Les gouvernements ne supportent pas l’idée d’une monnaie
saine. Pire encore, les gens en général ne la supportent pas non plus. Les gouvernements
la détestent parce qu’elle limite leur champ d’action. Les gens la détestent
parce qu’elle signifie être responsables de leur propre survie et se reposer
sur leurs propres ressources plutôt que celles du gouvernement. Une monnaie
saine ne peut être imprimée, et les gouvernements qui ne peuvent pas imprimer ne peuvent pas acheter beaucoup de voix. Ils ont
tendance à laisser par terre ce qui y tombe.
Dans un marché libre, une monnaie saine représente la
démocratie en action. Comme l’a écrit Mises, la devise est la plus
échangeable de toutes les marchandises aux yeux des participants au marché.
L’une des raisons pour lesquelles le marché a choisi l’or et l’argent comme
monnaie est leur disponibilité limitée. C’est aussi la raison pour laquelle les
gouvernements les rejettent. Les peuples qui autorisent leurs gouvernements à
contrôler la valeur de leur monnaie en en contrôlant la disponibilité ont
abandonné leur liberté.
Je doute que beaucoup de gens sachent ce qu’est une
monnaie saine. Et, pourraient-ils dire, puisqu’il n’y a plus de monnaie saine
aujourd’hui, en quoi cela importe-t-il tant ? L’or et l’argent sont des
monnaies saines ? Nous avons subi de terribles paniques quand l’étalon
or était en vigueur (ils oublient que l’or a été la victime du système
bancaire de réserve fractionnaire). Et quand des récessions se sont
développées, l’économie en a souffert parce que personne n’avait la capacité
d’imprimer pour relancer la machine de production (ils n’admettent pas que
l’impression monétaire ait pu être à l’origine du problème). Les meilleures
personnes sont celles qui sont proactives – qui n’aiment pas rester assises à
attendre que le les choses suivent leur cours, comme nous avons pu le voir
pendant la crise du XIXe siècle. Mais les choses vont bien mieux aujourd’hui,
puisque nous disposons d’une banque centrale prête à combattre l’inflation
par des injections de liquidité parfois
énormes. Une monnaie saine est une mauvaise idée. L’or est une
relique barbare.
L’acceptation d’une monnaie saine par une population
dépend de la valeur qu’elle accorde à sa propre liberté, qui se définit ici par
« l’absence de tout contrôle arbitraire ou despotique ».
Des découvertes archéologiques ont déterminé que les
Hommes vivaient autrefois à la manière d’animaux sauvages, chassant et
cueillant de quoi se nourrir. Ils ont plus tard découvert qu’ils pouvaient faire pousser une
partie de leur nourriture. Et puis ils se sont rendu compte qu’ils
pouvaient domestiquer certaines plantes et certains animaux. Ils ont formé
des colonies. L’agriculture a apporté un surplus de nourriture et permis aux
gens de passer moins de temps à essayer de se nourrir et plus de temps à
s’adonner à d’autres activités productives. En est née une diversification du
travail. Avec la spécialisation est apparue l’opportunité de commercer, qui
s’est d’abord traduite par le troc puis par un système d’échanges indirects.
Toutes les autres découvertes qui sont ensuite venues
améliorer notre niveau de vie reposent sur l’idée très simple d’échanger un
bien contre un autre bien liquide. La liquidité fait référence à un bien
commercialisable facilement. Avec ce bien commercialisable, qui doit pouvoir
être échangé plutôt que consommé, les gens peuvent acheter les produits dont
ils ont besoin et qu’ils ne peuvent pas se procurer au travers d’un simple
échange. Les produits qui sont devenus universellement acceptés dans le cadre
des échanges ont été appelés monnaies. Ce n’est seulement qu’après
l’émergence de la monnaie que la division du travail a pu se développer et
permettre aux gens de se spécialiser en fonction de leurs compétences,
condition ou tempérament. La monnaie a rendu possible l’avancement de la
civilisation.
En observant la manière dont les choses se sont
développées, je me suis rendu compte de quelque chose d’étrange. Jamais
personne n’a été capable d’échanger un produit contre rien du tout – à moins
d’avoir triché. Sur le marché libre, une personne ne pouvait pas ramasser une
poignée de feuilles mouillées, les appeler billets de banque, et s’attendre à
pouvoir les échanger contre un panier d’œufs ou un ticket de concert. Un
commerçant devait fournir quelque chose sur le marché, quelque chose dont les
gens avaient besoin. Les gens ont embrassé l’idée de monnaie parce qu’elle
les rendait plus riches. Contrairement au système de troc, elle ne les
limitait plus à une double
coïncidence des besoins. Quand l’or et l’argent sont devenus
universellement acceptés en Occident, les produits traversaient librement les
frontières, et leurs flux n’étaient limités que par les politiques des
gouvernements.
Avec le développement de la civilisation est née son
antithèse, les
Etats-nations. Les guerriers sont devenus des chefs en s’imposant
sur des colonies productives. Pourquoi travailler pour vivre lorsque l’on
peut forcer les autres à travailler pour soi ? Convenablement déguisée,
la contrainte peut aisément passer pour un pilier de la civilisation. Le
monde est un endroit dangereux. Les fermiers et les artisans ont besoin
d’être protégés d’éventuels envahisseurs. L’élite au pouvoir leur promet de
leur fournir cette protection. Leur spécialité est de tuer. Les plus forts se
sont auto-proclamés gouvernement civil.
