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Il y a comptabilité et
comptabilité.
La comptabilité bancaire est, aujourd'hui, une comptabilité
réglementaire qui, en définitive, n'a pas tiré les
conséquences ni de l'interdiction de la convertibilité
intérieure en monnaie or des billets et dépôts à
vue bancaires - i.e. des substituts de monnaie bancaires comme les
dénommait avec justesse Ludwig von Mises -, dans la décennie 1930, ni de
l'"abandon" de la convertibilité extérieure depuis 1971-73.
Les substituts désormais ... de rien bancaires, au lendemain des
interdictions, sont restés inscrits au passif du bilan des banques :
au passif du bilan des banques centrales en ce qui concerne les billets
dont celles-ci ont, chacune, reçu un privilège de monopole
d'émission, et, en ce qui concerne les dépôts à
vue, au passif du bilan des banques de second rang .
Et certains ont cru se tirer de ces mauvais pas en voyant dans le
"néant habillé en monnaie" - expression que Jacques
Rueff s'est forgé pour désigner les "droits de tirages spéciaux"
du Fonds monétaire international, fin décennie 1960 - des
dettes des banques, des créances de ceux qui en sont titulaires sur
ces dernières.
De fait, ils se situent "hors droit"... et les notions juridiques
de créances - ou d'actifs - des uns et de dettes des autres ont perdu
toute signification.
Et nous vivons aujourd'hui les effets à long terme de ces
interdictions absurdes et de cette cuisine avec ce qu'on dénomme
l'euro.
Dans ce dernier cadre, la cuisine est encore plus inadmissible comme on va le
voir ci-dessous.
1. La Banque centrale
européenne.
La Banque centrale européenne a le monopole d'émission des
billets libellés en euro.
1.A. Rapport Annuel.
Dans le Rapport annuel 2010
de la Banque centrale européenne (B.C.E.) cf.
http://www.ecb.eu/pub/pdf/annrep/ar2010annualaccounts_fr.pdf
on peut lire le compte de bilan de la B.C.E. au 31 décembre 2010.
Il s'avère qu'à cette date, le montant des billets en
circulation comptabilisé était de :
€ 67,2 milliards
pour un total de bilan de :
€ 163,5 milliards
Le montant des billets représentait ainsi 41,1% du total.
1.B. Situation hebdomadaire.
Curieusement, dans la "situation hebdomadaire" de la B.C.E.,
à la même date, i.e. au 31 décembre 2010, cf.
http://www.ecb.int/press/pr/wfs/2011/html/fs110105.fr.html
on constate que le montant des billets en circulation s'élève
à :
€ 839,7 milliards
soit 12,5 fois le montant du Rapport
annuel,
pour un total de bilan de :
€ 2004,4 milliards
soit 12,3 fois le total du même Rapport.
Pour sa part, le montant des billets représentait donc 41,9% du total
du bilan.
1.C. Pourquoi les chiffres sont-ils
différents ?
Pourquoi les chiffres des "situations hebdomadaires" sont-ils si
différents des chiffres du Rapport
annuel ?
A quoi se fier ?
Selon la façon de parler à la mode, on dira que : "c'est
très simple"...
“Depuis l’introduction des billets en euros début 2002,
92 % du montant des billets en euros mis en circulation
sont répartis à chaque fin de mois entre les banques centrales
nationales membres de l’Eurosystème
selon leur part dans le capital de la Banque centrale européenne
(B.C.E.);
les 8 % restant sont alloués à la B.C.E.”.
Encore faut-il tomber sur l'explication... et avoir les clés de la
répartition.
2. La Banque de France.
C'est ainsi qu'on peut constater que, par exemple, à la date du 31
décembre 2010, d'après le Rapport
annuel 2010 et le compte de bilan de la Banque de France, cf.
http://www.banque-france.fr/fr/publications/revues/rapport-banque-de-france
/telechar/2011/RA2010_Les_comptes.pdf
le montant des billets "pseudo émis" par la Banque de France
était de :
€ 157,4 milliards
(soit :
* 18,7% du montant total des billets de la B.C.E. apparaissant dans la
"situation hebdomadaire" de celle-ci, et
* 2,3 fois le montant total des billets de la B.C.E. apparaissant dans le Rapport annuel),
pour un total de bilan de :
€ 481,6 milliards.
Le montant des billets de la Banque de France représentaient ainsi
32,7% du total de son propre bilan.
Soit dit en passant, les structures des passifs de la Banque de France et de
la B.C.E. sont significativement différentes.
J'écris "pseudo émis" car la Banque de France, comme
les autres banques centrales nationales des pays de la zone "euro",
a perdu le privilège de monopole d'émission des billets et car
la manipulation en question tend, entre autres, à faire croire que
rien n'a changé.
3. Remarque.
Le pourcentage du montant des billets alloués à la Banque de
France dans le montant total des billets émis par la B.C.E. laisse
entendre qu'au 31 décembre 2010, les 15 autres banques centrales
nationales possédaient, prises ensemble, 81,3%.
