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Parce qu'il contient la plus forte
concentration d'artistes, de yuppies, d'étudiants, de professeurs, de
journalistes et d'intellectuels au Québec, le quartier
montréalais du Plateau Mont-Royal a une influence
démesurée sur les courants idéologiques et culturels de
la province. C'est de là que partent habituellement les nouveaux
mouvements contestataires de la gauche caviar, comme
on peut le voir en ce moment avec l'anarchisme et la lutte contre la
mondialisation. C'est là aussi qu'éclatent souvent les
controverses intra-péquistes sur les stratégies
référendaires et l'identité québécoise.
La circonscription de Mercier, qui
recoupe en gros le territoire du Plateau, a été ravie au
député libéral et premier ministre Robert Bourassa le 15
novembre 1976 par un poète, Gérald Godin, et est restée
pendant un quart de siècle dans le giron péquiste.
L'élection partielle qui s'y est tenue la semaine dernière n'a
pas fait mentir la réputation du comté. Les médias, qui
ne portent habituellement aucune attention à ces élections
partielles, ont eu cette fois de quoi se mettre sous la dent.
Elle a débuté il y a quelques mois avec les propos
controversés sur les Juifs de l'hurluberlu ultranationalo-gauchiste
Yves Michaud, une controverse en partie responsable du départ de
Lucien Bouchard; en cours de route, des révélations sur ses
démêlés avec la justice ont fait dérailler la
campagne du candidat péquiste (d'origine haïtienne, pour faire
oublier l'hurluberlu), Claudel Toussaint; elle s'est achevée avec la
victoire surprise de la candidate « libérale »
(en fait, une socialiste) Nathalie Rochefort avec seulement 35% des voix et
un vote important (24%) pour un candidat représentant une coalition de
partis d'extrême-gauche, Paul Cliche.
Une ouverture à gauche
Ce sont donc trois candidats
de gauche qui se sont partagé les votes. Parce que le Plateau
constitue une société tellement particulière, on ne
devrait donc tirer aucune conclusion quant à la direction des vents
politiques au Québec à partir de résultats si
étranges. Mais nos commentateurs et politiciens se laissent facilement
impressionner et cette élection partielle est venue renforcer l'un des
mythes les plus ridicules de la politique québécoise, à
savoir celui selon lequel le gouvernement du Parti québécois
serait « à droite » et «
néolibéral » et qu'il y aurait donc une ouverture
à gauche pour un troisième parti, ou encore pour les girouettes
du Parti soi-disant libéral.
Cette confusion est entretenue par le penchant interventionniste du
gouvernement péquiste, que plusieurs confondent avec un appui au
milieu des affaires. Chaque fois que l'État accorde des subventions ou
crédits d'impôt à des entreprises pour « encourager
des projets structurants », pour « provoquer
une synergie », pour « stimuler le
développement d'un secteur clé » ou encore,
prétexte universel, pour « créer de l'emploi
», des contribuables se disent que le gouvernement aide encore
les gros et les puissants et que ce sont eux, les petits, qui vont en faire
les frais.
Selon des recherches de l'Atlantic
Institute for Market Studies,
l'État québécois a distribué, en 1998, la somme incroyable
de 3,18 milliards $ en subventions aux entreprises, tandis que
les subsides versés par les neuf autres gouvernements provinciaux
combinés ne représentaient que 2,2 milliards $.
Encore cette semaine, la ministre des Finances Pauline Marois
a joué à la mère Noël avec fanfare et trompettes en
accordant un petit cadeau de 12 millions $ à une
succursale de la bourse NASDAQ qui s'installe à Montréal, en
plus d'une vingtaine de millions $ au secteur financier de la
métropole.
