite sur
décision gouvernementale au nord du pays, qui s'apparente de plus en
plus à une ville fantôme.
Pourquoi le troupeau
achète ?
Cet appétit déraisonnable pour le logement proviendrait de
plusieurs facteurs, qui ont tous des racines interventionnistes :
1) La politique étatique de
l'enfant unique a engendré une majorité de garçons (les chinois ont le culte du fils,
semble-t-il), et la possession d'un ou plusieurs logements pour
un homme est devenu un critère favorisant la possibilité de se
marier dans la "bonne société".
2) L'épargne liquide est très réglementée en
Chine, et tant le nombre de produits d'épargne accessibles au
ménages que leur rendement, fixé par l'état, est faible.
Du coup, les banques disposent de ressources à bas coût pour
prêter de l'argent, ce qui du coût entraine un plus grand
apétit des emprunteurs pour la dette. Or, l'immobilier Chinois se
finance, comme partout, à crédit. Et les promesses de rendement
de l'immobilier attirent les investisseurs qui n'hésitent plus
à recourir à un fort effet de levier pour rentrer sur ce
marché.
3) Pour contrer la crise de 2008, Pekin a ordonné aux banques de
relâcher les vannes du crédit, avant de les resserrer plus
récemment. Mais le mal a été fait: l'année 2009 a
vu une explosion des encours de crédits en Chine, cf. graphe:
4) Selon le consultant-urbaniste Alain Bertaud (son site), qui a
étudié le fonctionnement de nombreux marchés chinois,
les règles de construction et le droit des sols en Chine imposent un
certain nombre de contraintes réglementaires qui empêchent
l'adaptation de l'offre à la demande. Ça
ne vous rappelle rien ?
En outre, en Chine, la terre nue appartient à l'état local qui
la vend aux développeurs, et, à l'instar de ce qui s'est
passé à Las Vegas ou en Arizona, ou encore en Espagne, les
pouvoirs locaux, lorsqu'ils constatent que la terre prend artificiellement de
la valeur, tendent à réduire les surfaces qu'ils livrent
à la construction pour maximiser leur rapport revenus/ventes.
(Plus de détails
sur le marché chinois sur cette vidéo du Wall Street Journal)
5) Ceci dit, il ne faut pas uniquement blâmer le droit des sols pour
l'étranglement de l'offre : la Chine connaît aussi un
étranglement au niveau de la main d'oeuvre qualifiée et des
matériaux de construction...
6) Du fait de ces hausses, en Chine aussi, nombre d'investisseurs sont dans
l'illusion que l'immobilier ne peut pas baisser, ce qui provoque un afflux
d'achats purement spéculatifs.
Une économie
purement bullaire ?
Quelles sont les conséquences de cette surproduction de crédits
pour financer des logements vides ?
1) Les ratios coût du logement sur
le revenu des ménages ont atteint des valeurs ahurissantes, (cf cet article), seuls les
chinois les plus aisés peuvent s'offrir certains logements. Cependant,
même ainsi, il n'est pas rare de rencontrer des chinois ayant
acheté des logements pour plus de 10 fois leurs revenus, avec les
conséquences que l'on imagine sur le niveau des mensualités...
2) L'agence Fitch, dans un rapport récent (accessible toujours via zerohedge), a
montré que le secteur de la "titrisation informelle" des
créances avait pris une grande ampleur... Toute ressemblance avec les
USA est purement fortuite, bien sûr. Ajoutons que l'usage du "hors
bilan" est devenu classique pour dissimuler les pourcentages croissants
de "NPL", Non
Performing Loans, prêts dont les emprunteurs sont en
difficultés, ce qui ne permet absolument pas de connaître
l'ampleur des pertes potentielles des banques chinoises. Ajoutons que le
secteur bancaire semble avoir pris pas mal de libertés avec les
injonctions du gouvernement chinois de renforcer leurs réserves
obligatoires.
3) Les maisons ainsi construites ne sont même pas une bonne
réserve de valeur à long terme: la qualité de la
construction est globalement tout à fait
déplorable, cf. le manque de main d'oeuvre
qualifiée, de bons matériaux de construction, et l'incitation
de l'argent facile à construire "vite fait mal fait" pour
des investisseurs qui achètent pour louer et pas pour eux-mêmes.
La dépréciation des logements inoccupés et des immeubles
les contenant sera, dans de nombreux cas, rapides.
4) Les acheteurs sont en train de s'apercevoir que du fait du fort taux de
logements vacants, le marché de seconde main tend à baisser
dans d'importantes proportions: gare aux imprudents qui se seront
surendettés et qui perdront leur emploi !
Une croissance
surévaluée
Au niveau Macro-Economique, je m'étonne qu'il ne se trouve en France
aucun analyste bien en cour pour s'interroger sur la valeur des chiffres du
PIB chinois, officiellement à plus de 10% en rythme annuel, avec une
inflation prétendûment faible.
Compte tenu de la part de l'appréciation de l'immobilier totalement
déconnectée des revenus des ménages dans le PIB chinois,
estimée jusqu'à 60% par l'investisseur très
"sceptique" sur la Chine Jim Chanos, on peut s'attendre
à ce que dans l'équation
PIBn+1=PIBn*(1+c)*(1+i)
(voir explication ici),
i (=inflation) soit fortement sous estimée et c (=croissance
réelle) soit non moins fortement surestimée.
La chine a mis en circulation d'importantes quantités de monnaie-dette
basée sur l'appréciation fictive d'actifs totalement
surévalués. Cela a provoqué une inflation surtout immobilière mais également
à la consommation, que le gouvernement essaie de
cacher semble-t-il par des blocages de prix... Cette inflation est
abusivement comptabilisée comme de la croissance, et la correction qui
s'ensuivra sera très fortement déflationniste, notamment dans
l'immobilier... Sauf si la Banque de Chine choisit l'option "sauvetage
généralisé par la planche à billets", ce
qu'honnêtement, je ne peux pas prévoir.
Que fera le
gouvernement chinois ?
Si l'état chinois n'intervient pas, ce qui est aussi probable
qu'une victoire de la Corée du Nord au Mundial 2014, les banques
devront enregistrer des pertes abyssales, verront donc fondre leurs fonds
propres, et donc devront réduire dans de très importantes
proportions leur encours de nouveaux crédits : dans ce cas, la
consommation interne naissante chutera, entrainant à la baisse les
salaires, ce qui rendra encore plus compétitives les exportations
chinoises... Les prix ne monteront pas de sitôt dans nos propres
magasins, sauf, là encore, "effet planche à billets",
dépendant uniquement des décisions politiques qui seront prises
chez nous.
Mais évidemment, le gouvernement chinois interviendra. Comment le
fera-t-il, ça ..?
Ce que je n'arrive pas à déterminer, c'est la part de
l'épargne Chinoise qui a été siphonnée dans ces
complexes immobiliers sans valeur réelle, et quels seront les dommages
collatéraux supplémentaires infligés à cette
épargne par la chute de valeurs mobilières liées au
logement, telles que les entreprises de construction et les banques... De la
réponse à cette question - et de la façon dont le peuple
chinois réagira à de telles pertes- dépendra
sûrement l'ampleur de la crise chinoise, et la capacité de ce
pays à rebondir.
Le savoir faire
industriel que le pays est en train d'acquérir, la qualité
croissante de l'éducation de ses enfants, son épargne
élevée, sont autant d'atouts pour permettre à la Chine
de rebondir après un passage difficile. Mais une correction
baissière de l'économie Chinoise paraît absolument
inévitable. Seul le timing et l'ampleur du trou d'air sont difficiles
à déterminer depuis notre petite France.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
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