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Le
Québec a soudainement été plongé dans une
période d'effervescence politique, il y a deux mois, lorsque l'Action
démocratique du Québec a fait élire un second
député à l'Assemblée nationale lors d'une
élection partielle dans le comté de Saguenay, jusque-là
un château fort péquiste. Depuis 1994, l'ADQ n'avait
été représentée que par son chef, Mario Dumont.
La jeune formation semblait destinée à demeurer marginale,
fautrice de troubles pour les deux grands partis mais incapable de faire une
percée réelle.
À
moins d'avoir une base régionale où sont concentrés ses
appuis, il est en effet presque impossible pour un petit parti d'effectuer
une percée importante dans un système électoral
uninominal à un tour comme le nôtre. Seuls des bouleversements
politiques importants, telle l'émergence du mouvement
séparatiste dans les années 1960 et 1970, permettent à un
nouveau parti de briser l'équilibre des forces dans un tel
système bipartiste.
Il y a 32 ans, le Parti québécois faisait lui-même une
première percée qui allait lui permettre de prendre le pouvoir
six ans plus tard et de remplacer l'Union nationale (qui avait
elle-même remplacé le Parti conservateur une
génération plus tôt) comme alternative au Parti
libéral, le parti avec la plus longue histoire au Québec.
Aujourd'hui, après deux mandats, trois chefs et une seconde
défaite référendaire, le PQ semble être pris dans
un cul-de-sac et ses dirigeants cherchent frénétiquement un
moyen de relancer la ferveur séparatiste qui sous-tend sa raison
d'être. Il semble que nous soyons dans l'une de ces phases où
quoi qu'il propose et qu'il fasse, le gouvernement est déjà
battu. Il a perdu la confiance d'une majorité des électeurs,
qui n'écoutent plus, ne veulent pas entendre parler de
référendum et souhaitent simplement un changement.
Ce qui rend la situation plus corsée, c'est que cette descente aux
enfers du PQ ne profite pas vraiment aux libéraux mais se conjugue
avec un intérêt soudain pour l'ADQ, et que tous les
éléments sont en place pour que l'on assiste à l'un de
ces bouleversements politiques périodiques. Dans les sondages des
dernières semaines, le PQ se retrouve au 3e rang, avec 20 à 25%
des voix, alors que l'ADQ et le PLQ se disputent le premier, avec 30 à
35% chacun. L'ADQ pourrait faire élire d'autres députés
lors des quatre élections partielles qui auront lieu le 17 juin. Si
cette tendance se maintient, un petit parti jusqu'ici assez marginal, avec un
chef de 33 ans, pourrait donc devenir l'opposition officielle, ou même
former le prochain gouvernement, après les élections
provinciales qui auront lieu probablement l'an prochain.
Au-delà de ces considérations qui font les choux gras des
politicologues, ceux qui souhaitent une réduction du rôle et de
la taille de l'État québécois s'intéresseront
tout particulièrement à ce phénomène. Le
programme de l'ADQ propose en effet une série de réformes
plutôt audacieuses dans le contexte politique québécois:
mise en place d'un impôt à taux uniforme de 20% pour remplacer
l'impôt progressif; remise en question de la Formule Rand et des
privilèges des syndicats; réduction de 25% du nombre de
fonctionnaires, couplée avec une décentralisation et débureaucratisation des programmes de
l'État; introduction de bons d'éducation pour permettre une
plus grande compétition entre les écoles et un meilleur choix
pour les parents; plus grand rôle pour le secteur privé dans la
prestation des soins de santé.
Toutes ces mesures vont certainement dans la bonne direction. Mais peut-on
vraiment faire confiance à l'ADQ pour qu'elle amorce la
désétatisation de la société québécoise?
Contradiction
potentielle
Tenter
d'évaluer le programme d'un parti politique, alors qu'on souhaite
l'abolition ou la réduction la plus draconienne possible de l'aire du
politique, nous met potentiellement en contradiction avec nos convictions.
J'étais, il y a quelques années, beaucoup plus naïf
qu'aujourd'hui concernant la capacité de changer les choses de cette
façon. Mais on apprend beaucoup de choses en faisant de la politique.
