Mes chères contrariées, mes chers contrariens,
Il faut relancer l'innovation.
Le rapport Gallois sur la compétitivité mettait en avant
la nécessité de relancer et de développer l'innovation
afin de redonner un élan aux entreprises françaises et donc
à l'emploi.
Pour cela, Monsieur Gallois préconise de renforcer les aides
financières via le « crédit impôt
recherche » pour faciliter et financer l'innovation.
L'idée est belle mais, hélas, l'innovation n'est pas
qu'une question d'argent, loin de là. Avant de détailler
quelques statistiques sur le nombre de dépôts de brevet dans le
monde et le classement par entreprise et leur nationalité, je
souhaitais vous raconter une expérience personnelle sur l'innovation
dans une grande entreprise française.
Ancien de BNP Paribas, je prendrai volontairement l'exemple de cette
société qui est l'une de nos championnes et qui est une grande
et belle société tricolore.
Quelques consultants grassement payés sont venus un jour dans
cette grande banque. Ils ont réuni quelques dizaines de personnes
pendant plusieurs mois. Au bout de ce travail... une démarche qui
devait permettre à tous les niveaux, même les plus bas, de faire
remonter des « propositions » d'innovations.
L'un de mes plus proches collègues de l'époque, encore
un peu jeune en terme de maturité et cherchant à se faire
remarquer par sa hiérarchie, pensait avoir trouvé le Saint
Graal en proposant de nombreuses innovations
« innovantes ». Comme il m'en parlait, je peux vous
assurer que ces innovations étaient globalement dignes
d'intérêt.
Un jour, son téléphone sonne. Le grand patron veut le
voir pour ses innovations. Il est très fier de lui et pense avoir
réussi son coup. Il a été remarqué.
Je ris sous cape avec un certain scepticisme et lui recommande une
certaine « sobriété ».
Il rentre deux heures après
totalement dépité et scandalisé. On lui avait
demandé ni plus ni moins que d'arrêter
de proposer des innovations car cela ne se faisait pas.
Il faut dire qu'au même moment le vraiment très grand
patron, c'est-à-dire le directeur général de la banque,
déclarait publiquement et très sérieusement que
« commencer à réfléchir, c'est commencer
à désobéir ».
Proposer des innovations c'est donc en réalité remettre
en cause le fonctionnement actuel d'une entreprise. C'est montrer que l'on
peut faire mieux et différemment. C'est donc une remise en cause du
travail forcément brillant du Politburo, pardon... de la sainte
hiérarchie.
Nier ce principe de base qui sape la créativité de nos
entreprises est faire une erreur fondamentale. Ce n'est pas l'argent pour
innover qui manque à nos entreprises. C'est la capacité de tous
à se remettre en cause et c'est bien sûr valable pour nos
patrons qui, de façon générale, ne supportent pas la
contradiction.
Vouloir innover, c'est commencer à mener une réflexion.
Innover c'est forcément réfléchir. Or, si on vous dit
que réfléchir c'est désobéir, innover devient de
fait une désobéissance intolérable. Par voie de
conséquence, l'innovation devient impossible.
Vouloir innover, c'est accepter qu'une idée puisse jaillir d'un
petit esprit, des sans-grade, des crétins
d'en bas... Or c’est bien connu, le crétin d'en bas doit savoir
rester à sa place. Le bon crétin d'en bas est celui qui se
tait. Combien de batailles ont-elles été perdues par des
généraux ou des politiques coupés des
réalités du terrain. Pourtant, étant le plus proche de
la réalité, c'est en général le crétin du
bas, méprisé par les « hautes instances »
qui a les meilleures idées.
Vouloir innover, c'est accepter de prendre des risques. Or prendre un
risque, c’est dangereux en soi mais dans le cadre de l’entreprise
c’est particulièrement nocif pour une carrière.
On reproche rarement à un directeur un choix sage et rationnel,
même s’il tourne mal ou n’apporte rien ou presque à
l’entreprise. On reprochera bien vite les initiatives qui seront vite
qualifiées d’hasardeuses ou d’agressives…
Cela nous amène vite à la situation suivante si bien
résumée par la citation : « Lorsque tu fais
quelque chose, sache que tu auras contre toi ceux qui voulaient faire la
même chose, ceux qui voulaient le contraire et l’immense
majorité de ceux qui ne voulaient rien faire. »
Il y a
plusieurs types d'innovations
L’innovation technique, l’innovation marketing,
l’innovation organisationnelle. Vous l’aurez compris lorsque
l’on parle innovation, on imagine avant tout une innovation technique.
