En ce petit matin tranquille de juin 2010, Ségolène Royal pétulait : grâce à ses vigoureux coups de menton en l’air, toute seule et avec tout plein d’argent pas venu de ses propres poches mais de celles du contribuable français en général et poitevin en particulier, elle avait réussi à sauver Heuliez. Trois ans plus tard, une froide soirée d’avril 2013, Heuliez dépose son bilan pour la troisième fois. Ségolène Royal se gratte nerveusement le lobe d’une oreille et change de sujet.
Rappelez-vous.
En juin 2010, après des mois de crise lancinante, le tribunal de commerce de Niort validait finalement la reprise de Heuliez par le groupe français Baelen Gaillard Industrie (BGI) pour les activités traditionnelles (emboutissage, carrosserie) et par l’industriel allemand Con Energy pour les véhicules électriques, notamment parce que cette reprise était accompagnée explicitement du soutien du Conseil Régional du Poitou-Charente dans lequel sévissait déjà Ségolène Royal.
Pour faire simple, la société initiale avait été scindée en deux entités. L’une conservait le nom de Heuliez et produisait des pièces pour les voitures. L’autre prenait le nom chantant de Mia Electric et fabriquait des véhicules électriques. C’est tendance, les voitures électriques, comprenez-vous : avec toutes ces méchantes particules PM10 puis PM2.5, l’atmosphère est devenu irrespirable, kof, kof, kof, et on a donc un besoin impérieux de produire en masse des véhicules électriques d’ailleurs réclamés à cors et à cris par des millions de consommateurs avides d’économies, d’air pur et d’oiseaux qui gazouillent.
Avec Ségolène qui s’était penchée de toute son auguste personne sur le berceau de la nouvelle aventure, on ne pouvait parier que sur une retentissante réussite avec des cris et des grincements de dents du champagne et des petits fours (le Conseil sait organiser de belles fêtes). D’autant qu’entre temps, la présidente du Conseil Régional a trouvé à se caser, rapidement, dans la nouvelle structure financière d’arrosage, la BPI.
Ce qui devait arriver arriva donc : la déroute, décontractée, tranquille, coûteuse, et sans le moindre petit mot de Ségolène.
Contrairement à l’agitation survitaminée dont la fière politicienne fit preuve jadis pour vanter les mérites des productions locales, écoconscientes et Grenelles-compatibles, les consommateurs n’ont pas suivi : Mia Electric n’a écoulé que 700 véhicules en 2012, très loin des … 12 000 (!) prévus et, surtout, du seuil qui permettrait de gagner de l’argent, équilibrer les comptes, voire faire des bénéfices, vous savez, ces notions un peu désuètes et sans intérêt pour nos amis socialistes lorsqu’il s’agit de l’argent des autres (mais bizarrement très pertinentes lorsqu’il s’agit de transferts d’un de leurs comptes vers un autre, de préférence en Suisse ou à Singapour). Pour Heuliez, après moult tractations, l’entreprise annonce donc déposer le bilan.
Et bien sûr, un désastre ne serait pas parfait sans qu’à la belle cuistrerie de son intervention médiatique initiale, la politicienne n’ait ajouté un bon paquet d’argent du contribuable. En effet, pas plus tard qu’en Février de cette année, elle avait décidé que le Conseil Régional pouvait très bien prendre une participation de près de 2.5 millions d’euros dans le groupe. Comme à son habitude, la Dame Aux Caméras n’avait alors pas pu s’empêcher d’expliquer son geste, et son entregent naturel aura fait le reste :
« C’est une prise de risque, mais, si extraordinaire que cela puisse paraître, je crois que ça va marcher »
Ah, sacré Ségo : il a fallu que tu t’y mettes, à corps perdu, et que tu engages ta fortune personnelle histoire de prouver au reste du monde que tu avais raison. Heu, hum, hum, non, pardon : tu devais bien savoir, au fond de toi, que tu es une tanche en économie (comme, du reste, tous tes petits camarades politiciens dont la vie en entreprise s’est toujours résumée, dans le meilleur des cas, à pantoufler dans l’un ou l’autre groupe détenu par l’État, sans risque); tu as donc largement préféré investir la fortune des autres, tes ouailles du Poitou, tant pour Heuliez avec cette participation-surprise que Mia Electric pour 5 (autres) millions d’euros (de plus). Et au fait, j’évoque les autres polytocards qui t’ont entourée pour tes frasques, parce qu’au passage, on retrouve, dans les actes de décret de la prise de participation, que ce sont aussi des gens de droite qui t’ont laissée faire tes patouillages rigolos et coûteux… C’était une prise de risque qui, aussi extraordinaire que cela puisse paraître, n’a pas marché du tout.
Il n’y a finalement guère de quoi rigoler devant le nouveau désastre de la politique industrielle française à la sauce politicienne. Les constats sont toujours les mêmes : l’outil industriel était probablement performants et pouvait se maintenir, à condition que l’entreprise ne soit pas consciencieusement matraquée d’impôts et de taxes. Plutôt que résoudre ce problème là, on aura préféré continuer à ponctionner quitte à distribuer des petites douceurs. Ces dernières ont en effet l’avantage d’être éminemment visibles et permettent d’ameuter le journaliste content de constater qu’on dépense l’argent public pour sauver des emplois. Et bien évidemment, le résultat, au bout de quelques mois, est parfaitement en ligne avec ce qu’on a pu observer pour d’autres polytocards : l’intervention est rapidement suivie d’un désastre.
(Au passage, cela peut se terminer en boucherie si on laisse Montebourg intervenir maintenant.)
Il faut se rendre à l’évidence : tout comme le minustre du Dressement Reproductif, Royal est parfaitement, totalement et complètement inutile et ne fait qu’accélérer le destin funeste des malades qu’elle touche. De ce point de vue, nos élus se comportent avec la plus totale inconscience, n’ayant jamais même pensé à remettre en question leurs actions, forcément bénéfiques puisqu’ointes du suffrage universel, démocratique et bisou-compatible. Pire encore, aucun affidé de l’inutile présidente ne lui aura fait le petit calcul pourtant simple de ce que représentent les 5 millions injectés dans Mia Electric ou des quasiment 2.5 placés dans Heuliez : combien d’actions sociales, combien de projets innovants, combien d’allègement de charges ou de ponctions supprimées ces sommes représentent-elles ? La Dame du Poitou aura en fait sciemment choisi d’arroser généreusement un arbre mourant plutôt qu’en laisser pousser de jeunes plus prometteurs. Oh, bien sûr, on nous badigeonnera les médias d’emplois sauvés lorsque l’arrosage aura eu lieu. Mais les quelques années gagnées pour ceux-là auront coûté combien d’emplois jamais créés dans des entreprises qui auraient pu, elle, passer sans problème le cap des trois ans ?
On en revient toujours à cette même question : si l’entreprise est viable, pourquoi y mettre de l’argent public ? Et si l’entreprise n’est plus viable, pourquoi y mettre de l’argent public ?