On se rend compte que la plupart des politiciens et des militants sont
confus, que les plus motivés le sont bien peu par principe mais
surtout dans l'espoir d'obtenir un poste, de faire valoir leur ego ou
d'obtenir un avantage quelconque. On constate que les principes sont toujours
flexibles et que le réflexe premier du politicien est de plaire
à ses supporters et aux électeurs, et non de rester
cohérent. D'ailleurs, le politicien qui cherche à être
trop cohérent se fait rapidement rappeler à l'ordre. Je me
souviens par exemple de cette réunion où, comme candidat, je me
suis mis à dos mes organisateurs en refusant de défendre une
position dans un dossier chaud qui contredisait tout à fait non
seulement le programme du parti mais mes propres convictions, une position
qui avait toutefois l'avantage d'être populaire dans cette
circonscription...
C'est ce qui m'amène à demeurer sceptique aujourd'hui devant
cet engouement soudain pour l'ADQ. Oui, le programme de l'ADQ contient bien
quelques propositions intéressantes, mais il reste un fourre-tout qui
vise à plaire à tout le monde et à son voisin. Selon
l'évaluation qu'ils font de l'humeur politique du jour, Mario Dumont
et son équipe mettront l'accent sur leur volonté de réduire
l'interventionnisme de l'État, ou inversement sur les multiples
nouveaux programmes qu'ils proposent d'instaurer. Si on cherche à y
voir une cohérence, on ne peut que se fourvoyer. C'est ce qui m'est
d'ailleurs déjà arrivé.
Il
y a quatre ans, après un congrès d'orientation de l'ADQ,
j'écrivais dans un édito du QL qu'il était «
impossible de trouver une seule trace de penchant libertarien
ou de conservatisme économique dans ce programme. On y reconnaît
au contraire la démarche classique des étatistes: identifier
toutes sortes de manques et de défectuosités, toutes sortes de
déchirures dans le "tissu social", et proposer des
programmes bureaucratiques pour les solutionner. » (voir L'INUTILITÉ
DE L'ADQ, le QL, no
21).
Deux mois plus tard, pendant la campagne électorale de l'automne 1998,
je constatais que Mario Dumont tenait cependant des propos beaucoup plus
fermes que ses deux adversaires dans le sens d'une réduction du
rôle de l'État, et qu'on pouvait donc, « sans
se faire trop d'illusion sur ce qui arrivera par la suite – les virages
sont fréquents en politique québécoise – appuyer
une démarche qui va dans le bon sens. » (voir COMMENCER
À CHANGER LES CHOSES AVEC L'ADQ, le QL, no 25)
Mais un an plus tard, à la suite d'un autre congrès, je
concluais que les adéquistes
s'étaient surpassés dans la dérive idéologique et
les futilités politiques en proposant des dizaines de nouveaux
programmes pour acheter les électeurs, notamment les jeunes. «
Un parti qui s'abaisse à ce genre de tactiques et de discours
n'a tout simplement rien de bon à offrir, quoi qu'on puisse trouver de
pertinent dans le reste de son programme. C'est plus que de
l'incohérence, c'est de la stupidité. »
(voir LES TI-CULS DE L'ADQ, le QL, no 48).
L'ADQ
du tout ou rien
La
réalité est bien sûr que l'ADQ, c'est tout cela. Si un
gouvernement adéquiste décidait de
concrétiser toutes, et uniquement, les parties de son programme qui visent
une réduction du rôle de l'État, nous aurions une
véritable petite révolution. Si au contraire il allait de
l'avant avec ses propositions étatistes, nous aurions simplement un
autre gouvernement social-démocrate et interventionniste. Et on peut
prévoir que la réalité ressemblera plus au second
scénario.
Nous sommes conditionnés à penser que tout est politique, que
les problèmes sont causés par la politique et donc que les
solutions viendront de la politique. Mais l'histoire nous montre qu'il est
illusoire d'espérer que c'est par la politique que l'on pourra
s'attaquer à la politique, que ce sont des politiciens qui, en
s'appuyant sur des principes, réduiront
délibérément la taille de l'État et par le fait
même la base de leur pouvoir. Ce n'est encore jamais arrivé.