Les innovations techniques sont essentielles bien évidemment et il ne
s’agit pas de dire qu’elles ne comptent pas.
Mon propos est juste d’attirer l’attention sur le fait que
les innovations marketing, c’est-à-dire la capacité non
pas du savoir-faire mais du faire-savoir, et que les innovations
organisationnelles sont également très importantes dans un
processus de compétitivité, puisque c’est bien de cela
que l’on parle ou en tout cas que l’on vise.
Savoir faire plus avec moins requiert de l’imagination, de la
créativité et donc fondamentalement de l’innovation. Or
nous pouvons tous constater à quel point les progrès sont lents
notamment dans l’administration qui, à l’ère du Web
2.0, continue à nous demander de remplir des formulaires papiers en
triple exemplaire avec des cases toujours trop petites par rapport aux
informations que l’on doit mettre dedans… Toujours pas de
signatures numériques, toujours pas de dématérialisation
ou très peu, pas d’automatisation mais des tâches
administratives absurdes qui n’ont plus aucun sens lorsque les
innovations techniques sont là. Elles sont là, les innovations
techniques. Elles ne sont pas utilisées ou sous-utilisées.
Je voulais juste pointer du doigt que la technique peut être
là, mais pas l’innovation organisationnelle et les deux sont
intimement liées.
Innover ce
n’est pas une question d’argent
Pour avoir pratiqué comme banquier nos amis d’OSEO ou de
l’ANVAR à l’époque, j’ai toujours
été ahuri par le gâchis énorme de l’aide
à l’innovation.
Une simple recherche sur Internet vous donnera le nom de dizaines de
sociétés spécialisées dans le racket
d’État, heu pardon, dans l’aide à l’obtention
de subventions.
Elles sont bien ces entreprises. Elles se font même
rémunérer à la commission. Un pourcentage des sommes
versées par l’état. 10 % par exemple. Aucun risque pour
l’entreprise qui les mandate qui ne paie rien si elle n’obtient
rien.
Mais comment voulez-vous choisir de financer tel ou tel projet ?
Sur la base de quels critères ? Pourquoi privilégier la
recherche sur telle voie technique plutôt que sur telle autre ?
Bref, des centaines de questions d’ordre technique et scientifique dont
la maîtrise n’est pas à la portée des hommes et des
femmes de ces agences gouvernementales.
Résultat de toutes nos politiques d’innovations ? On
saupoudre des milliers de projets de quelques dizaines de milliers
d’euros, tout en sachant que voir des subventions de 500 000 euros
pour un projet n’est pas rare du tout.
Ces 500 000 euros permettent souvent l’acquisition
d’outils de démarchages commerciaux comme une BMW série 5
dernier modèle en leasing… Au frais du
contribuable et au détriment de notre balance commerciale.
J’ai vu trop, beaucoup trop d’abus et pendant plus de 10
ans pour ne pas être désabusé par toute idée qui
consiste à dire que l’État, c’est-à-dire
nous, les contribuables, allons donner de l’argent à des
entreprises pour qu’elles innovent !!
L’innovation est un processus complexe et en
réalité l’argent y est totalement secondaire.
Enfin, vouloir investir l’argent des autres dans des projets qui
ne sont pas les siens n’a pas grand sens et ne peut pas donner de bons
résultats à l’arrivée.
Il ne faut pas être naïf. Cela ne marchera pas. La seule
chose qui puisse fonctionner, c’est de confier l’innovation
à des fonds de placements qui vont décider où investir.
C’est exactement le métier des « capitaux risqueurs ». Et jusqu’à
maintenant, ils l’ont toujours globalement bien fait.
Cette politique d’aide à l’innovation est donc une
tentative stupide de réinventer l’eau chaude avec des organismes
qui existent déjà et qui n’ont jamais permis
l’émergence d’une technologie ayant changé le
monde… mais qui nous ont coûté déjà des dizaines
de milliards pour pas grand-chose.
Mais on va recommencer avec les idées qui ne fonctionnent pas.
Lassant.
Charles
SANNAT
Directeur des Études Économiques Aucoffre.com
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