Un grand emprunt national est-il un levier efficace pour sortir de la crise et préparer l'avenir, ou la pire des solutions compte tenu du niveau d'endettement public de la France ? Il est prématuré d'en juger : s'il en a retenu le principe, le 22 juin devant le Congrès, le président de la République n'en a précisé ni le montant, ni le taux, ni la durée, ni les modalités.
Ce flou délibéré n'interdit pas trois remarques. Primo, c'est une initiative politique habile, parce que rassembleuse. A l'automne 2008, l'idée d'un emprunt avait été lancée à la fois par les socialistes et par le président UMP de l'Assemblée nationale. Le chef de l'Etat l'avait alors écartée, il la reprend aujourd'hui à son compte. En outre, il l'assortit d'un large débat préalable sur les investissements d'avenir qui seront ainsi financés : c'est une manière d'impliquer le Parlement autant que les partenaires sociaux. Enfin, l'emprunt peut permettre de mobiliser les Français autour de grands projets d'avenir.
Secundo, c'est une opération financière risquée. L'expérience prouve que, pour être entendu, l'appel à l'épargne populaire suppose des conditions financières attractives, toujours plus coûteuses que le recours habituel aux marchés. Mais surtout, quel qu'il soit, l'emprunt alourdira encore plus le poids de la dette publique. Dans son rapport sur la situation des finances publiques, le président de la Cour des comptes a multiplié les mises en garde, mardi 23 juin : déjà élevée depuis des années (autour de 60 % du PIB), la dette de l'Etat va bondir à 90 % du PIB en 2012, soit une "dégradation sans précédent". Et Philippe Séguin de conclure : "Plus on attend" pour corriger cette dérive, "plus il faudra payer".
Enfin, et ce n'est pas le moins inquiétant, le recours à l'emprunt témoigne de la renationalisation accélérée des réponses à la crise économique. Quinze jours après des élections européennes qui ont pourtant renforcé l'emprise de son camp en France et des gouvernements de droite dans l'UE, Nicolas Sarkozy a balayé l'Europe d'une phrase lapidaire : "Ce n'est pas le moment de parler du projet européen." Mais si ce n'est pas le moment aujourd'hui d'attendre de l'Europe une réponse collective, coordonnée et globale à une crise mondiale, on voit mal quand ça le serait. En dépit des efforts déployés à l'automne 2008 durant sa présidence de l'Union, le chef de l'Etat entérine le "chacun pour soi" qui mine, chaque jour un peu plus, toute ambition européenne. Sur ce terrain aussi, l'emprunt plombe l'avenir autant, voire plus, qu'il ne le prépare.
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