Billet paru initialement le 24.02.2016
Il y a un an, on découvrait avec autant d’étonnement que de
consternation que les comptes de la région Poitou-Charentes n’étaient pas
exactement taillés au cordeau et que le « volontarisme » de
l’égérie locale, une certaine Ségolène R., avait eu quelques effets de bords
douteux aux alentours de 132 millions d’euros. Depuis, une année s’est
écoulée et les audits se sont empilés qui ont largement confirmé les dérives,
et ce malgré les petits couinements stridents de l’ex-présidente d’alors. On
pourra y ajouter la déroute d’Heuliez et la récente mise aux enchères des MIAs électriques, ce qui place sous
les meilleures auspices les tractations en coulisse de l’actuelle ministre de
l’Ecologie pour entrer au PNUD, ce qui permettra à la tempête
française de prendre de redoutables dimensions internationales…
Les expériences apportent parfois d’éclatantes confirmations d’une
théorie, comme on a pu le voir récemment avec les ondes gravitationnelles
prédites par Einstein. D’autres fois, elles permettent d’établir des jalons
clairs d’échecs et de méthodes catastrophiques à ne surtout pas suivre. C’est
à ce moment qu’intervient Ségolène Royal.
Ségolène, c’est un peu notre synchrotron politique destiné à tenter toutes
les expériences, et notamment les plus foireuses, pour générer des milliards
de particules chargées d’argent public qui explosent en feux d’artifices
coûteux à chaque tentative.
Longtemps à la tête de la région Poitou-Charentes, elle
avait eu l’occasion de réaliser des prouesses. On se souvient notamment de
son empressement à intervenir, à fonds publics, pour sauver Heuliez, le
carrossier du cru qui fabriquait bus et petites séries automobiles.
L’entreprise, touchée par la fée Carabine, ne tardera pas à calancher définitivement dans des râles de douleurs en
2013. Depuis, la région se traîne la société d’économie mixte « Fabrique
régionale du Bocage », héritière de ce douloureux passif.
On pourrait aussi évoquer les faits d’armes de Ségolène lorsqu’elle lança
sa région dans la Mia Electrique, succès retentissant que le monde nous envie
d’avoir financé en pure perte. Il n’y a pas à dire, Ségolène sait y faire en
matière de finances. Peut-être son passage, aussi fulgurant que dévastateur,
dans la Banque Publique d’Investissement, lui a permis d’acquérir une solide
formation ?
En tout cas, à la faveur des dernières élections régionales, les exécutifs
des régions ont changé et leur « remembrement » administratif, qui
a fait dégringoler de façon délicieusement artificielle leur nombre de 22 à
14 au 1er janvier de cette année, a porté Alain Rousset à la tête de la
grosse région Aquitaine Limousin Poitou-Charentes (ALPC).
Alain Rousset est socialiste, ce qui aurait dû assurer une transition
calme. Malheureusement, la situation laissée par Ségolène Royal et
Jean-François Macaire, son successeur lorsqu’elle a rejoint son ministère,
était à ce point peu brillante que Rousset s’est fendu de quelques remarques
dans un récent entretien à La Nouvelle République.
Panique à bord : le nouveau président n’y va pas avec le dos de la
cuillère diplomatique puisqu’après examen des finances de la région, il y
aurait comme un bête trou de … 132 millions d’euros.
Fichtre, diable et sapristi, voilà qui fait désordre et qui ramène les
péripéties Heuliez et Mia au rang d’enfantillages badins. Et le pompon est
que ces douzaines de millions en souffrance sont liés à des factures en
attente de règlement : 62 millions en investissement et 70 millions en
fonctionnement, soit 132 millions reportés d’une année à l’autre, selon les
mots de Rousset. Pire encore : interrogé sur ce dérapage budgétaire, le
nouveau président est obligé d’admettre que « cette situation est
bien spécifique » au Poitou-Charentes, une région « qui
manifestait beaucoup de volontarisme et avait sans doute les yeux plus gros
que le ventre par rapport aux capacités de financement ».
Rooh. Qu’allez-vous penser là ? Comment imaginer, même une seconde, que sa
présidente serait partie, sabre au clair, petit poney dressé dans le soleil
levant, à l’assaut du monde entier sur fonds publics, et que, mu par
l’impulsion initiale, son successeur aurait poursuivi ses travaux babylonesques
? Franchement, c’est improbable, tant ce n’est pas le style de la maison,
hein !
Rassurez-vous cependant : grâce à d’habiles jeux d’écriture et à la
volonté farouche de l’exécutif actuel de tout bien payer comme il faut, « il
n’y a pas de problème de trésorerie. Le rattrapage est en train de se faire à
marche forcée. »
Ouf. On respire. On en viendrait presque à se demander comment le problème
a bien pu s’enkyster ainsi… Car oui, c’est bien d’enkystement qu’on parle
ici, puisque, selon les propres mots de Rousset, il y a comme un problème
d’endettement, notamment à cause d’emprunts structurés.
