Il
est devenu courant d’affirmer que la crise de la dette publique résulte
de la perte de souveraineté monétaire des États de la
zone euro.
En
France, ce serait la Loi Rothschild de 1973, et sa prolongation via le
Traité de Maastricht, qui, interdisant au gouvernement de
s’endetter directement auprès de sa banque centrale, auraient
vendu le pays aux marchés financiers, le condamnant à payer de
lourds intérêts.
Pourtant,
si le système actuel est très critiquable, la « perte de
souveraineté monétaire » de l’État reste
une bonne chose. En effet, il nous protège d’une situation où
les capacités d’endettement de l’État sont
virtuellement illimitées, en raison de sa mainmise sur la planche
à billets.
Dans
un tel cas, le coût de l’endettement est d’autant plus
néfaste qu’il est moins visible, à travers
l’inflation.
L’argument
consiste alors à faire remarquer que l’inflation était
faible avant 1973, et forte ensuite. À regarder les chiffres de plus
près, il est clair que cela n’est pas vrai.

Entre
1946 et 1973, le Franc a perdu 90,7% de sa valeur. Au cours des 27
années suivantes, il n’en a perdu « que »
75,5% (source : INSEE).
Certes,
on pourrait dire qu’il n’est pas correct de prendre en compte
l’immédiat après guerre. Ceci
étant, entre 1950 et 1970, le Franc perdait 61,8% de sa valeur, et
« seulement » 48,8% entre 1980 et 2000.
En
fait, l’utilisation de pourcentages est trompeuse. Entre 1946 et 1973,
le Franc a en fait perdu 0,27 centimes d’euros par an, en moyenne,
alors que cette baisse n’était plus que de 0,02 centimes entre
1973 et 2000.
Il
est vrai que les deux périodes sont relativement peu comparables. Mais
cela va dans le sens de mon argument.
Première
différence, la période avant 1973 est une période de
forte croissance, laquelle diminue mécaniquement les effets de
l’inflation-prix.

Deuxième
différence, c’est aussi une période de relative
maîtrise du déficit public, et donc des besoins
d’endettement de l’État.
Essayons
d’imaginer les conséquences de la
« souveraineté monétaire, » si la
croissance avait été aussi faible, et le solde public aussi
négatif, qu’ils le sont à l’heure actuelle ?
Contrairement
à ce que l’on entend parfois dire, les Trente Glorieuses
n’ont pas eu lieu parce que
l’État disposait encore de sa souveraineté
monétaire. C’est l’inverse qui est vrai : les Trente
Glorieuses ont pu avoir lieu car les effets néfastes de la
souveraineté monétaire ont été contenus.
Inversement,
ce n’est pas parce que l’État doit, depuis 1973,
s’endetter auprès des marchés financiers que son
déficit public s’est creusé. La preuve : le solde
primaire de son budget (avant paiement des intérêts de la dette)
est déjà lui-même négatif.

Certes,
le coût de son endettement annuel a augmenté de 50 milliards
d’euros, depuis 1960. Mais le coût de l’État
providence a, pour sa part, augmenté de plus de 610 milliards
d’euros.
On
oublie en effet de dire, lorsque l’on affirme que
l’édification de l’État providence s’est
accompagnée d’une période de forte croissance, que ce
système n’en était précisément alors
qu’à ses balbutiements, et qu’il a bien grandi
depuis…
Clairement,
c’est l’État Providence, et non la Loi Rothschild, qui est
à l’origine des problèmes actuels. Cette dernière
est au contraire ce qui permet, dans le cadre d’un système
où l’émission de monnaie reste un monopole public, que le
premier ne soit pas plus nuisible encore à la société.
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