Mais il y a quelques problèmes. Les gouvernements sont
supportés par l’argent qu’ils soudoient à la population grâce à ce que l’on
appelle taxes. Les taxes ont toujours été populaires. Lorsqu’elles deviennent
trop élevées, ceux à qui elles sont imposées cherchent à les éviter. Et
parfois, ils y parviennent.
Les dirigeants ne veulent pas s’attirer trop d’ennuis.
C’est pourquoi ils ont inventé une taxe indirecte au travers de la
dévaluation de leur monnaie. Les gens ont pu voir qu’il s’agissait d’une
arnaque, mais ils n’ont rien pu y faire. Ceux qui ont osé accumuler des
pièces moins dévaluées l’ont parfois payé de leur vie.
La monnaie papier a ensuite commencé à circuler comme
substitut plus transportable aux pièces de monnaie. Et presqu’immédiatement,
de la monnaie papier s’est mises à circuler à la place des substituts papier
légitimes. Les émetteurs monétaires n’auraient pas pu rêver mieux.
Contrairement aux pièces falsifiées, le simple papier ressemblait exactement
aux substituts papier.
La mort de la monnaie saine
Au travers de guerres et de crises financières, le
gouvernement a été en mesure d’abolir toute forme de garantie pour la monnaie
papier, nous laissant donc avec une monnaie papier susceptible d’être
dévaluée – à la volonté des dirigeants ou de leur banque centrale. Les Etats se battent
contre toute tentative d’utiliser autre chose que leur change légal.
En Occident, et plus particulièrement aux Etats-Unis, nous
avons tendance à nous considérer libres et à penser que le gouvernement sert
de quelque manière à nous servir. Nous pourrions penser d’un dictateur qu’il
réprime toute tentative d’utiliser autre chose que la monnaie papier comme
moyen de paiement. Mais qu’en est-il des gouvernements démocratiques ?
Les économistes ont-ils découvert une vérité capable de légitimer les
activités répressives des gouvernements ? Est-il désormais normal de
penser que plus nous avons d’argent, plus nous sommes prospères ? Est-ce
là pourquoi la monnaie saine est illégale ?
Pas tout à fait. Aucun économiste ne s’est jamais prononcé
en faveur d’une impression monétaire illimitée, bien que presque tous les
économistes pensent la création de monnaie fiduciaire indispensable. Hunter
Lewis illustre cette idée dans How
Much Money Does an Economy
Need?, grâce à un simple exemple emprunté à
Milton Friedman :
Imaginez que le gouvernement décide de construire une
route. Plutôt que de lever des taxes pour pouvoir financer la construction de
cette route, il se contente d’imprimer de l’argent. Tout le monde semble en
profiter. Des emplois sont créés, une route est construite, pour laquelle
personne ne doit payer. Un véritable tour de magie. (pp. 31-32)
Mais il ne s’agit en réalité que d’un tour de passe-passe,
d’une confusion de la monnaie avec le capital. Ce qu’il se passe vraiment
lorsque de la monnaie est imprimée, c’est que quelqu’un se trouve dupé.
L’Histoire en est truffée d’exemples, bien que le plus célèbre soit l'hyperinflation de 1923
en Allemagne, au cours de laquelle des « millions d’Allemands ont
découvert que leur épargne pour laquelle ils ont si durement travaillé ne
pouvait plus leur offrir de quoi acheter un timbre ». Lewis se penche
sur ce problème grâce à une illustration très simple :
Si vous avez quatre pommes et un dollar, votre dollar peut
vous aider à fixer un prix de vente pour vos pommes. Mais posséder un autre
dollar ne sert pas à augmenter votre capital, il ne fait qu’augmenter le prix
de vos pommes. Pour faire gonfler le capital, une pomme ou une autre
marchandise doit être ajoutée.
Cet exemple n’explique pas les conséquences d’un dollar
supplémentaire. Au sein d’une économie réelle, elles sont connues sous le nom
d’effet
Cantillon, après l’économiste du XVIIIe siècle Richard Cantillon, qui a
déterminé que « ceux qui obtiennent la nouvelle monnaie les premiers
jouissent d’un meilleur niveau de vie que ceux qui la reçoivent plus
tard ».
Rien à voir avec de la science de haut niveau. Mais parce
que les bénéfices de l’inflation sont généralement immédiats, parce qu’elle
crée de nouveaux emplois et de nouvelles routes, ses désavantages sont
souvent ignorés – bien que dans les cas les plus extrêmes, ils puissent mener
à l’effondrement d’une devise.
Si nous voulons comprendre ce que le gouvernement a fait
de notre argent, nous ne pouvons rien faire de mieux que lire le livre de
Murray Rothbard, La Monnaie et le
Gouvernement. Il s’agit d’un ouvrage intelligible de seulement
100 pages. L’alternative à l’économie rothbardienne
est la reddition du contrôle monétaire et bancaire à des experts non-élus que
nous devons penser capables de gérer les réserves monétaires de notre nation
tout en privilégiant l’intérêt du public. Ils ne sont pas sujets aux lois des
marchés ou à l’électorat. Ils ne travaillent pas pour le public. Ce n’est pas
le public qui signe leurs chèques en fin de mois.
Une monnaie saine renverserait cette tendance. Lisez Rothbard pour savoir comment.