Mais, par exemple, avec l'arrivée de l'Estonie dans la zone euro, le 1er janvier
2011, le montant total des billets a augmenté
"mécaniquement".
La "situation hebdomadaire" du 7 janvier 2011
fait apparaître un montant total de billets de :
€ 840 milliards
cf. http://www.ecb.int/press/pr/wfs/2011/html/fs110111.fr.html
Le texte précise :
"À la suite de l’adoption de l’euro par
l’Estonie, la Banque d’Estonie ( Eesti Pank) a rejoint l’Eurosystème
au 1er janvier 2011.
Par conséquent, la B.C.E. publie une situation financière
d’ouverture consolidée de l’Eurosystème
au 1er janvier 2011 qui inclut les chiffres du bilan de la Banque
d’Estonie.
Les postes libellés précédemment en couronnes
estoniennes ont été transférés des rubriques
« libellées en devises » à celles «
libellées en euros ».
Les transactions avec les résidents estoniens et les soldes de comptes
détenus par ces derniers ont été isolés des
postes du bilan relatifs aux « non‑résidents de la zone
euro » et inscrits aux postes concernant les « résidents
de la zone euro ».
De plus, le poste 12 du passif intitulé « Capital et
réserves » a augmenté par rapport à la situation
financière hebdomadaire consolidée arrêtée au 31
décembre 2010 en raison de l’adhésion de la Banque
d’Estonie à l’Eurosystème."
Quid du montant
des billets alloués à l'Estonie ? Rien n'est écrit sur
le sujet !
4. Un constat.
4.A. La cacophonie.
Il n'en reste pas moins que ces différences de chiffres
démontrent que les autorités monétaires se moquent en
définitive des informations qu'on peut en tirer.
Tout se passe comme si les chiffres monétaires n'avaient pas
d'importance.
On est loin de l'esprit des analyses monétaristes effectuées
par ailleurs par ces autorités.
La disparité, mieux ... la cacophonie que je viens de souligner, n'est
pas, en vérité, supportable ! Rien ne la justifie.
4.B. Silence sur la répartition des
créances.
La cacophonie est d'autant moins supportable que les billets de banque sont
adossés à des créances, à défaut
d'être convertibles en or à taux fixe, à la demande,
comme ils l'ont été jusqu'en 1914, d'une manière
générale.
La répartition des billets à quoi procède la B.C.E., en
fin de mois, entre les banques centrales nationales va donc de pair une
répartition de créances entre les mêmes, mais cela n'est
pas évoqué, mais caché.
Autant la répartition des billets se conçoit bien et peut
s'admettre aisément car elle ne pose pas de difficulté
particulière étant donné que les billets de banque sont
identiques, autant la répartition des créances à quoi
les billets sont adossés - et dont il n'est pas question -
amène à plonger dans un abîme de réflexions.
En effet, a priori,
les créances ne peuvent pas être identiques et,
nécessairement, il y en a des "bonnes" et il y en a des
"mauvaises"....
Aucune information n'est donnée sur les créances et leur
répartition. On s'attendrait au contraire dans un état de
droit.
Etant données les difficultés actuelles en relation avec les
"dettes souveraines"
prétendument - hier et dans les modèles
mathématico-financiers - "sans risque", l'information
devient encore plus essentielle.
Les "mauvaises langues" imagineront sans peine que la
répartition mensuelle de créances en question est un moyen
idéal pour que la B.C.E. "refile" à telle ou telle
banque centrale nationale des "mauvaises créances"...
Il n'y a pas d'âge pour jouer au "jeu du vieux garçon".
Elles s'interrogeront aussi, dans ces conditions, sur l'efficacité de
la politique monétaire de la zone euro.
Elles ne se situent pas en effet dans le royaume de ceux qui se
félicitent de l'efficacité de la politique monétaire de
la B.C.E. car les prix en euro auraient augmenté en moyenne de 2% par
an depuis 1999 :
2% en moyenne par an pendant plus de 10 ans, c'est en effet qu'il y a eu une
perte de pouvoir d'achat de l'unité de monnaie "euro" de
près de 25%, un quart de sa "valeur" initiale ! Grande
réussite en effet (cf. par exemple ce billet du 25 juin dernier).
5. La question.
Pour ces deux grandes raisons - la cacophonie sur les chiffres et le silence
sur la répartition des créances -, je pose la question :
de qui le "système européen des banques centrales"
(S.E.B.C.), i.e. le "machin" regroupant les banques centrales
nationales et la B.C.E., voire des nouveautés, créées
à l'occasion, du genre "Facilité
européenne de stabilité financière" -
dénommée "fonds" en France -, se moque-t-il ?
L'information est la première des marches à franchir pour la
réussite d'un projet. La déformer, la
dénaturer, la détruire ne peut que provoquer l'échec du
projet.
Georges Lane
Principes
de science économique
Georges
Lane enseigne
l’économie à l’Université de Paris-Dauphine.
Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire
J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très
rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié
avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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