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Lors de toute
crise, la tentation est grande de rechercher une cause majeure ou un bouc
émissaire idéal.
Il a
été clairement établi en de nombreux
articles que les causes de la crise ont été
multiples et complexes, et ont d'une
certaine façon rétroagi les unes sur les autres. Vouloir
attribuer à une cause unique un poids prépondérant, et
réduire les autres facteurs à des
épiphénomènes connexes, est le plus sûr moyen de
ne pas comprendre les ressorts profonds de la crise, et d'être
incapable d'y apporter des réponses adéquates.
Parmi ces
coupables que certains voudraient voir cloué au pilori, Alan
Greenspan. Il est accusé d'avoir maintenu des taux trop bas entre 2001
et 2005, favorisant l'essor d'une bulle d'actifs concentrés sur
l'immobilier, et d'avoir ainsi encouragé trop d'emprunteurs et
de prêteurs à agir de façon spéculative et
déraisonnable.
Greenspan est
assurément un des co-responsables de la situation, comme nous allons
le voir, mais selon moi, un co-responsable d'ordre secondaire. Lui attribuer
la plus grande part de responsabilité dans la crise actuelle, comme le
font beaucoup de commentateurs, est abusif.
Quelques petits
détails qui ne collent pas...
Il y a plusieurs éléments statistiques discordants avec la
thèse de la prépondérance des politiques de la FED dans
le déclenchement de la crise.
Parmi les constats qui plaident en faveur d'une atténuation de la
culpabilité de Greenspan, observons tout d'abord que la
période de taux bas s'est étalée de novembre 2001
à fin 2004 (cf.
figure 1). Notons d'ailleurs, qu'à l'époque, la
plupart de ceux qui aujourd'hui pourfendent "Greenscam" louaient son
audace à l'époque, et fustigeaient JC Trichet qui refusait
d'aller aussi loin dans la surenchère de crédit facile... Comme
quoi.
Or, c'est à partir de 2004, alors que les taux de la FED augmentent,
que l'origination de crédits douteux et le rachat massif de parts de
MBS associés par Fannie Mae et Freddie Mac se sont emballés.
Cela ne veut pas dire que ces politiques étaient marginales en 2001,
mais c'est bien après que la remontée des taux ait
commencé qu'elles ont atteint leur apogée. Voilà qui ne
plaide pas pour une corrélation simple « taux -> bulle
de crédit ».
![](http://www.24hgold.com/24hpmdata/articles/2009/02/img/20090914CLA15113.jpg)
Figure 1
D'autre part, l'étude
historique des taux d'intérêts fixes
à 15 et 30 ans effectivement offerts aux ménages
américains montre que la moyenne a touché son minimum mi 2003
à 4,60 pour le 15 ans et 5,21 pour le 30 ans.
Or, en France, les taux servis aux acheteurs finaux sont tombés plus
bas (Par exemple:
personnellement, fin 2004, on m'a proposé 4,3 fixe à 20 ans. Et
parmi mes relations, certains sont tombés à 3,8 quelques mois
plus tard), et ce alors que les taux de la BCE sont restés
très supérieurs aux minimaux de la FED. (Cf. Figure 2 ci
dessous, source)
:
![](http://www.24hgold.com/24hpmdata/articles/2009/02/img/20090914CLA15114.jpg)
Figure 2. On peut
regretter l'imprécision
de la
légende, mais apparemment,
en recoupant avec
les chiffres FNAIM, il s'agit bien
d'un historique de
taux fixes moyens.
Nous avons certes
eu une bulle immobilière (le multiple médian du montant des
transactions immobilières sur le revenu des ménages est
passé de 2,9 à 4,8 au plus haut de la bulle), mais très
peu d'augmentation du taux de défauts d'emprunteurs. Cela vient de ce
que nos banques, prêtant non pas en fonction de la valeur du bien
acquis, mais de la capacité à rembourser de leurs clients, ont
pris moins de risques inconsidérés. Leurs problèmes
actuels viennent de leur surexposition internationale à des produits
dérivés de crédits à risques émis
ailleurs, mais pas de leur propre politique d'émission de crédits.
Les lecteurs peuvent se reporter à cette
longue explication sur les différences entre le
modèle américain ("éclaté") et le
modèle français ("intégré") du
crédit, pour une fois nettement à notre avantage.
Rappel du rôle
de la distorsion foncière
L'explication fondée sur les erreurs prêtées
à Alan Greenspan occulte totalement le rôle de la
distorsion foncière, maintes fois analysé ici, dans le
déclenchement de la crise: pour qu'une facilité de
crédit soit sur-utilisée, il faut qu'un signal
spéculatif fort soit envoyé aux agents économiques. Si
le droit du sol de la dizaine d'états où la bulle a pris des
proportions gigantesque avait été le même qu'au Texas ou
à Atlanta, un tel signal n'aurait pas été envoyé,
et la politique de taux bas de Greenspan n'aurait pas conduit à la
formation d'une bulle immobilière, réduisant très
fortement l'exposition globale du système financier au risque de mise
en défaut.
