Le mercredi, c’est le jour des enfants, ce qui est donc tout indiqué pour faire un peu de pâte à modeler et de la géopolitique. Car pendant que la France se chicane sur le mariage homosexuel et occupe ses militaires dans une opération malienne dont on peine à voir l’objet réel, les tensions s’accumulent entre le Japon et la Chine. À ce propos, on ne peut que s’étonner de la relative indifférence médiatique dans laquelle deux puissances mondiales majeures ne se regardent plus comme des chiens de faïence…
Depuis quelques semaines en effet, suite au rachat par l’État Japonais des petites îles de Senkaku (7 km² en tout) à son propriétaire, la Chine et le Japon se disputent la souveraineté sur ces bouts de rochers perdus en Mer de Chine, dans un différend qui les oppose depuis la fin des années 60. C’est peut-être parce que ces disputes durent depuis un demi-siècle que la presse française (et occidentale, dans une moindre mesure) conserve un détachement assez marqué avec la question.
Les recherches d’informations sur les tensions qui s’accumulent entre les deux pays donnent rarement pléthore d’articles. Lorsque la presse française parle actuellement de Chine, elle évoque (il était temps) son appétit pour l’or, le développement de ses salles de cinéma, des ventes d’automobiles sur son sol ou fait un point sur la situation économique du pays.
Le Japon permet d’évoquer le nouveau premier ministre, la pollution atmosphérique, ou l’éventuelle démission du gouverneur de la banque centrale.
Bien sûr, lorsqu’une nouvelle escarmouche ou de nouveaux mouvements de sabres sont effectués, la presse relaie mécaniquement les dépêches d’agence. Bien sûr, quelques nouvelles font surface, de temps en temps. Cependant, on ne peut cesser d’être étonné de la placidité certaine ou de la retenue exemplaire qu’ont bien des médias et bien des gouvernements devant ces tensions. Car même si on ne parle pas encore de conflit, les mots échangés par les deux protagonistes sont tout sauf tendres.
Deux choses, cependant, sautent aux yeux :
D’une part, l’un et l’autre peuple sont tous les deux fort nationalistes. Dans les deux cas, les gouvernements respectifs n’auront le soutien populaire que s’ils sont hermétiquement fermés à la négociation. Il n’y aura pas de réchauffement des relations, il n’y aura pas de résolution du conflit si l’un des deux doit perdre la face. Ceci, bien sûr, n’augure pas d’une fin heureuse de ce conflit (ou alors, pas de façon diplomatique traditionnelle).
D’autre part, les deux nations sont à un tournant : après vingt années de stagflation, l’économie japonaise est à genoux là où l’économie chinoise aura bénéficié d’une croissance sans précédent pendant la même période. La Chine doit cependant faire face à une population masculine importante, importée des campagnes, qu’on ne peut plus occuper à construire des logements, l’immobilier chinois n’étant plus trop booming. Du côté du Japon, le pacifisme ne semble plus d’actualité, d’autant qu’augmenter (en bons keynésiens) les dépenses militaires est une vieille recette pour faire apparaître de la croissance là où il n’y en avait pas – et le stratège Hollande à la conquête du Mali n’est pas en reste sur la question, hein… Et puis, le Japon vieillit : la probabilité qu’il se sorte de ses problèmes aigus par un boom des naissances est faible.
Bref : du point de vue démographique et économique, un conflit armé pourrait être un débouché cynique mais efficace de cette situation.
Ce qui complique cependant singulièrement la donne, c’est la position des Américains dans l’histoire : traditionnellement du côté des Japonais même s’ils affichent une neutralité de façade, leurs récentes actions et déclarations n’empêchent pas certains observateurs (comme Addison Wiggin) de se poser la question de savoir si les Américains ne recherchent pas clairement le conflit avec les Chinois. Pourtant, après dix ans d’Irak et d’Afghanistan et des dettes qui montent trop souvent au plafond, on pourrait croire que cet état d’esprit va-t-en-guerre se calmerait.
D’autant que la Chine, de son côté, en plus de disposer de la bombe atomique depuis un moment déjà, n’est pas restée les deux pieds dans le même sabot pour moderniser son armée : elle sait faire des porte-avions, des avions de chasse furtifs et a récemment testé un antimissile avec succès. Elle a en outre augmenté ses dépenses de défense de plus de 10% par an depuis ces dix dernières années, et dispose maintenant de suffisamment de fonds et d’assez de ressources internes pour continuer cette mise à niveau de son outil guerrier pendant encore quelques années.
Si l’on se rappelle que les nations économiquement aux abois sont les plus susceptibles d’entrer en conflit avec ses voisins pour trouver des issues à leurs problèmes internes, si l’on note que la Chine n’est toujours pas une démocratie, et si l’on factorise dans l’équation que le nationalisme américain, sans être aussi exacerbé que les Chinois, n’est pas non plus minimaliste, si, enfin, on note qu’Obama est un président qui est très sûr de lui, au point de vouloir en montrer au reste du monde, on a ici un bel ensemble de facteurs qui pourrait bien pousser d’un côté, les Chinois à sous-estimer la réaction possible des Américains à un durcissement du conflit qui les oppose avec les Japonais, et de l’autre, les Américains à croire un peu trop facilement que leur seule présence dans le conflit en faveur des Japonais fera reculer la Chine.
Je ne suis pas, loin s’en faut, un spécialiste de la géopolitique mondiale. À vrai dire, la situation française est déjà en elle-même assez complexe (et assez rocambolesque) pour qu’il soit très difficile de faire la moindre prédiction sans se planter. L’erreur est possible, le loupé peut être magistral, mais c’est le jeu et c’est parfois drôle. Il est donc logique de dire que nul (et surtout pas moi) ne peut prévoir ce qui va se passer en Mer de Chine dans les prochaines semaines. Il n’en reste pas moins qu’un conflit ouvert, impliquant Chine, Japon et surtout Etats-Unis m’apparaît possible.
Certains, j’en suis persuadé, m’objecteront qu’avec l’existence de la bombe nucléaire des deux côtés des opposants, ou bien le conflit sera localisé et réduit à des opérations mineures, ou bien qu’il sera purement et simplement évité. Évidemment, je le souhaite. On ne peut cependant pas écarter l’utilisation d’autres moyens (bombes à effet EMP, guerre informatique massive, par exemple) de la part des belligérants, ce qui, de nos jours, amoindrit pas mal l’argument.
Quoiqu’il en soit, je trouve fort dommageable que la presse, et bien évidemment, la Presse Française de Qualitaÿ, accorde aussi peu de place aux événements asiatiques actuels. Ils pourraient bien façonner le monde pour les décennies à venir, mais ne semblent pas les intéresser. À cette aune, son micro-centrage nombriliste sur les affaires sociétales franchouille donne une assez bonne idée de sa préparation du sujet, et de la déferlante de gloubiboulga à laquelle on aura droit si jamais les événements devaient s’emballer…