Mes chères contrariennes, mes chers contrariens !
Depuis que je suis enfant et presque d’aussi loin que je me souvienne, l’on m’a toujours expliqué que j’avais une chance énorme, la chance de pouvoir apprendre, la chance de pouvoir aller à l’école pour plus tard pouvoir faire quelque chose d’utile pour les autres. On m’expliquait que mon travail n’était pas de travailler mais d’apprendre. Apprendre à lire et à écrire, savoir compter aussi bien évidemment. Mais surtout apprendre le monde, l’histoire, les sciences, les techniques. On m’expliquait que j’avais une chance inouïe de pouvoir consacrer autant d’années à cet apprentissage sans qu’en échange, la société ne nous demande aucune productivité.
Le seul travail des enfants est celui d’apprendre pour se construire et être capable un jour de construire une société encore meilleure, et la société prenait tous les frais ou presque à sa charge… Enfin ça, c’était la théorie.
Aujourd’hui, il reste une école de Jules Ferry défigurée par 40 années d’idéologie confondante de stupidité ayant conduit à un échec massif de nos jeunes dont le niveau baisse de façon dramatique. Je ne ferai pas le procès de l’Éducation nationale. Dans sa forme actuelle, elle est condamnée par sa nullité crasse et profonde ainsi que par l’arrivée des nouvelles technologies qui vont bouleverser le monde enseignant… qui en a bigrement besoin.
Non, je voulais juste faire le parallèle entre le coût de notre école, entre l’importance que notre société est censée théoriquement accorder aux années d’éducation offertes à nos enfants avec cette nouvelle législation en Inde sur le travail des enfants.
Inde : faire travailler les enfants sera plus facile
Ça y est, je vous entends déjà… « Mouais, l’Inde c’est loin.. Mouais… L’Inde qui fait bosser ses enfants, c’est son problème… Mouais… on s’en fout, vas-y chérie, remets The Voice, je veux écouter la nouvelle chanteuse corse » (Mais quelle voix bon sang… ) Sauf que ce qui se passe en Inde se passe aussi actuellement chez vous, sous vos yeux, là, maintenant…
Hein quoi ? Mais on ne fait pas bosser les enfants à la mine… Stop. Nuance, on ne fait plus travailler les enfants à la mine mais on aimerait bien recommencer, et c’est d’ailleurs tout l’enjeu autour de la réforme de l’apprentissage…
Parce qu’il y aura plein de bons arguments pour mettre vos gosses à la mine. D’abord, ils sont abrutis, ne savent plus lire ni compter… Ils font en plus des conneries dans la rue, brûlent des poubelles, tiennent les murs et halls d’immeubles ou encore jouent aux gendarmes et aux voleurs… Alors autant les faire bosser hein… Voilà une idée qu’elle est bonne. Alors bon, l’apprentissage, on le met à partir de quel âge ? 16 ans ? Non, trop haut… N’oubliez pas, il faut « revaloriser » l’apprentissage (avec un mot positif comme ça, vous ne pouvez pas être contre sinon vous êtes un terroriste). Alors pour revaloriser l’apprentissage, le mettre à partir de 14 ans c’est bien. Et puis dans 5 ans, l’apprentissage ce sera 12 ans… Mais vous devez comprendre qu’il « faut tout essayer contre le chômage » y compris des jeunes… en faisant bosser les gosses tant qu’ils ont de petits doigts pas des gros trucs boudinés comme les miens qui n’arrivent plus à rentrer du fil dans le chat d’une aiguille (oui ma maman m’a appris la couture, et je ne veux rien entendre)…
Non mais quand même, c’est pas pareil
Mais si c’est pareil, parce que nous sommes lancés dans une course totalement folle à la productivité, et vous croyez que c’est qui qui va la gagner la course à la productivité ? Nous, avec un droit social, des congés payés, des syndicats ou encore des gosses qu’on occupe plus ou moins mal à l’école avec des TAP à la con ? Ou les Indiens qui, eux, font bosser les gosses pour de vrai sans salaire minimum, sans législation protectrice et tout et tout ?
Évidemment, techniquement, tout le monde aura compris que c’est le moins disant qui l’emporte à ce jeu-là. Alors comment faire pour survivre avec notre droit social à nous ?
Simple. Mais alors simple comme bonjour les amis. Soit vous mettez des droits de douanes qui compensent ces différences de traitement social que l’on peut nommer « distorsions de concurrence »… Soit on ne fait rien et l’on continue à accepter les règles iniques de cette mondialisation et l’on met nous aussi nos gosses au turbin, d’où la « réforme » de l’apprentissage et la lente mais inexorable descente aux enfers de notre droit social et de nos avantages acquis… qui seront bien vite perdus.
Travail des enfants en Inde : des secteurs à risque à nouveau autorisés
C’est un article de l’excellent Courrier International qui nous apprend que « les défenseurs des droits des enfants ne décolèrent pas : le gouvernement indien a fait changer, le 13 mai dernier, la loi sur le travail des enfants votée en 2012. La liste des secteurs dits “à risque”, comme les exploitations minières, dans lesquels il est interdit d’embaucher des moins de 18 ans a été réduite pour permettre d’employer d’avantage de mineurs.
Par ailleurs, le nouvel amendement laisse la possibilité d’employer des enfants de moins de 14 ans dans l’industrie du divertissement et dans des entreprises familiales, définies de façon très floues.
Une décision qui représente un grand recul, selon les militants des droits de l’homme, rapporte le site indien The Wire, pour qui cet amendement “ouvre les portes de l’exploitation” malgré les amendes importantes prévues à l’encontre des employeurs contrevenants ».
Le prôôôgrèèèèès
Voilà le prôôôôgrèès qu’il faut bêler. Voilà l’avenir que l’on vous met en place alors que l’on occupe les masses à regarder The Voice. Du pain et des jeux… Mais surtout des jeux, car vous allez rapidement vous rendre compte que côté pain, cela va vite devenir la disette, ce qui est déjà le cas pour nos millions de compatriotes au chômage.
Oui le prôôôôgrèèès c’est faire bosser les enfants, oui le progrès c’est détruire l’école, oui le progrès c’est détruire les nations : l’idée c’est qu’il n’existe aucune entrave, aucune barrière aux profits des multinationales, et vous savez quoi ? C’est exactement ce qu’il se passe.
Il est déjà trop tard, préparez-vous.
Charles SANNAT
« À vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes » (JFK)