Des emprunts structurés ? Vous voulez dire, « structurés » comme
dans « toxiques » ? Oh, non, c’est vraiment trop injuste !
Pourtant, ce n’est pas comme si des maires et des départements ne
s’étaient pas lourdement plaints des dérives que ces méchants emprunts leur
avaient fait commettre, à leur insu et corps défendant bien sûr. Comment une
région aurait-elle pu leur emboîter le pas et trotter sur les mêmes pentes
visqueuses pour dégringoler aussi bas ? Surtout lorsqu’on est dirigé par une
si illustre ministre ?
D’ailleurs, cette dernière n’entend pas laisser l’infamie l’approcher !
Pour Ségolène Royal, aucun doute, il s’agit d’un règlement de compte ! Pour elle, toutes
ces révélations sont lamentables.
« C’est porter atteinte à la réputation de Poitou-Charentes et de ses
entreprises ! »
Pourtant, Rousset n’a nullement mis en cause ces entreprises, seulement la
représentation de l’État sur place, à savoir la Région Poitou-Charentes. En
réalité, il me semble qu’Alain n’attaque en rien la réputation du Poitou ou
de la Charente, ni de ses entreprises, mais fait simplement savoir que la
gestion de Royal et celle de Macaire est un peu « toute pourrite »,
laisse des trous et de vives questions en suspens, ainsi qu’une pelletée
d’emprunts toxiques.
À tel point que le Macaire en question n’a pas pu sauver sa délégation aux finances dans la
nouvelle assemblée territoriale de la grosse région ALPC, certains ayant
peut-être jugé que suffisamment de dégâts avaient déjà été faits.
De toute cette histoire, on pourrait tirer un amusant vaudeville à base
d’argent des autres dépensé ♩ avec
volontarisme ♪ dans des échecs certains et des futilités réjouissantes.
On pourrait aussi analyser l’ensemble sous l’angle des petites bisbilles
habituelles qui émaillent la vie politique française, fut-elle régionale, et
y déceler des retours de bâtons des uns envers les autres à la suite d’âpres
batailles électorales.
Certes.
Mais on pourrait aussi déceler un entêtant parfum de faillite.
Pour commencer, la faillite économique d’une région gérée
n’importe comment et dont les événements médiatiques les plus saillants
(Heuliez n’étant qu’un exemple parmi d’autres) cachaient mal les dérives
budgétaires répétées, et faites avec exactement la même désinvolture que
celle qu’on retrouve au niveau national, par un ex-mari qui n’avait pas pu se
retenir de balancer « Ça ne coûte rien, c’est l’État qui paye »
au milieu d’une tirade où il tentait de faire comprendre qu’une dépense au
niveau local serait de toute façon épongée par le niveau supérieur, sans
admettre (même implicitement) que ce sont précisément de telles manœuvres
qui, répétées, ont poussé la France dans le gouffre financier actuel.
Ensuite, la faillite morale, évidente, d’une élite
auto-proclamée incapable de prendre la responsabilité de ses erreurs. Je
rappelle, comme je l’avais écrit précédemment, qu’aucune
circonstance atténuante ne peut être trouvée pour les responsables politiques
qui ont contracté des emprunts toxiques : non seulement, ils ont parfaitement
compris ce qu’ils faisaient à l’époque, mais ils avaient toute latitude pour
se faire assister afin d’éviter l’enfumage bancaire, de même qu’ils avaient
toute latitude pour casser le contrat par la suite, ou prendre leurs
responsabilités le cas échéant. À chaque fois, ils se sont défilés, montrant
de façon claire ce qu’ils valaient, c’est-à-dire rien (ou alors, si, mais
dans des activités qui conduiraient n’importe quel chef d’entreprise en
prison).
Enfin, la faillite intellectuelle, la plus grave et de
loin, de ces dirigeants politiques qui ne sont pas plus capables d’admettre
ni (pire) de comprendre leurs errements passés. Ils se sont habitués par
facilité ou, dans certains cas, par une forme subtile de sociopathie à n’envisager le monde
qu’en termes aussi flous que possible surtout lorsqu’il s’agit de l’argent
public (qui, n’étant qu’aux autres, n’appartient donc à personne et peut être
dépensé sans vraiment faire attention), et d’autant plus que cette
approximation sert leurs intérêts, eux bien compris, bien cernés et bien
définis. Ne comprenant pas (ou ne voulant pas comprendre) pourquoi ils ont
failli, ils sont acculés à répéter inlassablement les mêmes gestes, les mêmes
raisonnements, et obtiennent les mêmes résultats catastrophiques.
La région Poitou-Charentes est ici un exemple presque caricatural de ces
trois faillites. Presque, parce qu’elle est une bonne illustration de ce qui
se déroule au niveau national.
Ce pays est foutu.