Mes chères contrariennes, mes chers contrariens !
Je suis atterré par l’incapacité de nos dirigeants à imaginer, à concevoir en dehors des cadres établis de pensée admis.
Je suis frappé par l’incapacité de ces mêmes dirigeants à réussir à faire et à proposer une grille de lecture et d’actions dans un monde qui est sans croissance.
Cette intervention de Michel Rocard, ancien Premier ministre, s’inscrit dans la droite ligne de ce que l’on peut attendre de nos « élites » actuelles. Aucune imagination, des platitudes et évidemment des incantations inutiles à l’expansion économique car pour Rocard, ce qu’il faut c’est, tenez-vous bien, une politique « d’expansion économique »… Sauf que, encore une fois, la croissance infinie dans un monde fini, cela implique une limitation physique à la croissance telle que nous la connaissons et c’est bien là tout le problème. Comment changer de modèle, comment changer nos sociétés ? Et c’est justement lorsqu’une société atteint les limites de son propre modèle qu’elle se retrouve face à son destin. Dans ces cas-là, l’Histoire nous enseigne qu’il n’y a pas de demi-mesure ou de « motion de synthèse ». Soit la société s’adapte à ses nouvelles contraintes… soit elle s’effondre et meurt.
Voilà le passage que je trouve le plus marquant de l’intervention de Michel Rocard dans La Tribune
« Beaucoup d’écologistes voient dans la baisse de l’activité économique, la « décroissance », une solution aux problèmes de la planète. Est-ce une piste à suivre ?
Nous sommes dans une situation d’aggravation extrême des inégalités. La pauvreté baisse dans le monde, en raison de l’émergence de nombreux pays, mais elle augmente chez nous un peu en moyenne, et surtout s’exacerbe beaucoup pour certains. Mon intuition, c’est que la décroissance commencerait par intensifier ces inégalités, et nous conduirait tout droit à quelque chose ressemblant à une guerre civile. Je ne comprends pas comment certaines personnes intelligentes, ayant une sensibilité écologique, n’ont pas intégré cela. La décroissance, ou bien on la subit, et c’est une catastrophe, ou on la provoque, et c’est pire. C’est donc exclu. Pour des raisons d’ordre public. »
Pour Michel Rocard, il n’y a donc aucun autre chemin que la croissance et l’expansion économique pour éviter ce qui s’apparenterait à une forme de guerre civile. D’ailleurs, sur ce point précis, j’aurais tendance à partager le même avis que lui. Les tensions économiques ne peuvent qu’aboutir, dans un pays fracturé, communautarisé, à l’exacerbation des tensions sociales.
Dès lors pourtant il faut se poser deux questions. La première c’est que d’accord, il nous faut de la croissance mais si elle ne vient pas, comme c’est tout de même le cas depuis 2007 soit 8 ans d’attente du retour de la sainte croissance ? À ce niveau-là, c’est « sœur Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir » !! Alors comment fait-on quand même, sans croissance, pour éviter la guerre civile ? Ce serait je trouve assez responsable que d’initier cette réflexion fondamentale.
Ne pas confondre la décroissance et la déflation !
La deuxième question que l’on doit se poser c’est justement sur la décroissance. Michel Rocard fait, à mon sens, une immense confusion. Il n’y a pas de chaos en consommant moins. Demander aux fabricants de fabriquer durable, réparable, « upgradable », ce n’est pas faire le lit de la guerre civile. Mettre en place une fiscalité environnementale où chaque produit paierait une taxe en fonction de son empreinte écologique, ce n’est pas non plus attiser la haine entre les Français… Lutter contre l’obsolescence programmée, ce n’est pas faire vœu de pauvreté absolue non plus.
Il ne faut donc pas confondre avec la décroissance qui est un terme assez peu vendeur et que l’on peut remplacer par le terme fourre-tout « développement durable » ou encore « simplicité volontaire ». Peu importe. Dans tous les cas, notre société est basée sur un modèle de répartition de richesses créées essentiellement via la notion de travail. Pas de travail ? Pas de salaire.
Le souci c’est qu’il n’y a pas de travail. Il y en aura d’ailleurs de moins en moins et peu importe les politiques gouvernementales. En 1945, 60 % de la population française était rurale et travaillait dans les champs. Aujourd’hui, moins de 2 % de notre population active est nécessaire pour nourrir les 98 % restant. Ces progrès techniques, cette automatisation, la mise en place des tracteurs et des moissonneuses, ont permis des gains de main-d’œuvre phénoménaux. Il se passe aujourd’hui, pour tous les autres secteurs, la même chose que ce qu’il s’est passé dans le secteur précurseur de l’agriculture.
Ensuite, il ne faut pas oublier que la mondialisation, si elle a entraîné une baisse de la pauvreté dans les pays très pauvres, s’est accompagnée d’une hausse de la pauvreté dans les pays dits riches. Principe des vases communicants. Ce que les autres ont gagné nous l’avons en partie perdu.
Enfin, Michel Rocard et l’essentiels de notre classe politique pour qui finalement tout va très bien à titre personnel, oublie tout de même que la décroissance est un fait quotidien pour des millions de nos concitoyens. Ce n’est pas une idée ou un concept. C’est une réalité vécue. La décroissance c’est le lot de nos 6,3 millions de chômeurs, c’est le lot d’une grande partie des habitants des zones rurales totalement oublié par Paris qui préfère investir bien souvent en pure perte dans les politique ultra couteuse et inefficace de « la ville ». La décroissance c’est évidence pour nos concitoyens sans cesse plus nombreux aux resto du cœur par exemple.
Alors Michel Rocard et tous les autres ont beau rejeter de toutes leurs forces l’idée de décroissance, la réalité c’est qu’elle est déjà là et qu’il va falloir qu’ils fassent avec, sinon effectivement ils risquent fort d’être balayés avec le vent de l’Histoire.
Il est déjà trop tard, préparez-vous.
Charles SANNAT
« À vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes » (JFK)