Comme je l'ai déjà expliqué (voir LE CHEVAL DE TROIE DE
L'INTERVENTIONNISME PRO-BUSINESS, le QL, no 55),
ces politiques interventionnistes n'ont absolument rien à voir ni avec
le capitalisme, ni avec le libre marché, ni avec le libéralisme
économique. Elles sont exactement son contraire et visent un
contrôle des entreprises et une mainmise de l'État sur
l'économie. Le libéralisme déplore toute manipulation ou
distorsion des processus de marché par la main très visible de
l'État et s'oppose à cette planification soft (par
opposition à une étatisation intégrale) du
développement économique.
Les pouilleux des années 2000
La gauche pure et dure, celle qui
considère que le marché, la finance, les entreprises, non
seulement ne doivent pas être aidés, mais constituent des abominations
qui doivent être combattus et si possible éliminés, a
évidemment de bonnes raisons d'être déçue de la
gestion péquiste. Sauf que douze ans après la chute du Mur, il
y a très peu de chance que ses solutions trouvent preneur.
Le quinze minutes de gloire dont
bénéficie l'extrême-gauche dans les médias
à l'occasion du Sommet des Amériques à Québec
n'est qu'un épiphénomène qui passera, pas une tendance
lourde comme on tente de nous le faire croire. Les idéologies radicales
n'ont aucun fondement rationnel et ont complètement perdu l'aura
d'invincibilité qu'elles avaient il y a vingt-cinq ans. Comme les
pouilleux des années 1970, les jeunes idéalistes naïfs qui
manifestent aujourd'hui devront un jour se trouver un emploi et passeront
à autre chose.
Et puis, où trouvera-t-on
ailleurs au Québec des milliers de branchés/paumés
(c'est une question de perspective), lecteurs de Voir et du Devoir,
qui trouvent normal de voter pour un crackpot
soutenu notamment par des verts et des communistes? Dans la République
populaire démocratique d'Hochelaga-Maisonneuve quelques coins de rue
plus au sud, peut-être, mais nulle part ailleurs. Tout ce qu'une
coalition ou un parti de gauche réussira à faire s'il
s'organise suffisamment d'ici les prochaines élections, c'est
d'enlever quelques points au PQ et aider à l'élection d'un
gouvernement libéral.
Les guidounes
roulent aussi à gauche
C'est de ce côté que
cette bousculade à gauche est plus préoccupante. Même
s'il n'y a aucune illusion à se faire sur les principes
libéraux des soi-disant libéraux (voir LES GUIDOUNES DU PSDLQ,
le QL, no
47), on pourrait au moins s'attendre à ce que Jean Charest,
s'il dirige le prochain gouvernement, s'inspire de politiques moins
socialistes et interventionnistes que ses adversaires. L'élection de
sa candidate dans Mercier semble toutefois lui être montée
à la tête et le chef libéral à
décidé qu'il y avait du millage à faire pour le moment
en roulant à gauche du parti au pouvoir.
Selon un portrait paru dans le Devoir, Nathalie Rochefort a d'abord
milité au Nouveau Parti démocratique avant de se joindre au
PLQ. Fédéraliste, elle considère qu'il y a de la place
pour elle dans ce parti, allant même jusqu'à affirmer qu'«
être libéral au Québec, c'est être
socialement juste », i.e., c'est être socialiste.
Elle n'a pas nécessairement tort évidemment.
Diplômée en « action communautaire »,
la nouvelle députée a travaillé comme consultante en
développement pour des organismes communautaires, c'est-à-dire
qu'elle est devenue une spécialiste du tétage
de subventions pour des parasites tels que Le Bon Dieu dans la rue, le CRAN
des femmes, la SPCA et le centre communautaire des gais et lesbiennes.
En Chambre au lendemain du vote, Jean Charest a pris le relais de sa
candidate élue et des parasites communautaires qu'elle défend
pour relancer Bernard Landry sur l'enjeu de la pauvreté: «
Qu'est-ce qui est arrivé pour que le premier ministre
crée autant d'espoir pour finalement céder au marketing et
décevoir les Québécois qui veulent que leur gouvernement
s'occupe de pauvreté? », a-t-il demandé. On
pourrait lui retourner sa question: Qu'est-ce qui est arrivé pour que
le chef de l'Opposition cède ainsi au marketing et
déçoive les Québécois qui veulent que son parti
défende les intérêts de la majorité d'entre eux
qui ont une vie productive et qui paient trop d'impôts, au lieu de
perdre son temps à parler au nom d'une poignée de parasites?