Toutefois, sachant que tant la France que la Grande Bretagne ou les
états américains « bullaires » ont la
même contrainte foncière réglementaire, qui favorise la
hausse stratosphérique des prix par étranglement de l'offre
neuve, nous pourrons négliger cet élément comme facteur
de distorsion entre pays ayant connu la même bulle immobilière
mais pas la même nature de crise bancaire. Intéressons nous donc
à cette dernière.
La crise bancaire
est d'abord celle d'un modèle de crédit dévoyépar
l'état
Si la crise
n'avait été qu'une simple question de taux
d'intérêt servi aux emprunteurs finaux, alors notre situation
aurait été pire que celle des américains. Ce n'est pas
le cas: voilà qui plaide pour une prépondérance des
faiblesses du modèle américain du crédit,
façonné par trop d'interventions étatiques, comme cause
majeure de la crise. Et nos constats précédents sur les taux et
le calendrier d'origination de prêts soutenus par Fannie et Freddie
abondent en ce sens.
Le modèle américain du crédit, fondé sur l'extrême
spécialisation des acteurs et une distorsion majeure de la perception
des risques opérée par l'état, est visiblement bien plus
important que la politique d'Alan Greenspan dans la genèse de la
crise.
Cela veut il dire que l'on puisse exonérer Alan Greenspan de toute
culpabilité ? Non.
De la
difficulté d'intégrer l'immobilier dans l'indice des prix
Le taux directeur de la FED est fixé par un comité des sages
présidé par A.Greenspan qui, pendant une décennie
(90's), s'en est sagement tenu à une formule dite « formule de John Taylor »,
pas exempte de critiques mais relativement éprouvée, qui permet
de moduler le taux en fonction d'un taux d'inflation cible recherché
et de la variation de divers agrégats.
Une étude du CATO insitute, conduite par Lawrence White, montre que Greenspan s'est
écarté de cette formule entre 2002 et 2006,
plaçant le taux directeur de la FED plus ou moins nettement en dessous
du taux calculé par la formule pour une inflation "cible "
de 4% (cf. Figure 3).
![](http://www.24hgold.com/24hpmdata/articles/2009/02/img/20090914CLA15115.jpg)
figure 3
Cela veut donc dire qu'il a de façon très agressive
baissé les taux directeurs de la FED, et la création
monétaire induite aurait dû provoquer une inflation
supérieure à 4% pour la période
considérée: ce ne fut pas le cas. Pourquoi ?
Parce que, comme l'explique Gerald O'Driscoll dans
cette autre étude du CATO, il y a un problème
fâcheux avec le taux d'inflation retenu par la FED.
Celui ci ne prend en compte que très imparfaitement la variation du
prix de l'immobilier. D'ailleurs, il convient de noter que tous les pays du
monde sont confrontés à ce problème, et cette
étude de la banque de France (PDF) montre qu'il y a
divergence de calcul entre différents pays. La difficulté
provient de ce que l'immobilier est à la fois bien de consommation et
bien d'investissement. Or, un indice des prix à la consommation ne
doit tenir compte que de la part de « consommation »
représentée par l'immobilier.
Aux USA, le prix retenu est celui du loyer de marché
"équivalent" des biens acquis, c'est à dire le loyer
fictif que paierait l'acquéreur s'il devait le louer. En France, selon
l'INSEE, c'est également le loyer "de
marché" des biens acquis qui sert de référence
à la formule complexe déterminant .
Mais pour des raisons assez simple à comprendre, les loyers augmentent
moins vite que la valeur de marché des logements lorsque celle ci est
surgonflée par le trio "confiance
+ crédit bon marché + droit des sols castrateur"
(Cf. loi de formation des bulles immobilières).
En effet, lorsque les taux d'intérêts baissent, la
mensualité de crédit payée par l'acheteur baisse en
pourcentage du bien acquis, et donc le rendement locatif exigé par le
loueur doit baisser en conséquence pour que la location conserve un
intérêt du point de vue de l'occupant du logement.
Par conséquent, prendre en compte le loyer équivalent tend
à sous-estimer l'augmentation du prix de l'immobilier dans l'indice
des prix à la consommation.
Il en résulte que la hausse des prix immobiliers est
considérée par les calculs des grands argentiers comme une
"hausse d'actifs", et non une hausse des prix à la
consommation (CPI,
"consumer Price Index" aux USA). De fait, si une
augmentation agressive de la quantité de monnaie en circulation se
porte sur certains actifs plutôt que sur des produits de consommation,
alors une « bulle d'actifs » peut se former sans que
l'indice des prix à la consommation n'en soit affecté.
