D’un point de vue libéral, le débat européen
actuel autour de l’austérité semble se limiter au choix
entre la peste et le choléra: augmentation des recettes fiscales ou
relance par la dépense publique? Mais le plus étrange dans
cette polémique est que les opposant aux
mesures d’austérité se présentent comme les
partisans de la croissance.
Certes, il semble évident que la capacité des pays
européens à faire face à leurs dettes passe par une reprise
de l’activité économique. Mais n’est-il pas tout
aussi évident que celle-ci implique de renoncer aux deux
prétendues solutions proposées – et même
d’aller en sens inverse, vers plus de liberté
économique ?
Il y a quelques années, alors que je venais de faire une longue présentation,
pleine de définitions théoriques, d’explications de
mécanismes et d’analyses de données, un
élève finit par me dire : « Bon, les gens
créent plus de richesses s’ils sont libres de
s’enrichir… c’est assez évident,
non ? » De fait, cela devrait l’être. Mais je ne
suis malheureusement pas certain que cette quasi-tautologie ait bien
pénétré tous les esprits.
Une présentation plus évidente encore, ou du moins plus
intuitive, de cette vérité est rendue possible par la carte suivante.
Elle est extraite du rapport 2013 sur la liberté économique produit par
la Heritage Foundation).
Chaque année , cette institution calcule un
indice prenant en compte des éléments tels que le respect des
droits de propriété, le poids de l’État dans
l’économie, la réglementation du marché du
travail, ou encore l’ouverture internationale. Le score obtenu permet
alors de classer les États du monde en fonction de leur liberté
économique.
Sur la carte, les économies les plus libres sont en vert. À
mesure que l’on passe au jaune, à l’orange et au rouge, la
situation se dégrade. Et qu’observe-t-on ? Que les pays
où la liberté économique est la plus grande sont aussi
ceux où la prospérité est la plus grande :
Amérique du Nord, Europe du Centre et du Nord, Australie et
Nouvelle-Zélande, Japon. À l’inverse, les pays moins
riches sont aussi ceux où l’enrichissement est le plus
empêché, à commencer par ceux d’Afrique.
Il est évidemment
impossible d’étudier ici en détail le rapport précédemment
cité. J’insisterais néanmoins sur trois points. Le
premier est que, contrairement à ce que l’on pourrait penser,
les pays scandinaves sont économiquement très libres
(comparativement au reste du monde.) Pour preuve, le Danemark est la 9ème
économie la plus libre d’après cet indice, devant les États-Unis
(10ème) ou le Royaume-Uni (14ème). La
Finlande est 16ème , devant les
Pays-Bas (17ème) ; la Suède est 18ème,
devant l’Allemagne (19ème). La Norvège est 31ème,
devant la Corée du Sud (34ème). En 62ème
place, la France est, elle, considérée
« modérément libre. »
Cela importe parce que l’on entend souvent dire que les dépenses
publiques comptent pour une plus grande part des économies nationales en
Scandinavie qu’en France, que les pays d’Europe du Nord ont
notamment des États-providences plus développés que le
nôtre, et qu’ils s’en sortent pourtant au moins aussi bien
en termes de PIB/habitant. On en tire alors argument pour dire que
c’est l’intervention de l’État, et notamment les
dépenses sociales, qui soutiennent la croissance. Mais c’est que
l’on prend les choses à l’envers. C’est parce
qu’ils ont des économies très libres que ces pays peuvent
supporter le poids de leurs États et de leurs systèmes de
protection.
Pour preuve, voici un extrait tiré du rapport cité
concernant la Suède :
« Malgré un haut niveau de dépense publique en
programmes sociaux, les politiques économiques menées par la
Suède au cours de la décennie passée ont visé
à transformer le secteur public en le réduisant et en améliorant
son efficacité. Des réformes fiscales décisives, qui ont
placé le taux d’impôt sur les sociétés
à un niveau compétitivement bas, ont amélioré la
productivité du secteur privé.
La résilience économique de la Suède est soutenue depuis longtemps par de solides
fondations de liberté économique. Le système judiciaire,
indépendant et libre de corruption, y protège fortement les
droits de propriété et maintient l’État de droit.
L’économie est ouverte au commerce et à
l’investissement extérieur, et un haut degré de
transparence et d’efficacité réglementaire encourage un
vif entrepreunariat. La stabilité
monétaire est bien maintenue et les pressions inflationnistes sont
sous contrôle. »
Le deuxième point sur
lequel on peut insister est que la liberté économique fait une
différence très nette entre des pays par ailleurs comparables. Septième
économie la plus libre du monde, le Chili a un PIB/hab. de 18 400
$. Son voisin bolivien (156ème) n’a lui que 5 000$
de PIB/hab. Assis sur une manne pétrolière, le Venezuela, 174ème,
n’a pourtant un PIB/hab. que de 13 200 $. (données issues
du CIA Wordlfactbook
Certains voudront remarquer que,
160ème, l’Argentine a tout de même 18 200
4 de PIB/hab. À quoi je
rétorquerais que la donnée précédente est tout
à fait fantasque, le PIB/hab. argentin étant calculé sur
la base d’un taux d’inflation largement sous-estimé, et
donc grossièrement gonflé.
Enfin, si la géographie
n’est pas votre passion, le nom du seul pays
« vert » d’Afrique ne vous vient peut-être
pas à l’esprit. Il s’agit du Botswana, qui a la particularité d’être le pays ayant
connu le plus de croissance au monde
au cours de la décennie passée. Les connaisseurs diront que le
Botswana est riche en diamants. Certes, mais le Congo aussi ; tout comme
la Centrafrique… Sans liberté économique qui permette
d’en faire des richesses pour le pays, de telles ressurces
naturelles s’avèrent en fait une malédiction (les
économistes anglophones parlent alors de « resource curse »).
Si cela n’était
déjà évident par soi-même, il semble que
l’on devrait conclure de ces vérifications empiriques que la
voie de la croissance est celle de la liberté économique. Pris
dans leurs débats stériles entre recettes fiscales et
dépenses publiques, les États européens feraient bien,
à commencer par la France, de s’en inspirer.
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