|
Quand vient la lassitude et le découragement, je me
demande parfois si les français ne vivent pas au-dessus de leurs moyens
intellectuels. Ils veulent sans cesse arracher des augmentations de
salaires en usant de méthodes collectives qui aboutissent à renchérir le prix
des choses qu'ils consommeront par la suite. Ils revendiquent la démocratie
mais sont prêts à couper la tête de ceux qui ne seront pas exactement
d'accord avec eux. Ils se définissent comme des animaux politiques mais ne
sont pas toujours prêts à débattre selon les règles de respect et d'ouverture
que le débat implique. Pour ne pas en être conscients, ils forment
aujourd'hui une collectivité en dérive, devenue le théâtre des pitreries
d'étudiants bloqueurs en mal de révolution rouge. Avant d'être financière, une
faillite est toujours et d'abord morale. C'est pour avoir oublié que les
droits sont toujours la contrepartie de devoirs que nous tirons
collectivement sur la corde qui nous étrangle, subissant le chantage
suicidaire de syndicats aveugles. Les Français ont guillotiné leur roi,
mettant fin à une des dynasties régnantes les plus vieilles et les plus
prestigieuses de l'histoire humaine, qui avait porté la France au sommet de
son rayonnement, au nom d'une révolution libératrice qui a rapidement
dégénéré en une terreur jacobine sanglante, qui a installé pour longtemps un
Etat central aussi omnipotent qu'impotent. Ils ont tué ensuite Dieu et
l'Eglise pour s'affranchir des cadres trop stricts de la foi. Ils ont enfin
tué la démocratie elle-même, court-circuitant sans arrêt le verdict des urnes
quand il dérange les minorités coalisés en corporatismes de toutes sortes. Alors
qu'ils sont demandeurs de toujours plus d'Etat dans pratiquement tous les
domaines de leur vie, les français n'ont de cesse d'empêcher les responsables
politiques d'agir, ceux qui ont précisément pour mission de conduire l'Etat.
On ne peut incessamment demander une chose et son contraire. A
force de saboter un à un les cadres fondamentaux de la cohésion sociale et de
l'identité d'un peuple, nous vivons dans un pays en coup d'Etat permanent et
en guerre civile larvée et récurrente. Au lieu de nous souder, chacun met de
l'huile sur le feu. Les prix du pétrole grimpent, les marins pêcheurs
bloquent les ports et brûlent des pneus. Quand ce n'est pas les routiers qui
bloquent les routes, ce sont alors les transports publics qui prennent en
otage la population impuissante. De leurs côtés, les étudiants en colère
bloquent les campus ou les professeurs font la grève des examens. La
dislocation de la cohésion sociale et nationale, que la mascarade de «
dialogue social » peut difficilement camoufler, est un signe patent d'un
déclin dont la dimension économique n'est que la surface. Ce déclin est
culturel et moral : le rejet de toute forme d'autorité et de discipline (car
en effet créer des richesses implique de travailler, ce qui ne va pas sans
contraintes et la contrainte budgétaire est toujours la contrepartie d'un
pouvoir d'achat) conduit à la médiocrité et à l'affaiblissement. Dans ce
contexte, nous avons peur du changement, de l'inconnu, du monde, des autres,
ce qui nous conduit à avoir peur de vivre tout simplement. De plus, chacun de
nous est tenté de cultiver un comportement de prédateur vis-à-vis de notre
propre pays, en cherchant de profiter de tous les avantages que peut offrir
un système dont nous savons pourtant qu'il est à l'agonie. Au lieu de soigner
le malade, on l'achève, au nom de la solidarité citoyenne ! Il ne suffit pas
de dire « il y a de l'argent ! » comme le fait Besancenot ou Mélenchon en
montrant du doigt les entreprises du CAC 40 qu'il recommande de nationaliser,
suivant en cela les prescriptions éclairées de son mentor Chavez. Ces
entreprises font précisément du bénéfice parce qu'elles ne sont pas gérées
par l'Etat, et ce bénéfice a une fonction économique essentielle. Quand
la régie Renault était une entreprise publique, elle était constamment sous
perfusion, coûtant de l'argent au contribuable. Elle a commencé à faire des
bénéfices lorsqu'elle est devenue une entreprise privée, payant sa part
d'impôt sur le bénéfice (ce qui rapporte de l'argent à l'Etat). Il est arrivé
pratiquement le sort inverse à l'entreprise BULL, qui était une entreprise
bénéficiaire et en pointe avant de faire l'objet d'une nationalisation. Il
faut être carrément idiot pour vouloir étrangler la poule aux œufs d'or : une
fois nationalisée, les entreprises feront des pertes ; et les bénéfices
s'évaporeront étant entendu que la richesse n'est pas un stock que l'on peut
partager indéfiniment mais un flux qu'il faut susciter perpétuellement.
Rappelons que bénéfice vient du latin "faire le bien", et s'oppose
à maléfice : et les entreprises ont précisément pour fonction de faire des
biens, alors que l'Etat est défaillant dans pratiquement toutes ses missions
de services publics. Le culte de l'Etat-Régulateur s'appuie dans le même
temps sur un profond rejet de la nation au point qu'il apparait même choquant
de demander aux ayants-droits ou à tous les candidats à la nationalité
française de maîtriser la langue française et d'adhérer à ses principes
constitutionnels. L'Etatisme a phagocyté la nation. Autrement dit,
dans le même temps que les français réclament et multiplient des droits
(opposables), ils nient et rejettent tous les devoirs que cela implique. Plus
personne n'est prêt à se sacrifier pour la France, mais tout le monde veut sa
carte vitale, un logement gratuit fourni par l'Etat, des écoles, crèches et
universités accessibles à tous sans frais, sans condition et sans sélection.
Macron candidat avait su créer un élan prometteur de renouveau, en promettant
de se tenir au-dessus des intérêts catégoriels, car l'intérêt général ne
saurait être la somme des intérêts catégoriels par nature contradictoires.
Pour notre malheur, une fois devenu président, il risque de se lier les mains
en retombant dans cet infernal piège qui consiste à se porter au secours des
revendications corporatistes, lesquelles auront pour effet de briser le pays.
|
|