À mesure que la baudruche macronienne continue de se dégonfler mollement depuis le bourbier de la ZAD (dans laquelle les squatteurs obtiennent doucement gain de cause, au mépris de l’état de droit) jusqu’au conflit syndical en cours à la SNCF (dont les grévistes ont étendu leurs préavis), le gouvernement continue malgré tout sa marche à pas chaloupés vers le déploiement du prélèvement de l’impôt à la source…
Bel entêtement dont on se demande à quoi il rime, devant les multiples problèmes que comporte l’impôt français. Il faut en effet noter sa complexité qui se prête décidément fort mal à ce genre de transition fondamentale.
D’une part, il faut rappeler que cet impôt, au pays de l’égalitarisme vérifié de façon micrométrique, n’est absolument pas universel : par exemple, en 2015, seuls 45.5% des ménages français acquittaient l’impôt sur le revenu. Une majorité de foyers ne le payant pas, le prélèvement à la source promet quelques difficultés d’implémentation pour les services informatiques de Bercy, et surtout cela promet des douzaines de cas et de sous-cas complexes au niveau de la gestion comptable des entreprises qui sont, finalement, celles qui devront faire effectivement les calculs de prélèvement.
Au passage, l’Etat étant lui-même un employeur assez important dans le pays (soit directement dans ses administrations, soit indirectement au travers des entreprises nationalisées ou équivalentes), on peut s’attendre là encore à quelques moments de flottement : il faudra être particulièrement couillu pour parier que les administrations concernées, que les fleurons comme EDF, la SNCF ou la Poste seront capables de s’adapter à la nouvelle norme comptable sans le moindre souci.
D’autre part, l’impôt français n’est pas individuel mais se gère par foyer, ce qui promet là aussi des parties de plaisir au niveau des entreprises lorsque les deux époux y contribuent de façon très différente et qu’ils ne sont pas salariés dans la même société.
Enfin, l’impôt sur le revenu est perclus de niches, d’abattements et de calculs complexes, ce qui alourdit encore le problème pour les comptabilités des entreprises.
Au passage, on ne pourra pas se passer d’examiner l’impact sur ces entreprises de cette nouvelle charge de travail qui va leur incomber brutalement à partir du premier janvier prochain&bsp;: non seulement, ce n’est pas leur travail puisque c’est normalement l’une des fonctions régaliennes de l’État qui est ici relargué au secteur productif, mais surtout, cette collecte entraîne au moins deux effets néfastes prévisibles.
Le premier, c’est qu’une partie de la productivité des entreprises va devoir être utilisée pour faire cette gestion, lourde, complexe, et délicate. Outre qu’une erreur de prélèvement coûtera au contribuable, évidemment, mais aussi à l’entreprise – bonjour l’ambiance et risque même de placer l’un et l’autre dans les cibles privilégiées des contrôles fiscaux dont on sait qu’ils sont toujours lourdement à charge contre les uns et les autres, on peut raisonnablement imaginer que ceci va encore amoindrir la compétitivité des entreprises françaises qui vont devoir subir cette nouvelle charge paperassière énorme.
Le second effet, c’est que la collecte des informations pour réaliser le calcul de l’imposition placera les entreprises dans une situation très délicate puisqu’elles devront collecter et se porter garantes de données personnelles extrêmement sensibles. Il est presque garanti sur facture que ceci donnera lieu à des fuites d’informations personnelles retentissantes : si hacker Bercy représente, malgré tout, une certaine difficulté, la multiplication des points de collecte d’informations croustillantes revient à augmenter de façon énorme la surface d’attaque pour les personnes malveillantes.
Devant ces éléments il faudrait être particulièrement optimiste ou un peu fou d’imaginer qu’il n’y aura aucun souci : selon toute vraisemblance, la mise en place du prélèvement à la source sera émaillée de multiples soucis d’application.
C’est d’autant plus facile à comprendre qu’on ne peut, encore une fois, que rappeler le parcours particulièrement chaotique des administrations de l’État français en matière informatique : même si, individuellement, les informaticiens et autres équipes techniques qui travaillent derrière les rideaux ne sont pas condamnées à être plus mauvais que les autres de n’importe quelle autre organisation publique ou privée, force est de constater qu’à chaque fois que l’État français s’est mêlé d’informatique, cela s’est terminé en fiasco retentissant avec une facture finale assez velue pour le contribuable.
Sans même revenir sur le Plan Calcul, le Plan Informatique pour tous, les belles pages du rapport Théry de 1994 sur Internet, on se souviendra sans mal de Louvois, l’outil de gestion des soldes de l’armée, de la gestion informatique du RSI, consternante de médiocrité, de l’Opérateur National des Paies (ONP) qui est là encore une déroute fumeuse, ou le logiciel de gestion des détenus (Genesis), brochette de bugs en souffrance, ou plus récemment de l’ensemble du parcours d’inscription post-bac qui a donné lieu à d’abondantes crises de nerfs chez les futurs étudiants.
La probabilité que l’informatique de Bercy produise une application fiable et pratique, qui n’aboutisse à aucune erreur d’imposition (ou, soyons plus raisonnable, à un taux gérable de soucis) reste malheureusement faible, pour le dire gentiment.
Mais au-delà des bugs informatiques qui ne manqueront pas de rendre l’ensemble de l’opération quelque peu douloureuse pour les contribuables français, il faut ajouter l’aspect psychologique de ce nouveau prélèvement qui viendra gréver le salaire de tous ceux qui n’étaient pas mensualisés jusqu’à présent (en 2015 par exemple, 40% des ménages n’avaient pas adopté le prélèvement mensuel, chiffre en hausse depuis 2012, à 70.8%) : subitement, un nombre important de Français (pas de foyers) va découvrir son salaire mensuel amputé de 10% environ.
Il est probable que les habitudes de certains seront durablement modifiées.
En introduction, je parlais de « pas chaloupés » faits par le gouvernement dans l’introduction de cette réforme. Il faudra bien qu’ils le soient, tant la pilule risque d’être amère pour les Français, au point que le gouvernement envisage même une jolie campagne de propag-pardon de communication…
Et surtout, il ne vaudrait mieux pas qu’il y ait trop de bugs l’année prochaine. Après tout, c’est une année électorale…