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Le lecteur néophyte qui arrive pour la première fois sur le
site du QL se dit probablement, que ce soit avec un sentiment de
dédain ou d'approbation: « Ah, tiens, un site qui défend des
idées de droite. » Ce lecteur n'a pas tout à fait tort.
On retrouve en effet, dans le QL, beaucoup plus de
dénonciations de la gauche que de la droite. Dans le présent numéro par
exemple, Mickaël Mithra explique que les véritables dangereux extrémistes sur
l'échiquier politique français ne sont pas les partis de la droite
nationaliste qu'on a identifiés à tort comme des partis fascistes, mais bien
les communistes trotskistes (voir FRANCE: QUI SONT LES
VÉRITABLES EXTRÉMISTES?). Michel de Poncins
conclut quant à lui sa chronique critiquant la fausse droite au pouvoir en
France par un « Vivement la Libération avec un vrai pouvoir de droite!
» (voir PRIVATISER
L'ÉDUCATION POUR GAGNER 50 MILLIARDS).
Si le
gouvernement de Chirac et Raffarin représente la fausse droite, que serait
alors un « vrai » gouvernement de droite? Un gouvernement dirigé
par Le Pen? Tout dépend bien sûr de la définition que l'on donne au mot «
droite ». S'il s'agit d'un synonyme pour « libéral » ou «
libertarien », alors la réponse est non. Un gouvernement
du Front National s'attaquerait sans doute à certaines vaches sacrées du
modèle français, mais il imposerait de nouveaux contrôles et il n'est pas
clair que les Français se retrouveraient avec un État vraiment réduit et plus
de liberté en bout de ligne. En réalité, parmi toutes les factions de ce
qu'on appelle la droite française, une minuscule partie seulement s'identifie
clairement aux valeurs libérales.
Ceux
qui ont lu ma page
biographique savent que j'ai déjà milité pour le Parti réformiste du
Canada (maintenant fusionné dans le Parti conservateur du Canada), un parti
considéré par tout le monde comme étant à droite. Et pourtant, j'ai aussi
écrit des éditoriaux qui dénonçaient les positions de la droite, par exemple
sur la guerre en Irak (voir LA DROITE SUCCOMBE À L'HYSTÉRIE GUERRIÈRE, le QL,
no 90). Les
positions actuelles de la droite néoconservatrice canadienne et américaine me
répugnent d'ailleurs autant que les utopies des illettrés économiques de la
gauche.
Le
présent numéro contient aussi une critique du corporatisme, une idéologique
étatiste associée à la doctrine sociale de l'Église dans
l'entre-deux-guerres, et qui a eu une influence considérable au Québec (voir PIE XI, LE CORPORATISME ET
LE FASCISME). Il s'agissait de toute évidence d'une pensée de droite;
mais étrangement, on en retrouve les principaux éléments dans la
social-démocratie consensuelle – une idéologie de gauche – qui domine la
politique québécoise depuis trente ans, que l'un ou l'autre des deux
principaux partis soit au pouvoir (voir PQ VS PLQ: UN CHOIX ENTRE DEUX
CORPORATISMES, le QL, no 66).
Gauche, droite, gauche, droite...
Ce problème de définition revient fréquemment dans les débats
politiques. La plupart des gens ne savent en fait pas trop ce qui distingue
la gauche de la droite sur le plan idéologique. Ils s'identifient
intuitivement à un camp pour toutes sortes de raisons pas toujours très
explicites, et considèrent automatiquement l'autre comme l'ennemi.
Le
problème vient du fait que la droite et la gauche partagent aujourd'hui
toutes les deux une vision collectiviste et étatiste du monde. Le discours
varie bien sûr un peu. La gauche défend une étatisation accrue de l'économie
et la redistribution des richesses, tout en prétendant soutenir une plus
grande liberté sur le plan social. Lorsqu'elle est au pouvoir cependant, elle
intervient autant pour réglementer l'économie que pour imposer sa vision
sociale idéale (par exemple, en imposant des quotas raciaux, un
protectionnisme culturel, en réduisant la liberté d'opinion ou d'association
de ceux qui ne partagent pas l'orthodoxie politiquement correcte,
etc.).
La droite quant à elle prétend défendre le libre marché mais
se gêne moins pour préconiser l'utilisation des pouvoirs coercitifs de l'État
dans le but de maintenir les valeurs dites traditionnelles qu'elle défend et
une vision souvent belliciste des rapports internationaux. Dans les faits,
les gouvernements de droite sont la plupart du temps aussi interventionnistes
que ceux de gauche.
