Les tonnes de sornettes économiques déversées ces jours-ci
sur le public américain sont à rendre vert de jalousie le défunt Dr Joseph
Goebbels (Ministre nazi de l’information et de la propagande). C’est un
phénomène pour le moins saisissant, puisqu’il n’a rien à voir avec une
conspiration, mais n’est que l’expression consensuelle d’un public qui désire
plus que tout à croire en des choses qui ne sont pas vraies, et d’une
gouvernance économique peuplée d’hommes tout aussi crédules et avides de
fournir au public les discours nécessaires à la préservation de leurs
emplois. Par « gouvernance économique », j’entends l’ensemble des
directeurs d’entreprise, les officiels du gouvernement, les économistes
académiques et les médias – liste à laquelle font partie certains bloggeurs
et conseillers financiers. Ces derniers ne font peut-être que préserver leurs
propres intérêts, puisqu’ils gèrent l’argent d’autres personnes et ont besoin
que ces dernières aient confiance en la stabilité des marchés, qu’elle existe
ou non. Certains sont peut-être motivés par la crainte qu’une érosion minime
du système puisse faire s’effondrer en un rien de temps le système actuel
tenu ensemble par une confiance aveugle en les devises fiduciaires et des
instruments innovants douteux. Mais une grande partie de ces gens ne font que
se bercer d’illusions. Très récemment, John Mauldin
estimait que « nous serons bientôt indépendant en matière énergétique,
et des exportateurs nets d’énergie sous trois à quatre ans ». On entend
parler de cette idée illusoire partout sur internet depuis au moins 2011, de
la bouche de commentateurs qui n’ont soit aucune idée du déclin spectaculaire
de la production de pétrole et de gaz de schiste ou des flux de capitaux
redirigés vers une orgie de forages qui vise à détourner le regard des
observateurs des incongruités du modèle énergétique du gaz de schiste (duquel
le mot « profit » semble absent).
Une semaine après l’estimation
de Mauldin, l’Agence américaine pour l’information
énergétique publiait une révision à la baisse de son estimation du pétrole
disponible à l’extraction dans la formation de schiste de Monterey/Santos, qui
est passée de 15,4 milliards de barils à environ 600.000 (une baisse de 96%,
pour un total qui ne représente que 30 jours de consommation américaine). Ces
15,4 milliards de barils représentaient environ 64% des réserves de pétrole
de schiste américaines estimées par l’Agence. Nous pourrions nous attendre à
voir naître des chocs de parts et d’autres du système de financement
énergétique.
Pour ce qui est du gaz, sachez
que les trois formations de schiste les plus importantes, que sont Barnett, Haynesville et Fayetteville, sont en déclin ou stagnants,
ce qui ne nous laisse que Marcellus et Eagle Ford.
Pourquoi penseriez-vous que le déclin de production enregistré par les trois
premières formations ne viendra pas frapper ces deux dernières ? La
formation de schiste de Monterey allait créer 2,8 millions d’emplois et
gonfler les recettes fiscales de la Californie de 25 milliards de dollars. Voici
ce qu’en a dit Jim Hansen, éditeur du Master Resource Report :
« La leçon la plus
importante à tirer de tout cela est que les distinctions entre les
ressources, les réserves, les réserves susceptibles d’être extraites et ainsi
de suite ne sont pas comprises par les médias de masse, du public et du
gouvernement. Les 15,4 milliards de barils et les 2,8 millions d’emplois dont
on parle ici sont ce sur quoi sont basés les agendas. La réalité est bien
plus nuancée et complexe, et elle est parfois même très différente ».
Il existe cependant encore un
certain nombre d’adeptes du miracle de schiste. George Friedman, du site
internet géopolitique Stratfors.com, s’est entretenu avec David McAlvaney au sujet d’éventuelles exportations de gaz vers
l’Europe et l’Asie, que Friedman caractérise comme étant :
« …une révolution aussi
dramatique que l’introduction de la puce électronique par la Silicon Valley. Les Etats-Unis
sont aujourd’hui un producteur majeur d’énergie. Le seul problème concerne la
logistique. Comment transporter l’énergie d’un point à un autre. »
C’est pire encore qu’une
vision simpliste de la situation. L’industrie du gaz de schiste n’a plus été
profitable aux prix américains depuis que sa production a été intensifiée en
2007. Il s’élève actuellement à 4,60 dollars par MMBTU, ce qui est bien
inférieur au niveau viable, bien qu’il soit atteint un misérable prix de 2
dollars il y a deux ans. L’idée des experts est donc que les Etats-Unis
devraient construire une nouvelle infrastructure de terminaux de pipelines
pour liquéfier le gaz, et monter une flotte pour le transporter vers l’Europe
et l’Asie, où la demande a explosé, et où son prix s’élève à 15 dollars par
MMBTU. Si les Etats-Unis avaient la capacité d’exporter tout ce gaz, qu’arriverait-il
aux consommateurs américains qui se retrouveraient en compétition avec cinq
milliards d’Européens et d’Asiatiques ? Devraient-ils se contenter de
geler dans le noir ? Mr Friedman n’a apparemment pas observé l’hémorragie
d’emplois et de revenus qui frappe la classe moyenne américaine. Je me
demande s’il s’imagine qu’ils pourront continuer de chauffer leur maison à 15
dollars par MMBTU.
