Qu’il est amusant, le petit crin-crin de la représentation nationale ! Qu’ils sont savoureux, ces petits couinements de députés et de sénateurs qui découvrent, lentement, comme une tortue sortant très précautionneusement la tête d’une carapace multicentenaire, que le peuple n’est plus du tout synchrone avec leurs méthodes, leurs idées et leurs façons d’agir ! Qu’elle est comique, la plainte récurrente de ces élus qui réclament, un peu trop bruyamment, que le peuple fasse enfin comme ils disent, mais surtout, surtout, pas comme ils font !
Regardez-les, nos beaux parleurs, nos grands orateurs, nos fiers tribuns, regardez-les se moquer de nous, de vous, de tous ceux qui les ont élus, et pire encore, de ceux qui ne les ont pas élus. Regardez-les se foutre ouvertement de la démocratie dont ils se gargarisent à chaque élection. Regardez-les tenter tous les mensonges et toutes les compromissions pour continuer à faire croire qu’ils en valent la peine à ceux qui font encore l’effort de se déplacer pour voter et d’investir du temps ou de l’argent pour eux. Regardez cette bande d’aigrefins et d’hypocrites se débattre pour conserver le pouvoir, et, par dessus-tout, tenir le peuple loin de leurs petits privilèges !
J’exagère ? Je fais du poujadisme ?
Et pourtant, qui d’autre qu’un député (écologiste, en l’occurrence) a envisagé, très sérieusement, de déposer un projet de loi pour rendre le vote obligatoire ? Comment ne pas voir cet immense mépris du peuple dans cette proposition de démocratie coercitive, et la dérive totalitaire qui se cache derrière ? Comment ne pas voir l’immense hypocrisie du député de Rugy qui l’a proposée, alors même qu’il n’est pas lui-même présent à tous les votes de l’Assemblée qui l’indemnise pourtant richement ? Monsieur de Rugy, vous qui proposiez il y a quelques semaines d’imposer le vote à vos concitoyens, toute honte bue, que foutiez-vous le 9 avril dernier lorsque la Loi Santé, pourtant si importante aux yeux du gouvernement, fut soumise au vote ? Non, vous n’étiez pas là où vous auriez dû être. Votre minuscule morale et votre républicanisme de foire, qui vous fit dire « il faut être concrets sur les valeurs de la République, et dans ces valeurs, il y a cet engagement civique autour du vote », ne vous ont manifestement pas poussé à venir voter cette loi, comme tant d’autres. Manifestement, lorsque vous profériez « la République, c’est des droits et des devoirs », vous n’aviez pas pensé, la moindre seconde, à vos propres devoirs.
Et pourtant, comment qualifier de démocratique la représentation nationale lorsqu’elle n’est plus composée que de 35 membres (soit 6% des élus) pour voter une loi qui aura un impact majeur sur la vie des Français ? Oh, on m’objectera que les séances sont longues, que les nuitées sont parfois dures dans les rangs de l’Assemblée, et qu’il est souvent difficile de rester tard la nuit (ou tôt le matin, selon le point de vue) pour exprimer son vote.
Mais à qui la faute, sapristi ? Qui pond des textes kilométriques pour chaque loi, qui chie de l’amendement comme un troupeau de pachydermes diarrhéiques, qui, si ce n’est ces mêmes élus, ces mêmes petits messieurs et ces mêmes petites dames avides de laisser, à tout prix, leur nom dans les pages de plus en plus nombreuses du Journal Officiel ? Vous vous plaignez de séances trop dures, trop longues, de ne pouvoir assister à ces votes primordiaux parce que retenus dans l’une de ces nombreuses commissions ? Mais qui, si ce n’est vous-mêmes, instituez et produisez de la Commission comme des saucisses industrielles ? Qui, à part vous-mêmes, peut être tenu responsable de vos emplois du temps soi-disant surchargés, de vos séances à rallonge et de vos assignations trop nombreuses à la myriade de Commissions que vous avez créées ?
