Dans un monde de monnaies-papiers, est-il possible
pour une banque centrale de se démarquer des autres en menant une politique
plus conservatrice et anti-inflationniste? Les vulnérabilités
inhérentes au système de banques à réserves
fractionnaires rendent une telle situation possible à court terme,
mais finalement intenable. C'est
bien ce que démontre l'histoire moderne du franc suisse.
La Banque nationale suisse (BNS) s'est tenue
à l'écart de l'exagération monétaire des autres
systèmes tout au long de la décennie 2000. En comparaison
à d'autres banques centrales, son bilan a très peu
augmenté (voir Graphique 1). En outre, le gonflement de ses actifs est
à attribuer à la décision en 2000 de
réévaluer l'or et les créances sur or à leur
valeur marchande. Ainsi, sur les onze années de janvier 1997 à
janvier 2008, la base monétaire suisse (billets en circulation et
réserves des banques commerciales) n'a augmenté que de 36%,
i.e. 2,9% l'an. Sur une période comparable, s'étalant sur les
huit premières années de l'euro de février 1999 à
février 2008, la base monétaire de la zone euro a grimpé
de 100%, i.e. 8% l'an.
Graphique 1
Actifs de la Banque Nationale Suisse, décembre 1996 –
décembre 2012.
Quelle récompense la BNS a-t-elle obtenue
pour son mérite? Avec l’éclatement de la crise
financière, le franc suisse est devenu une monnaie de
prédilection pour les investisseurs étrangers,
s'appréciant de 1,67 franc suisse pour 1 euro en octobre 2007
jusqu'à 1,13 franc pour 1 euro en juillet 2011. Cette
appréciation en tant que telle est sans intérêt. Le point
à souligner est qu'elle résulte d'importants flux de capitaux
vers les banques commerciales suisses. C'est ici que se cache une
véritable malédiction pour la BNS.
Les flux de capitaux étrangers ont
représenté un afflux de liquidités pour les banques
commerciales suisses qui échappait totalement au contrôle de la BNS.
L'apport de liquidités permettait aux banques de relancer l'expansion
de crédit. Pire encore, les banques s'exposaient au
phénomène de « hot money », selon
lequel les flux internationaux peuvent partir aussi vite qu'ils sont
arrivés, ce qui augmente ainsi le risque soudain d'illiquidité.
En somme, et c'est là tout le paradoxe, en
suivant une politique conservatrice, une banque centrale expose les banques
commerciales sous son autorité à un risque accru
d'instabilité. L'unique solution viable de long terme consiste
à changer de cap et à suivre la politique inflationniste des
autres banques centrales. C'est bien ce que la BNS a fait depuis juillet 2011
lorsqu'elle s'est mise à acheter massivement des euros sur le
marché pour déprécier sa propre monnaie. Une annonce
officielle a suivi en septembre 2011 pour expliquer que la BNS combattra
toute appréciation future du franc suisse au-delà de 1,2 franc
pour 1 euro.
Le bilan de la BNS a gonflé
considérablement suite à ce changement de politique (voir
Graphique 2). La base monétaire est passée de quelques 80
milliards en juillet 2011 à presque 350 milliards récemment. La
BNS s'est volontairement transformée en une agence de l'Eurosystème sur le territoire de la Suisse. Ce
changement de politique a été fort efficace, car il a
réussi à modifier les anticipations sur le marché : le
franc suisse s'est récemment déprécié à 1,23
franc pour 1 euro, éliminant ainsi le besoin d'interventions
officielles supplémentaires.
Graphique 2
Passifs de la Banque Nationale Suisse, décembre 1996 –
décembre 2012.
La Banque nationale suisse est insignifiante sur l'échiquier
de la finance internationale. Néanmoins, sa tentative de jouer à contre-courant dans un monde
inflationniste est riche d'enseignements. Premièrement, de nos jours
une banque centrale n'est pas libre de sa politique monétaire et, en
particulier, elle doit suivre la tendance inflationniste
générale. Deuxièmement, il en résulte qu'aucune
réforme monétaire visant à réduire l'inflation
globale ne peut réussir tant que les banques centrales ne retrouvent
pas leur liberté d'action. Or, cette liberté d'action est
entravée par le système de banques à réserves
fractionnaires et ses inhérentes vulnérabilités. La
réforme monétaire passe donc par une réforme bancaire au
préalable.
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