Si l’on s’en tient aux gros titres, la France est actuellement occupée à gérer plusieurs fléaux d’ampleur biblique contre son vivre-ensemble : l’anti-sémitisme, l’islamophobie et le travail le dimanche. Pour ainsi dire, à côté de ces cataclysmes civilisationnels, le naufrage à venir des retraites de millions de pensionnés actuels et futurs ne semble pas trop paniquer la presse.
Et si j’écris « naufrage », ce n’est pas parce que je suis un habitué de la caricature et de l’exagération, mais bien parce que les quelques articles qui évoquent le sujet, sous forme d’entrefilets, de brèves et de copiers-collers hâtifs et mal mis en forme, n’hésitent pas, eux, à employer ce mot.
Il faut dire que la situation prête assez difficilement à l’optimisme (ou alors en carry-trade et avec du Franc Suisse) : selon tous les observateurs un peu au courant, les syndicats de salariés et du patronat doivent absolument ouvrir de nouvelles négociations sur les retraites complémentaires pour trouver un accord permettant de sauver les caisses AGIRC et ARRCO, dont le passif s’élève actuellement à plus de cinq milliards d’euros.
Cet accord devra se traduire par (surprise !) une baisse des pensions, une augmentation des cotisations, un allongement de la durée du travail, ou un habile mélange de ces options, celle consistant à repousser le problème à plus tard grâce à un affreux bricolage n’étant pas encore (officiellement) à l’ordre du jour. Ces organismes ont d’ailleurs déjà poussé quelques propositions chiffrées afin de limiter la casse tant que c’est possible. Dans les expédients permettant de gagner du temps, on trouve ainsi la recommandation de moins revaloriser ou de complètement geler les pensions pendant quelques années, avec un impact financier fortement dépendant de l’inflation. Par exemple, si l’on part d’une hypothèse d’inflation à 1.75%, ces complémentaires espèrent économiser entre 1.3 et 1.4 milliards d’euros par an d’ici à 2020. Évidemment, avec l’inflation actuelle de … 0.1%, on imagine assez bien que l’économie en question risque d’être totalement absente.
D’autres propositions existent, toutes basées sur des hypothèses macro-économiques de croissance et d’inflation assez couillues pour que l’intervention inopinée de Chuck Norris ne soit pas totalement écartée, mais tous ces ajustements sont bien loin de permettre un équilibre des comptes qu’on sent de plus en plus difficile à atteindre. Les solutions réalistes, celles qui permettent réellement d’économiser plusieurs milliards à l’année nécessaires à combler les déficits, se résument à augmenter les recettes, diminuer les prestations et retarder autant que possible le moment où l’argent doit sortir de caisses de plus en plus vides.
Il faut dire que le pays vieillit et ces caisses subissent donc de plein fouet l’augmentation importante du nombre de retraités dont elles doivent verser les pensions. S’y ajoute la diminution des recettes liée à la baisse d’activité dans le pays, au point que les réserves, accumulées pendant les années où le nombre de cotisants était bien plus important, seront épuisées d’ici 2018. Heureusement, la loi Macron, grâce à son dimanche ouvré par paquet familial de douze, va remédier à … heu bon bref.
Le problème est donc aigu, et les seules solutions possibles et crédibles apparaissent déjà particulièrement douloureuses. Au passage, ces caisses s’occupant des salariés et des cadres du privé, on peut s’attendre à une totale absence de réaction de la part des salariés du public lorsque les règles de distribution vont encore changer. La solidarité et la joie du vivrensemble français est probablement à ce prix, n’est-ce pas, et l’égalité passera après.
En tout cas, on ne peut qu’admirer la retenue dont font preuve tous les organes de presse devant le désastre, pardon le naufrage annoncé. Quand bien même les négociateurs parlent (à l’instar de Jean-Louis Malys de la CFDT) d’« urgence absolue », chaque rare article évoque les négociations en cours, le combat entre les uns et les autres pour conserver ce merveilleux système de retraite par répartition que le monde nous envie moyennement, et sur les positions des différents syndicats, dont la fermeté, peut-être théâtrale mais cependant assez claire, laisse les journalistes de marbre et le cotisant inquiet. En effet, si l’on s’en tient à leurs déclarations péremptoires, grâce à des marges de manœuvres nulles et leurs positions indéboulonnables, les négociations permettront d’arriver (mais si, mais si !) à un compromis et donc, d’éviter la faillite pure et simple des deux caisses.
Autrement dit, c’est la panique, la faillite se rapproche, les seules solutions opérationnelles sont à la fois douloureuses et inenvisageables, mais grâce à d’âpres compromis que chacun s’empressera de dénoncer, les choses continueront de fonctionner comme prévu. Il n’y a donc pas lieu ni de s’inquiéter, ni de le relater dans les journaux, ni d’inquiéter le cotisant ou le pensionné.
Et c’est probablement pour ça que seuls de petits entrefilets et quelques discrets articles relatent ces péripéties avec les retraites complémentaires … ou que des articles encore plus discrets retracent les difficultés de plusieurs régions à verser des pensions aux retraités sous leur responsabilité.
Pourtant, lorsque plus de 3000 jeunes retraités du Nord, de la Picardie et du Languedoc-Roussillon ne touchent pas de pensions depuis Novembre, on serait en droit d’attendre l’un ou l’autre reportage télé un peu lacrymal, et quelques déclarations courroucées d’élus attentifs en pleine session à l’Assemblée Nationale. Pardi, c’est le petit peuple qu’on fait attendre ! C’est nos anciens qu’on enquiquine ! Et alors que ces derniers ont versé, religieusement, toutes leurs cotisations, les prestations n’arrivent pas.
L’explication fournie par les caisses (primaires, cette fois-ci) est simple : le papy-boom a fait exploser le nombre de dossiers, les systèmes informatiques et les ressources humaines de ces pauvres institutions ! Pas de quoi, donc, fouetter un chat, fut-il grabataire : n’y voyez-là aucun problème de trésorerie, mais une simple péripétie d’ajustement à la nouvelle donne papyboomesque, qui sera résorbée fin mars selon les institutions concernées.
On attendra fin mars pour en savoir plus, et constater évidemment le retour à la normale. Quand aux caisses complémentaires, elles ont encore de nombreux mois pour trouver un accord et sauver les meubles.
Tout va bien se passer.
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