Lorsque la petite frange de la société qui s’autorise à penser tout haut n’est pas occupée à se lamenter sur les malheurs du monde, elle fait absolument tout pour s’éviter l’ennui d’un manque de cause à défendre et d’opprimés à pleurer. C’est probablement ce qui a poussé le collectif « Enjeux e-médias », qui rassemble plusieurs associations liées au domaine de l’éducation, à saisir l’autorité de régulation de la publicité et à dénoncer bruyamment une méchante valorisation des «pulsions individualistes» de la dernière campagne publicitaire d’Adidas.
Et quelle campagne ! Déboulant à la vitesse d’un ballon rond tiré d’un pied expert par l’un de ces footballeurs en vogue actuellement, la série de publicités que propose Adidas semble en effet dépasser toutes les bornes des limites et piétiner avec acharnement le vivrensemble le plus évident que ces associations subventionnées s’emploient pourtant à faire respecter avec componction.
Apparemment, tout part des slogans que la grande marque de sport a choisis pour ses grolles : « Impose tes règles », « Sème le désordre » ou « Gagne tout ». Immédiatement, à la lecture de ces injonctions, l’œil averti du Bisounours Socialement Responsable est pris d’un spasme qui le fait trembloter sans contrôle : c’est évident, ces slogans sont de véritables obus lancés en tirs tendus sur les forteresses de la citoyenneté qu’il s’emploie à construire. Et dans la bouche du collectif « Enjeux e-médias », ça nous donne ceci :
« Nous sommes atterrés qu’une grande entreprise puisse sans honte jouer la carte du mépris, flatter les pulsions individualistes les plus primaires et vanter la loi de la jungle, alors qu’elle devrait porter les valeurs du sport, du collectif, que nous avons à transmettre à la jeunesse. »
Voilà ! Mépris, pulsions individualistes, loi de la jungle, tout y est pour bien faire comprendre l’ampleur du problème : la jeunesse, qui est évidemment la cible marketing première de cette hideuse campagne, d’autant plus manipulée par ces slogans délétères qu’elle est composée d’êtres faibles et un peu stupides, va sombrer dans ce que la société fait de pire, à savoir les pulsions individualistes qui se traduisent par le retour de la loi du plus fort avec de vrais morceaux de renard libre dans le poulailler social-démocrate, et tout le tralala.
Mais il y a pire.
Si l’on pouvait croire que ces simples slogans n’étaient qu’une vague déformation malheureuse d’un message plus policé de la part d’Adidas, à l’analyse, il n’en est rien : en pratique, la marque de sport invite ouvertement à casser les règles pour devenir « le maître du jeu » en étant « infranchissable » et en « maîtrisant l’issue du match », tout ceci alors qu’en Socialie du Vivrensemble, tout le monde sait qu’un match de foot, ou même d’un sport quel qu’il soit, est entièrement basé sur l’égalité des performances des uns et des autres, qu’on ne doit surtout pas prendre l’ascendant sur le concurrent ou l’autre équipe, qu’on doit être même gentiment franchissable histoire de laisser à tous l’occasion de marquer des points aussi, et qu’ainsi, l’issue de la partie, définitivement calée sur l’égalité parfaite, devra en tout point se conformer à l’idée qu’on peut avoir d’un match nul, très nul.
Et ce dérapage n’est pas unique. Une autre bordée de slogans appelle à son tour à « faire parler son talent » là où, dans un monde vivrensemblesque parfait, le talent de chacun et de tous doit être strictement réfréné pour ne froisser aucune susceptibilité. Dans ce cadre, il n’est évidemment pas question de « gagner encore et toujours », « sans relâche, sans pitié » : dans le monde du sport validé par « Enjeux e-médias », il ne faut pas gagner, ou disons qu’il faut perdre la moitié du temps, de préférence avec relâche et pitié parce qu’ainsi, le gagnant par pitié en conçoit une évidente fierté. La psychologie humaine est décidément pleine d’intéressants ressorts.