L’incompréhension volontaire
de la situation énergétique n’est que l’un des nombreux exemples de l’échec
de la pensée chez les Américains qui ne prétendent même plus de réfléchir.
Cela ne peut pas qu’être dû à une déficience cérébrale (bien que les effets
des additifs alimentaires et des autres produits chimiques sur les récentes
générations soient encore un mystère). Il semblerait que nous n’aimions
simplement pas la réalité et pensons pouvoir l’éteindre, comme toute autre
chaine de télévision. C’est certainement vrai pour le public de l’investissement,
qui en général continue de lire et de faire l’expérience d’une activité
cérébrale similaire à la réflexion jusqu’à ce qu’il se tourne vers Fox,
Bloomberg et CNBC pour la bonne raison que sa bonne fortune sur les marchés
manipulés le rend immunisé contre toute forme de danger. L’Etat et la banque
centrale ont déclaré un taux d’intérêt zéro et un QE illimités, et les
portefeuilles résonnent du cliquetis des dividendes et des gains de capital. Why worry ? Be happy !
C’est un fait tragique de l’Histoire
que les sociétés semblent parfois perdre toute notion de la réalité. Elles
prennent des décisions terribles, et de terribles conséquences en découlent.
Nul besoin d’une conspiration, un consensus est suffisant – un simple accord
entre ceux qui sont au pouvoir et leurs sujets quant aux priorités de la
société et ses investissements. La preuve en est le comportement des
gouvernements nationaux et du public suite à la crise de 2008. Le système a
été lourdement peiné par les débris des prêts irrécouvrables, dont une grande
partie a pris la forme d’obligations frauduleuses. Les plus grosses banques
de la nation ont été impliquées dans l’apparition de ces fraudes et se sont
retrouvées avec beaucoup de leur propre papier toxique entre les mains quand
la danse s’est arrêtée. Un nettoyage de ces débris aurait permis une
restauration de l’intégrité du système bancaire. La poursuite des criminels
financiers aurait découragé le racket et la fraude.
Mais le gouvernement des
Etats-Unis n’a autorisé ni restructuration ni poursuites. Les banques (à l’exception
de Lehman Brothers) n’ont
pas seulement été sauvées, elles ont été fourrées de papier et connectées à
un racket de carry-trade de la Réserve fédérale
(les taux d’intérêt zéro), été autorisées à commettre des fraudes illimitées
et à poursuivre leurs anciennes formes de racket d’autres manières. Et bien
évidemment, aucun directeur n’a été poursuivi pour ces crimes qui ont selon l’Agence
générale comptable des Etats-Unis coûté à l’économie américaine plus de 22
trillions de dollars.
Le public a accepté la
situation, au point que très peu d’hommes politiques ont été démis de leurs
fonctions, et qu’aucune résistance n’a été ressentie, à l’exception de deux
mouvements qui se sont rapidement prouvés inefficaces : Occupy Wall Street et le Tea
Party. (David Brat, qui a détrôné Eric Cantor lors
des élections primaires en Virginie, a tenté en vain d’obtenir le soutien du Tea Party). Le président Obama, qui a fait campagne sur l’idée
de changement au moment où Wall Street explosait, n’a rien fait pour
transformer le système bancaire après-coup, et a été récompensé par une réélection
en 2012. La conclusion à en tirer est que les Etats-Unis ne voulaient rien
restructurer du tout de leur vie nationale – et ne le veulent toujours pas. Ils
veulent rester coincés où ils sont, à une heure périlleuse de l’Histoire, et
adhèrent à une liste d’idées fallacieuses pour supporter leur esprit d’inaction.
Voici une liste des autres
illusions qui semblent régner aujourd’hui :
- Nous
sommes entrés dans une véritable « renaissance de la manufacture »
- Le
couloir central des Etats-Unis, qui s’étend du Texas au Minessota, deviendra bientôt une puissance
industrielle dynamique
- Une
révolution des hautes études viendra bientôt produire une génération de
super-génies
- Les
marchés financiers américains domineront le monde indéfiniment
- Les
avancées technologiques donneront lieu à une nouvelle ère de confort, de
loisirs et de sécurité
- L’esprit
d’entreprise des Etats-Unis est inégalé