7 mai 2017, le peuple français est face à son destin : placé une nouvelle fois devant le choix entre un homme délicatement positionné comme un démocrate réformateur modéré et une femme fermement désignée comme à l’extrême-droite, il doit élire la personne qui ramènera le pays vers la prospérité et les vallées de lait et de miel ou se tromper et plonger le pays dans le chaos et l’opprobre.
Bien sûr, un choix aussi crucial pour le pays, aussi lourd de conséquences pour les cinq années de mandat, ne pouvait être présenté au peuple sans être accompagné de l’inévitable explication de texte, des sous-titres, des analyses et des exégèses puissantes que toute l’intelligentsia s’emploierait à fournir. Pendant la semaine qui précéda le vote et pour une presse très massivement portée à gauche, il ne fut plus question que d’une chose : lever une véritable armée de castors courageux chargés de construire un barrage à cette extrême-droite redoutée, et mener toute une phalange de citoyens-obstétriciens pratiquer, une nouvelle fois, une IVG rapide et définitive sur le ventre encore trop fécond de la bête immonde tralali tralala.
Les choses étaient d’ailleurs assez claires : d’un côté se trouvait un homme qui, s’il avait très manifestement trempé avec le capitalisme et la finance apatride mondialisée (pouah, quelle horreur !), se déclarait malgré tout démocrate, présentait bien, faisait assaut de progressisme dans ses déclarations et n’en constituait donc pas moins un vrai rempart contre, de l’autre côté, cette femme qui sentait la naphtaline des années Vichy, les heures les plus sombres de notre Histoire et ce mélange infâme – forcément infâme – de racisme, de xénophobie, de conservatisme et de populisme dont on savait déjà à l’époque (Trump venait d’être élu) qu’il ne menait qu’à des abominations.
Pour tous, ce second tour entre Marine Le Pen d’un côté et Emmanuel Macron de l’autre, c’était l’évidence d’une nouvelle bataille du Bien contre le Mal dans laquelle le choix se résumait entre un homme fringant qui saurait apaiser le pays et réformer raisonnablement et cette ultra-droite sécuritaire qui n’apporterait qu’un flicage permanent, un État forcément policier à la répression impitoyable, une restriction de liberté sans précédents dans l’Histoire de France (au moins), une fermeture des frontières, une sortie fracassante de l’Europe et un populisme à base de redistribution tous azimuts du pognon des autres.
Dans cette hystérie d’une semaine où le peuple se retrouvait à choisir entre le chaos et la continuité, toute la presse, tous les médias, tous les intellectuels en vue, tous les fins analystes se sont facilement retrouvés sur cette conclusion : face à la sale droite sécuritaire, il fallait voter pour Jupiter.
Vingt mois plus tard, le constat laisse quelque peu perplexe.
À moins d’une mauvaise foi confondante, il faut bien reconnaître que ce qu’on nous avait promis en cas d’avènement malencontreux d’une Le Pen au pouvoir est effectivement arrivé. A ceci près que le peuple a voté comme on lui a dit : à choisir entre la continuité et le chaos, il a choisi la continuité et a subi le chaos.
Le bilan est déjà désastreux : plongeant une fois encore, pour un énième mandat de cinq ans, dans une nouvelle bordée de socialisme à visage humain moins un œil, la France se retrouve avec un état policier et sécuritaire qui n’est que l’aggravation patentée de ce qui a été mis en place tant sous Sarkozy que sous Hollande et qui a même, depuis, passé la vitesse supérieure et ouvert les gaz (lacrymogènes) en grand.
Entre les consignes véritablement scandaleuses révélées par le Canard Enchaîné et passées au parquet pour le traitement spécifique des Gilets Jaunes, l’interdiction pure et simple de douzaines de manifestations sous des prétextes de plus en plus fallacieux, la restriction de la liberté de la presse au travers de lois de plus en plus nombreuses pour l’encadrer (fake news, lutte contre l’anonymat), difficile de ne pas voir les dérives de plus en plus graves d’un gouvernement complètement paniqué à l’idée de perdre le contrôle.
Faut-il s’appesantir sur la dernière tentative de musèlement de la liberté d’expression de la part du pouvoir lorsqu’il a tenté, il y a quelques jours, de faire disparaître un photomontage (visible ci-contre) détournant une célèbre photo de Pinochet en y incluant quelques membres du gouvernement et le président ? Dans une magnifique application d’effet Streisand, nos fabuleuses élites sont en train d’alimenter la rancœur qu’un nombre croissant de personnes développent à leurs égards.
Quant à la violence actuelle de la répression policière, on n’en doute encore que chez les ministres et une part maintenant minoritaire de certains journalistes bien en cour : entre les témoignages maintenant abondants et documentés des exactions policières et la simple analyse statistique des faits qui montre un décalage violent entre la façon dont sont actuellement gérées les manifestations des Gilets Jaunes et dont furent par exemple calmées les banlieues en 2005, se contenter d’expliquer ces exactions par une simple réaction à des manifestants trop violents revient à afficher au mieux une naïveté consternante ou, au pire, un aveuglement coupable devant une situation véritablement explosive.
Si on peut largement comprendre que la République ne doive surtout pas supporter le moindre casseur dans des manifestations, on se demande (rhétoriquement) ce que ces dernières manifestations ont de si spécial pour justifier l’usage massif des grenades et des LBD, alors que tant d’autres manifestations se sont auparavant aussi soldées par des bris, violences et autres dérapages sans que l’usage de ces armes ne soit à ce point répandu.
Du reste, ces LBD restent une particularité française : très peu d’autres pays l’utilisent pour les opérations de maintien de l’ordre des civils et seulement dans des cas très bornés et bien déterminés, pas de la façon aussi indiscriminée qu’actuellement en France (on évoque plusieurs milliers de tirs en deux mois). L’écrasante majorité des tirs est d’ailleurs réalisée par les unités de la BAC dont le rapport à la force et à la gestion des foules est très différent de celui que peuvent avoir des militaires comme les gendarmes.
Ce tableau d’un pays sombrant vers un État policier débridé ne serait pas complet si on n’y ajoutait pas les inévitables personnages hauts en couleur, baignant dans leurs contradictions et leur propre propagande dont le peuple commence à se moquer de plus en plus ouvertement.
En tête d’affiche, on retrouvera facilement l’actuel ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, dont la maîtrise communicationnelle et des expressions toutes faites est suffisamment médiocre pour embarrasser même le reste du gouvernement ; ses dernières saillies au sujet des radars ont ainsi réussi à prouver sans le moindre doute que ces dispositifs ne servent qu’à remplir les caisses de l’État et n’ont qu’une utilité sécuritaire tout à fait marginale.
Quant à son sous-fifre, le secrétaire d’État à l’Intérieur Laurent Nunez, ses déclarations s’empilent et ressemblent de plus en plus à celles d’un certain général irakien sous Saddam Hussein tellement ses compétences en matière de bobardages sont limitées.
Bref : s’il semble évident qu’une élection de Marine Le Pen aurait précipité le pays dans la crise tant ses mesures économiques sont aussi collectivistes que désastreuses, l’argument du « votez Macron pour éviter le chaos » semble à présent bien fallacieux. Deux ans de présidence jupitérienne donnent à voir un bien triste spectacle : la crise n’est pas encore économique mais elle est déjà politique, sociale et lourde de conséquences.
On a peut-être évité la catastrophe en ne votant pas pour Marine Le Pen, mais l’État policier tant redouté par tous ne se met pas moins en place sous Macron.