Partant de là, inutile de dire que le troisième texte proposé par Adidas dépasse absolument toutes les limites et représente sans exagérer un tsunami de mauvais goût et d’offense lèse-vivrensemblesque qui justifie à lui seul l’action intentée par le collectif auprès de l’Autorité de régulation idoine. En effet, dans ce texte, on en appelle ouvertement au « chaos » en « détruisant » les adversaires, et vante le « raz-de-marée qui balaye tout sur son passage » et va « exploser la défense » : combien de chatons, combien de petits ours en peluche qui disent « Je T’Aime » quand on leur appuie sur le bidou, combien de petits chiots ont été broyés dans d’atroces souffrances pour produire ces slogans qui sont si éloignés de la réalité sportive, du vocabulaire habituel des stades de foot, de toutes les compétitions musclées, de tous les matchs amicaux ou non ?
Pour Christian Gautellier, président du collectif, c’en était trop.
« On va donc apprendre aux jeunes le matin au lycée que les règles servent à tous et sont essentielles au vivre-ensemble, pour qu’ils soient confrontés le soir à un appel à semer le désordre et à inventer ses propres règles pour se forger une personnalité ? J’en appelle à la cohérence, après les réactions unanimes prônant le vivre-ensemble. »
Réactions unanimes de lui et de ses petits camarades, on n’en doute pas, qui aboutissent toutes à la même conclusion en filigrane : lorsqu’on présente ce genre d’affiches, les jeunes, malléables et très impressionnables, vont évidemment s’identifier aux slogans et tabasser leurs adversaires, ou, plus violents encore, iront probablement défourailler de l’arme lourde (forcément lourde, je vous le rappelle, hein) dans l’un ou l’autre Thalys qui passe par là :
« On ne peut pas, symboliquement, dans la plus grande gare d’Europe et quelques jours après une attaque dans le Thalys, afficher ce genre de slogans sans se poser de questions. »
Eh oui : slogan pour des pompes de foot et attentats terroristes font évidemment bon ménage et se mélangent violemment dans ce jet puissant de bien-pensance aspergée au canon anti-émeutes sur le pauvre citoyen qui passe par là sans se rendre compte que, par son mutisme et entre deux « wharrgarbl » gargouillés pendant que le débit s’accélère, il participe à l’extension inexorable de la méchanceté dans la société. C’est abomiterrible.
Et puisque notre brave Christian en appelle à la cohérence, comment ne pas s’offusquer du précédent slogan de la même marque, « Celebrate originality », ode putride à la différence et donc course à l’individualisme débridé ? Comment oublier le « Just Do It » de Nike qui prône rien moins que de se défaire des indispensables vérifications d’usage et de sécurité avant de se lancer, en toute conformité et dans le respect des règlementations en vigueur ? Et ne parlons pas de Fila avec son « Make the rules », qui vibre des mêmes idées nauséabondes que les perversions publicitaires d’Adidas…
D’autant que si l’on quitte le domaine du sport, les chocs continuent. Que dire du « Jouir sans entraves », « Prenez vos désirs pour des réalités », « Soyez réalistes, demandez l’impossible » ou « Il est interdit d’interdire » d’un mois de mai d’il y a quelques décennies ? Question subversion de la jeunesse, ces slogans — que notre clown de service n’imaginerait pas attaquer de la sorte — se posaient là, non ?
Chaque jour, la société française avance d’un nouveau pas, modeste mais décidé, vers une police de la pensée toujours plus efficace et plus présente. Et contrairement à ce qu’avaient envisagé tant de philosophes et de politiciens chevronnés, cette police n’est finalement pas l’œuvre du gouvernement ou d’une administration pléthorique échappant au contrôle des institutions, mais bien le fait de citoyens ordinaires, dressés contre tous les dommages imaginaires qu’ils entendent dénoncer avec force et vigueur pour se persuader qu’ils existent et servent à quelque chose.
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