Décidément, il y a trop de fuites, de coulage et de laxisme dans le stalag France. C’est pourquoi des contrôles plus poussés doivent être lancés. À ceux, de plus en plus invasifs, de la Sécurité sociale qui entend bien vérifier toutes vos tuyauteries notamment financières, on doit maintenant ajouter ceux de Pôle Emploi qui veut absolument tenir le compte de son cheptel au plus proche et affiche donc la lutte contre la fraude comme raison principale de cette nouvelle inspection générale.
Avant de lancer un contrôle complet de tout le camp, quelques baraquements (PACA, Poitou-Charente et Franche-Comté) avaient eu l’occasion de servir pour les tests, suffisamment concluants pour étendre la mesure dès ce mois d’août et qui visera à rayer de son périmètre les demandeurs d’emploi qui ne cherchent pas activement de travail.
Eh oui : vous qui aviez cotisé à cette assurance chômage en croyant qu’il s’agissait d’obtenir une indemnisation d’une durée fixée en cas d’occurrence du sinistre « perte d’emploi », vous vous fourriez le doigt dans l’œil. Quand bien même vous avez payé à cet organisme de fortes sommes pendant de nombreuses années, les clauses écrites en tout petit dans la police d’assurance viennent (encore) de changer et vous imposent d’effectuer des démarches de recherche d’emploi qui soient suffisamment actives et crédibles pour que vos indemnités puissent continuer de tomber.
Selon le même principe, on attend avec un peu d’inquiétude le jour où les autres polices d’assurances (par exemple sur le vol de votre voiture) procèderont de la même façon (et imposeront à l’infortuné assuré de rechercher activement leur bien dérobé pour espérer toucher leur prime).
Pendant ce temps, Pôle Emploi a déjà planifié ce qui allait se passer pour les petits margoulins qui se contenteraient de toucher leur prime sans suer suffisamment, conformément aux conditions générales du contrat : ceux qui seront soupçonnés d’une « insuffisance de recherche d’emploi » devront tout d’abord remplir un cerfa, alpha et oméga de toute procédure dans ce pays, puis se cogner un entretien téléphonique qui permettra à l’inspecteur officiellement désigné d’évaluer la dose de mauvaise foi de l’assuré-chômeur. Ensuite, comme si le doute persiste, le fraudeur présumé se fera violemment recadrer ah non pardon, de nos jours on dit qu’il subira un « processus de redynamisation » de la part de son conseiller référent et, si, malgré les quelques piqûres de rappel, il n’a toujours pas compris ce qu’il doit faire, on le radiera une bonne fois pour toute. Zou.
Ne vous inquiétez pas : ce sympathique processus de rétorsion que le Service Public de l’Emploi gardait sous le coude depuis l’an dernier est détaillé dans un document préparatoire au Comité Central d’Entreprise et sera débattu avec les syndicats le 20 mai. C’est qu’un changement unilatéral dans la police d’assurance inexistante, ça se fait dans les règles.
Et puis on veut surtout éviter les crispations au niveau des guichets : on comprend aisément que certains agents vont se retrouver à devoir expliquer à certains travailleurs que oui, ils ont cotisé, mais que non, ils n’ont droit à rien parce qu’ils n’ont pas rempli comme il faut le cerfa correspondant. Leur position, peu enviable, nécessitera donc la mise en place de « sessions de sensibilisation aux situations d’agression » (des fois qu’ils ne repèrent pas bien la tension qui s’installe entre eux et leur victime assuré).
Rassurez-vous cependant : la traque des chômeurs pardon le contrôle des éventuels fraudeurs restera humain puisqu’il concernera des individus loin de la commune où vivent les agents vérificateurs du Pôle, et qu’ils n’auront aucun objectif ni de nombre de contrôle, ni de nombre de radiation.
Ouf. Sans ces précisions, on s’imaginait immédiatement une machine étatique froide, impartiale mais sans pitié, radiant du chômeur à la pelle pour justifier enfin un retournement de courbe après des années de moqueries répétées envers le Lider Mollissimo. Il n’en sera rien puisque tout procédera avec calme et pondération, sans objectif chiffré, quasiment à l’aveuglette. Et on sait déjà, n’en doutons pas un instant, que ces mesures auront un effet réel, palpable et impressionnant sur le déficit abyssal du régime de l’assurance-chômage, qui devrait culminer à 25,9 milliards fin 2015.