Et pourtant, comment considérer que la représentation nationale fait ce que le peuple attend d’elle lorsqu’elle s’apprête à voter la Loi Renseignement, texte inique qui entend faire placer, au cœur même des fournisseurs d’accès à internet, des boîtes noires d’espionnage, ni plus ni moins ? Qui peut croire, une seule seconde, que les députés ont été élus pour s’assurer que les Français allaient pouvoir être tous écoutés par l’une ou l’autre administration ? Qui peut croire que les Français, ceux qui se sont fait violence et ont grillé quelques calories pour aller voter pour ces tristes personnages, réclamaient aussi clairement la censure d’Internet sans le passage par la Justice ? Dans quel programme, du PS, de l’UMP, de l’UDI, du FN, des écolos ou des dinosaures communistes peut-on lire que le député s’engagera à voter une loi permettant ainsi, véritablement, le piratage de tout ordinateur personnel d’une personne ayant été par hasard avec une personne suspectée, chose que permet pourtant explicitement la loi Renseignement en examen actuellement ?
Messieurs les élus, prendriez-vous les Français pour des abrutis ?
Eh bien tout le souci est qu’ils commencent à s’en rendre compte et qu’ils en ont, de plus en plus, autant à votre égard et que chaque petit fait, insignifiant en lui-même, vient s’ajouter aux autres pour former à la fin ce tas immense d’incuries, d’hypocrisies et de comportements scandaleux qui menèrent, jadis, certains de vos prédécesseurs à la potence…
Oh qu’ils sont amusants, ces petits cris sur le thème du « bashing anti-élus », qui voudraient rappeler que non, « ils ne sont pas tous pourris ! », qu’ils sont pour la plupart dévoués à la cause et qu’ils sont nombreux, les volontaires bénévoles dans ce curieux milieu de la politique. Oh, qu’ils sont à côté de la plaque, ces commentaires qui insistent sur le fardeau que représente le mandat électif, les risques que l’on encourt à l’exercer, comptant moult menaces sur la vie professionnelle ou familiale de l’élu… Et inversement, qu’elle fut irritante, cette belle unanimité processionnelle lorsqu’un élu aura trouvé dans le suicide un moyen d’échapper à la justice de son pays, qu’il avait peut-être analysée avec lucidité comme complètement corrompue…
Mais après tout, n’est-ce pas justement ce que souhaitait Montesquieu qui rappelait qu’on ne devait toucher aux lois que d’une main tremblante ? Ne serait-ce pas souhaitable qu’on ne s’engage en politique que tremblant de peur à l’idée de si lourdes responsabilités à exercer, et des si importantes menaces qu’elles font peser sur soi et sa famille ? Ne serait-ce pas désirable que les postes d’élus ne trouvent plus preneurs, qu’enfin la chaise vide succède à celles trop pleines, trop nombreuses, trop coûteuses, trop verbeuses même ?
Ce monde et ce pays ont besoin de moins d’élus, de moins d’individus qui se croient ainsi investis d’une mission, qui veulent s’élever au-dessus des citoyens pour en prendre la direction. Ce pays a certainement moins besoin d’eux que d’un peu plus d’humilité de leur part. Ce pays, perclus de ses 600.000 élus, a besoin d’un peu moins de « responsables » politiques qui, dès qu’il s’agit justement d’exercer leur responsabilité, font preuve d’une absence parfois pathétique de courage voire d’une légèreté coupable. Et tant pis si ce pays devait être gouverné « en affaires courantes ». D’autres l’ont été, et ne s’en sont pas plus mal sentis.
Franchement, on aimerait bien croire ces discours qui vantent l’élu, tant local que national. Ce serait certainement plus confortable. On aimerait bien ne pas crier « tous pourris », ne pas tous les considérer comme des hypocrites ou des aigrefins. Malheureusement, ils ne nous y aident pas du tout.
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