Si M. Charest tient tant à tenir un discours populiste de gauche et
à plaire aux branchés/paumés de Mercier, pourquoi ne pas
plutôt s'attaquer au corporate welfare distribué à coups de millions
par le gouvernement, une position qui aurait au moins le mérite
d'être cohérente avec la tradition idéologique de son
parti? Le seul pas minuscule qu'il a fait dans cette direction ces derniers
jours a été pour demander plus de « transparence »
dans l'allocation de ces fonds. « Un gouvernement
libéral sera transparent et publiera chaque année un
relevé de tous les programmes de subventions de l'ensemble des
ministères et organismes publics », a-t-il dit lors
de sa réplique officielle au budget Marois. «
Les contribuables ont droit de savoir combien ils donnent année
après année à ces gens-là. »
Wow! On a le droit de savoir à qui s'en va notre argent, mais pas
celui de ne pas se le faire dérober!
Capitalisme politique
Lors des dernières
élections générales, Jean Charest a été
crucifié pour avoir osé dire qu'il fallait remettre en question
l'interventionnisme étatique dominant au Québec depuis la Révolution
tranquille. S'ils annonçaient toutefois demain matin qu'ils
élimineraient entièrement toute forme d'« aide »
aux entreprises après leur arrivée au pouvoir, les
libéraux se créeraient du coup un capital politique
considérable, qui leur donnerait un poids moral suffisant pour
s'attaquer ensuite à d'autres réformes plus
controversées, celles des programmes sociaux par exemple. Même
dans le climat idéologique bien-pensant qui domine au Québec,
il deviendrait alors difficile de les accuser de s'attaquer aux faibles et
aux démunis en voulant démanteler l'État-providence,
puisqu'ils auraient d'abord fermé les goussets aux méchantes
compagnies.
L'élimination immédiate du corporate
welfare et l'abolition des multiples
sociétés d'État qui distribuent des fonds et procurent
des « investissements » un peu partout sur le
territoire permettraient par ailleurs de réduire
considérablement les impôts dès un premier budget
libéral. Quelques parasites du monde des affaires lanceraient sans
doute des hauts cris, mais qui s'en soucierait? Non seulement ces
entrepreneurs n'ont-ils pas plus le droit que d'autres de s'approprier des
ressources qu'ils n'ont pas produites, mais cette pratique contredit
entièrement le système capitaliste qui leur permet de
s'enrichir et qu'ils croient à tort incarner.
Bref, s'attaquer radicalement à l'interventionnisme économique
du gouvernement péquiste n'aurait que des avantages pour les
libéraux. Cela leur permettrait de redorer le blason du
libéralisme et de tenir un discours anti-étatiste, tout en
jouant sur les bons sentiments gauchistes à la mode. Cela leur
donnerait la légitimité morale pour vraiment remettre en
question le « modèle québécois »
et proposer des réformes ambitieuses allant dans le sens de plus de
liberté individuelle. Ont-ils toutefois assez de couilles et de
cohérence intellectuelle pour aller dans cette direction? Ne gagez pas
votre chemise...
Martin Masse
Le Quebecois Libre
Martin Masse est
né à Joliette en 1965. Il est diplômé de
l'Université McGill en science politique et en études
est-asiatiques. Il a lancé le cybermagazine libertarien
Le Québécois Libre
en février 1998. Il a été directeur des publications
à l’Institut économique de Montréal de 2000
à 2007. Il a traduit en 2003 le best-seller international de Johan Norberg, Plaidoyer
pour la mondialisation capitaliste, publié au Québec par
l'Institut économique de Montréal avec les Éditions
St-Martin et chez Plon en France.
Les vues présentées par l’auteur sont les siennes
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