Maintenant, quelques remarques peuvent cependant poindre à la lecture de ces nouvelles mesures.
D’une part, et comme les lecteurs les plus sagaces l’ont peut-être noté dans les paragraphes précédents, on peut s’étonner de la façon de procéder du ministère. Pas sur le plan tactique, bien sûr, puisqu’il était parfaitement attendu que devant la catastrophe des chiffres du chômage, un expédient serait de toutes façons trouvé. En l’occurrence, en radiant à tour de bras, on peut à la fois espérer une décrue de ces chiffres calamiteux, et par la baisse des prestations distribuées, une diminution des déficits engendrés jusqu’à présent. Donc non, sur le plan tactique, tout se déroule comme prévu.
En revanche, sur le plan de l’équité, on ne peut s’empêcher de noter que l’assurance chômage montre ici son vrai visage : ce n’est absolument pas une assurance (si ce n’est celle d’être noyé dans de la paperasserie). Autrement dit, les fameuses cotisations sociales qui sont prélevées, de force, sur votre salaire, ne correspondent absolument pas à une prime d’assurance en l’échange de laquelle vous pourriez espérer des services à la survenue d’un sinistre.
Déjà, vous pouvez vous brosser pour voir le contrat que vous auriez signé. Ici, on est bien dans l’habituel enfumage citoyen, festif et étatique parfaitement déresponsabilisant où personne ne signe rien, personne n’écrit noir sur blanc ce à quoi vous avez droit et ce à quoi vous vous engagez, et où, au final, tout peut changer unilatéralement et sans préavis. Oui, c’est bel et bien une vente forcée, c’est bel et bien une arnaque où l’on vous imposera toujours un peu plus de démarches, de conditions ou de contraintes diverses pour ne pas vous verser votre assurance.
Ensuite, il est difficile de ne pas trouver particulièrement cynique la demande de Pôle Emploi d’une démarche active de votre part à retrouver un emploi, demande répétée et maintenant assortie de sanctions en cas de motivation trop faible. En effet, qui, sinon Pôle Emploi, s’engage normalement à recenser les emplois disponibles moyennant d’ailleurs l’obligation pour les entreprises de mentionner leurs postes vacants à cet organisme ? Qui s’engage aussi à mettre les listes établies à disposition des chômeurs ? Qui s’engage là encore à aider les demandeurs dans leurs démarches, en leur proposant activement des postes à pourvoir en fonction du secteur, des compétences, de l’expérience du demandeur (avec un bonheur discutable) ? Qui, en somme, demande aux chômeurs de faire le travail pour lequel lui, Pôle Emploi, est normalement payé pour, précisément avec les cotisations reçues des salariés ?
Je sais, bien sûr, que cette situation n’est pas nouvelle et que ces éléments sont ainsi depuis que la France a sauté joyeusement dans le grand bain du chômage de masse. Je sais que Pôle Emploi (et les organismes précédents qui lui ont donné naissance) n’a jamais été, du point de vue politique, qu’un vaste dépotoir à problèmes dans le domaine de l’emploi, chargé de donner le change, sans plus. Mais les dernières mesures sont justement l’occasion de rappeler le foutage de gueule intégral qu’a toujours été la politique de l’emploi en France : d’un côté, elle ensevelit les entrepreneurs et les entreprises dans des masses invraisemblables de contraintes bureaucratiques pour, soi-disant, protéger le salarié, avec pour effet d’avoir créé le marché de l’emploi le plus rigide au monde ; de l’autre, elle ensevelit avec la même application les chômeurs dans les mêmes masses de contraintes et de paperasseries en prétendant, là encore, les protéger, avec là encore le résultat que l’on sait.
Et devant ce constat, la conclusion inévitable du gouvernement est d’en rajouter une bonne couche. Oh, oui, forcément, ça va bien marcher !
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