La
politique américaine en donne un exemple frappant. En plus de mener des
guerres inutiles et de réduire la liberté des Américains au nom de la
sécurité et du « conservatisme de compassion »,
George W. Bush a déjà gonflé l'appareil bureaucratique fédéral américain et
les dépenses de l'État plus que son prédécesseur Bill Clinton. Il a créé la
plus grosse bureaucratie (le super ministère de la Sécurité intérieure) et le
plus gros programme social (financement des médicaments pour les personnes
âgées) depuis des décennies. Il cède aussi plus facilement aux pressions des
lobbys protectionnistes, comme ceux de l'acier. Depuis quelques semaines, de
nombreuses voix se sont élevées parmi les conservateurs qui avaient appuyé
l'élection du président, pour dénoncer cette dérive vers un étatisme de
droite (voir par exemple le nouveau magazine de
l'American Conservative Union, dont le but est de redonner ses lettres de
créances à la droite qui favorise un gouvernement limité, contre un Parti
républicain devenu social-démocrate). Mais faut-il vraiment s'en
surprendre?
Les libertariens ont été et sont encore souvent identifiés à
la droite parce que dans la dynamique politique de l'après-guerre et jusqu'à
l'effondrement de l'URSS, ce sont les communistes qui constituaient la
principale menace à la paix mondiale et à la liberté. Ils ont en grande
majorité préféré s'associer à une mouvance de droite qui acceptait la démocratie
libérale et se disait en principe favorable à l'économie de marché qu'à une
mouvance de gauche qui sympathisait avec les communistes et qui souhaitait
une croissance rapide du poids de l'État.
En
France, les communistes restent une menace réelle. Cela explique sans doute
que nos collaborateurs et sympathisants français aient plus tendance à
s'identifier comme étant à droite de l'échiquier politique, malgré les
divergences de vue qu'ils continuent d'avoir avec les principales factions de
la droite. En Amérique du Nord, y compris au Québec, l'extrême gauche n'a
toutefois pratiquement aucune influence. Et il est loin d'être clair que
c'est encore la gauche qui menace le plus la liberté. Autant à droite qu'à
gauche, les politiciens ont des réflexes étatistes. Pour un libertarien, c'est le choix entre Charybde et
Scylla.
Ni gauche, ni droite
Dans des situations de crise, les alliances politiques sont
parfois inévitables. Lorsqu'aucun des partis en lice n'offre une option
clairement libérale, on vise tout de même le moindre mal. Mais dans la
situation actuelle, le moindre mal devient de plus en plus difficile à
identifier. George W. Bush, l'étatiste de droite, s'avère une plus grande
menace à la liberté des Américains et à la paix mondiale que ne l'a été Bill
Clinton, l'étatiste de gauche. Malgré tout le respect que j'ai pour lui, je
suis loin d'être certain qu'un gouvernement dirigé par mon ami Stephen Harper
fera du Canada un pays plus libre. À voir à quel point il aligne ses
positions sur celle de Bush depuis deux ans, il est à craindre qu'un
gouvernement conservateur canadien s'emploiera surtout à faire du Canada une
province docile de l'empire belliqueux au sud. C'est
en effet la même philosophie néoconservatrice qui domine aujourd'hui le Parti
républicain aux États-Unis et la droite au Canada anglais.
Dans le
petit texte définissant la mission du QL qui a longtemps été sur la
page d'accueil, nous disions que le QL « défend la liberté
individuelle, l'économie de marché et la coopération volontaire comme
fondement des relations sociales. Il s'oppose à l'interventionnisme étatique
et aux idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui
visent à enrégimenter les individus. »
Il est
peut-être temps pour les libertariens, à tout le
moins en Amérique du Nord, de prendre à la lettre cette définition et de se
dissocier complètement de la droite. Gauche et droite ne sont plus que les
deux revers de la même médaille étatiste. Non seulement n'aide-t-on pas à
l'avancement de la liberté en appuyant la droite politique, mais les millions
de gens pour qui tous les partis et mouvements politiques ne sont que du
pareil au même ne verront jamais la pertinence de notre philosophie si les libertariens continuent à se percevoir comme une simple
faction de la droite. Le défi pour les libertariens,
dans les années qui viennent, sera de susciter un réalignement politique de
façon à se distinguer comme la seule véritable alternative: d'un côté, les
étatistes de gauche et de droite; de l'autre, les défenseurs de la liberté,
de la prospérité et de la civilisation.
Martin Masse
Le Quebecois Libre
Martin Masse est né à Joliette en 1965. Il est
diplômé de l'Université McGill en science politique et en études
est-asiatiques. Il a lancé le cybermagazine libertarien
Le Québécois Libre en février
1998. Il a été directeur des publications à l’Institut économique de Montréal
de 2000 à 2007. Il a traduit en 2003 le best-seller international de Johan Norberg, Plaidoyer
pour la mondialisation capitaliste, publié au Québec par l'Institut
économique de Montréal avec les Éditions St-Martin et chez Plon en France.
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