La faillite de la
doctrine
Greenspan
Une bulle d'actifs, surtout lorsqu'elle se forme à crédit, est
porteuse de risque, comme la situation actuelle ne le démontre que
trop cruellement. Or, la "doctrine
Greenspan", plusieurs fois réaffirmée au
début du millénaire, a consisté à manipuler les
taux en ne tenant compte que de l'indice des prix à la consommation et
en ignorant la possibilité d'une bulle d'actifs (Cf. O'Driscoll),
sous prétexte qu'il se sentait incapable d'estimer si une augmentation
de certains prix déconnectée du revenu des ménages
constituait une bulle (maintenant, il sait !). Aussi n'a-t-il sciemment tenu
compte que de l'indice des prix à la consommation dans la
détermination de son taux directeur.
Par contre, il a réaffirmé qu'en cas d'éclatement
constaté d'une bulle d'actifs, il pratiquerait une politique de taux
bas agressive pour en atténuer les effets. Ce faisant, il a
évidemment incité non pas les emprunteurs finaux à
emprunter plus, comme nous l'avons vu plus haut, mais les
intermédiaires (Fannie, Freddie, les banques et les mortgage brokers)
qui vivaient du modèle
éclaté du crédit à prendre
plus de risques, pensant que la politique de la FED ne freinerait pas la
hausse de la bulle immobilière, mais amortirait son éclatement.
Tous ces acteurs de la crise doivent se rendre compte aujourd'hui de la
vanité de la prétention des banquiers centraux de pouvoir
réguler l'économie simplement en jouant sur un taux
d'intérêt, formule de Taylor ou pas...
Si Greenspan avait considéré que le taux d'inflation retenu
devait intégrer au moins en partie l'indice des prix immobiliers
à l'achat, et non uniquement un "loyer équivalent",
alors il aurait remonté son taux directeur bien plus tôt, sans
doute dès la fin de 2002. Le dégonflement de la bulle se serait
produit bien plus tôt, et donc serait parti de bien moins haut. Il y
aurait sans doute eu crise, mais plus précoce, moins intense, et le
montant de l'exposition totale au risque de défaut d'acteurs tels que
Fannie et Freddie aurait été bien moindre.
Greenspan : "coupable, mais..."
La crise financière est d'abord une faillite du modèle de
crédit dominant aux USA, à la fois éclaté entre
des acteurs non solidaires des risques liés aux prêts consentis,
et où l'état, en accordant des garanties trop
généreuses à certains agents majeurs du marché, a
totalement distordu la perception des risques existants au sein de cette
chaîne de production du crédit. La politique d'Alan Greenspan a
sans aucun doute augmenté l'attirance pour le risque de ces acteurs,
les conduisant vers des expositions excessives en regard de leurs niveaux de
fonds propres. Mais elle n'a pas a proprement parler provoqué la
crise. Juste accentué.
Alors, coupable, Greenspan ? Oui, mais il a été un protagoniste
défaillant parmi d'autres, pas le bouc émissaire idéal
de la crise que nous vivons.
"...Condamné
à se tromper"
Cela ne doit
toutefois pas nous exonérer d'une réflexion de fond sur
l'incapacité de nos experts, fussent-ils élevés au rang
de gourous insurpassables, à piloter la masse monétaire de
façon centralisée.
Peut on être à la fois expert du "contrôle" de
la masse monétaire, de la finance bancaire, et du rôle des lois
de zonage dans la formation de bulles immobilières ? Peut être,
encore que de tels spécialistes doivent être très rares.
Mais est-il si facile, pour un banquier central, d'intégrer dans sa
réflexion un indice des prix immobilier lui même agrégat
de dizaines de marchés différents, aux réglementations
éparses, de comprendre pourquoi Cleveland, Atlanta et Los Angeles se
comportent différemment, et d'en déduire le prix de l'argent
adéquat ? Non, c'est impossible. La faillite de la doctrine
Greenspan est la preuve vivante de l'impossibilité,
décrite par Hayek, de déterminer de façon
centralisée un niveau de prix d'un bien, en l'occurrence, ici,
de la monnaie, alors que celui ci, s'il était fixé librement,
serait fonction de millions de décisions individuelles liées
à des conditions locales de marché très variables.
Greenspan était condamné à se tromper un jour, parce
qu'aucun planificateur, confronté à des milliers de
paramètres de marché, n'a jamais été capable de
fixer le prix des choses par décision administrative. Alors coupable,
oui, Greenspan l'est. Mais ce n'est pas l'homme qu'il faut blâmer en
première instance, mais le système qu'il a personnifié.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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