L'ADQ n'est pas le premier parti en Occident à proposer ce genre de
solutions, d'autres l'ont fait et semblaient avoir des intentions beaucoup
plus fermes. Mais même les Ronald Reagan, Margaret Thatcher, Mike
Harris ou Vaclav Klaus n'ont pas réussi à diminuer la taille de
leur État malgré les quelques réformes ou
réductions d'impôt qu'ils ont pu instaurer.
Qui plus est, l'ADQ ne peut pas vraiment compter sur un véritable
mouvement intellectuel et social pour l'appuyer et la pousser dans ce sens.
Son programme socio-économique reste méconnu du grand public.
La plupart de ceux qui s'apprêtent à voter pour l'ADQ sont
désabusés du PQ, ne font pas confiance aux libéraux,
sont d'abord des nationalistes mous qui veulent du changement et qui trouvent
Mario Dumont sympathique. Que se passera-t-il lorsqu'un premier projet de
désengagement de l'État adopté par un gouvernement
Dumont provoquera une levée de boucliers chez les parlotteux
médiatiques, les syndicats et tous les lobbys de parasites qui
profitent de la manne étatique? Les adéquistes
auront-ils des principes assez bien ancrés pour s'aliéner tout
ce beau monde – dont une bonne partie de leurs électeurs –
en allant de l'avant avec des réductions de dépenses, des coupures
de postes, des abolitions de programmes, des privatisations de
sociétés d'État, des éliminations de programmes
de subventions, etc.? Difficile à croire dans le contexte actuel...
Je ne cherche pas délibérément à
décourager tous ceux qui, en ce moment, mettent leurs espoirs dans
l'ADQ pour changer les choses au Québec. Plusieurs de mes amis qui se
disent libertariens, ou qui ont un penchant pour
les solutions qui font appel au libre marché, sont d'ailleurs
présentement impliqués dans l'ADQ. Moi aussi j'espère
que les choses vont s'améliorer, et comme la révolution libertarienne n'est pas pour demain, il faut compter sur
des réformes partielles entre-temps. Mais on s'illusionne en pensant
que c'est en militant dans un parti politique qu'on fera le plus avancer les
idées libertariennes au Québec.
Comme je l'expliquais le mois dernier, la politique n'est pas la solution (le
QL, no 104).
C'est un investissement très risqué et à court terme. La
démocratie repose sur le clientélisme et ce n'est pas un parti
confus comme l'ADQ qui va pouvoir résister à cette
réalité. Les partis sont des endroits où les idées
et les principes sont étirés, adaptés,
déformés, dénaturés et sacrifiés sur
l'autel du pouvoir.
On raisonne à l'envers lorsqu'on s'imagine que plus l'ADQ
sera populaire et forte, plus les idées libertariennes
ou économiquement libérales auront un écho au Québec.
Le contraire est vrai: plus il y aura de Québécois qui
comprendront et appuieront ces idées, plus les politiciens, de tous
partis, se sentiront obligés de s'y conformer pour accéder et
rester au pouvoir. Les étatistes dominent les débats intellectuels
depuis près d'un siècle, et c'est pourquoi presque tous les
politiciens aujourd'hui proposent et mettent en oeuvre
des solutions étatistes. Pour renverser cette tendance de fond, gagner
des esprits et changer la culture intellectuelle en profondeur est plus important que gagner des votes lors de la prochaine
élection. C'est pourquoi l'activisme en dehors des partis et le combat
intellectuel sont au contraire des investissements beaucoup plus sûrs
et à plus long terme.
Martin Masse
Le Quebecois Libre
Martin Masse est
né à Joliette en 1965. Il est diplômé de
l'Université McGill en science politique et en études
est-asiatiques. Il a lancé le cybermagazine libertarien
Le Québécois Libre
en février 1998. Il a été directeur des publications
à l’Institut économique de Montréal de 2000
à 2007. Il a traduit en 2003 le best-seller international de Johan Norberg, Plaidoyer
pour la mondialisation capitaliste, publié au Québec par
l'Institut économique de Montréal avec les Éditions
St-Martin et chez Plon en France.
Les vues présentées par l’auteur sont les siennes
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