L’objectif
du gouvernement de stopper le dérapage des finances publiques est
certainement prioritaire et il est salutaire que le problème soit pris
à bras le corps. Reste que les pouvoirs publics font sans doute preuve
d’un peu trop d’enthousiasme et de zèle lorsqu’ils
ont suggéré l’instauration d’une nouvelle
fiscalité dite « nutritionnelle » afin de
résoudre en un tour de main les problèmes
d’obésité en France, de l’accroissement des
déficits et du manque de compétitivité des agriculteurs.
Force
est de constater que si le programme est ambitieux, il risque
néanmoins d’échouer dans ses tentatives.
L’expérience montre en effet que la fiscalité
comportementale est loin d’afficher des résultats positifs en
matière de baisse de l’obésité. Les revenus
tirés de la taxe ne représentent qu’une goutte dans
l’océan des déficits publics et ce n’est pas en
jouant les vase-communicant entre industries qu’on pourra
améliorer la compétitivité en France.
La
taxe sodas n’a rien de neuf. Elle existe aux États-Unis depuis
1920. Elle n’a en aucun cas évité à ce pays de
détenir un triste record en matière
d’obésité et de surpoids. C’est le pays où les
personnes qui en souffrent sont proportionnellement les plus nombreuses au
monde, représentant selon l’OCDE 34,3% de la population adulte
en 2007, soit plus d’une personne sur trois.
C’est
un terrain d’étude passionnant – tous les États américains
ne pratiquent pas le même niveau de taxe et n’ont pas maintenu cette
fiscalité – qui confirme ce que le raisonnement
économique peut nous enseigner. La taxe n’a permis
d’atteindre que des résultats négligeables en
matière de surpoids et d’obésité.
Ainsi,
des experts américains concluent à partir de données
fiscales et de données de ventes de sodas entre 1988/89 et 2006 que la
taxe sodas débouche sur des résultats négligeables dans
le cas des adultes : « à une augmentation d’un
point de pourcentage de la taxe sodas correspond une baisse de l’Indice
de masse corporelle de 0,003 ». Dans le cas des enfants et des
adolescents, les résultats sont mêmes nuls car les jeunes se
mettraient à consommer des boissons plus caloriques et moins
chères.
Pourquoi ?
Parce que la taxe confond la cause et la conséquence du
problème. La cause profonde du problème du surpoids est
liée aux comportements des gens et non à la consommation de
certains aliments considérés comme trop gras ou trop
sucrés. La perte de poids est une décision individuelle.
Certes,
taxer les boissons à sucres ajoutés peut conduire à une baisse
de leur consommation. Mais en l’absence de décision consciente
du consommateur, celui-ci pourra se reporter sur d’autres boissons tout
aussi caloriques voire plus caloriques. Même une taxe aussi
élevée que 18%, comme cela a pu être
suggéré aux États-Unis, n’aurait pas, selon les
spécialistes de la question aux Etats-Unis, « un effet
substantiel sur le poids de la population ».
Qu’en
est-il de la capacité de la taxe à compenser au moins en partie
le dérapage des finances publiques ? Là encore, il est permis
d’être sceptique. En effet, les recettes anticipées de la
taxe ne représenteraient qu’environ 0.2% de l’ensemble des
déficits publics et 0.015% de la dette cette année. Autant dire
qu’elle n’est qu’une goutte dans l’océan des déficits
publics. Reste qu’il est évidemment fort probable qu’une
fois acquise l’idée d’une taxe sur les comportements
alimentaires des individus, son niveau sera progressivement augmenté
puis étendu à toutes sortes d’aliments sous
prétexte qu’ils seraient « mauvais »
N’est-il pas déjà question de l’étendre aux
boissons light ? Les recettes pourraient alors servir à diminuer
les déficits ou, comme cela semble avoir été proposé
dans les discussions autour du projet de loi de finances 2012, à
améliorer la compétitivité des agriculteurs.
Il
est néanmoins paradoxal de vouloir nuire à une industrie qui
« marche » pour en aider une autre en difficulté
et espérer ce faisant faire rentrer davantage de recettes fiscales. De
nouvelles taxes risquent non seulement de limiter les rentrées
fiscales futures mais aussi de ralentir le retour à la croissance en
France où le fardeau fiscal est particulièrement lourd. Les
agriculteurs n’y gagneront qu’un avantage passager alors que les
consommateurs, l’industrie alimentaire et in fine les finances publics en seront les grands perdants.
En
effet, une fiscalité nutritionnelle étendue finira par
pénaliser à terme l’industrie alimentaire, un des
fleurons de l’industrie française avec des exportations
dépassant les 36.5 milliards d’euros en 2010. Cette fiscalité
nutritionnelle n’est pas la solution aux problèmes sérieux
auxquels nous faisons face. En cédant aux sirènes de ses effets
à court terme, le gouvernement actuel risque de créer un
dangereux précédent qui à terme pourrait conduire
à taxer ce qui fait la fierté des Français : leur
foie gras, leurs vins, leur cassoulet sans parler des nonettes ou des
calissons. Il n’y a rien à gagner à saper les
capacités productives de notre économie qui restent notre
meilleur allié pour renouer avec la croissance.
|