L’échange suivant a eu
lieu le 18 décembre 1912, après que John Pierpont Morgan – le financier
et banquier le plus influent de son temps – ait été appelé à témoigner devant
le Congrès des Etats-Unis.
Mr Untermyer:
J’aimerais vous poser
quelques questions sur le sujet que vous avez abordé ce matin, quant au
contrôle de la monnaie. Le contrôle du crédit implique un contrôle de la
monnaie, n’est-ce pas vrai ?
Mr Morgan:
Le contrôle du
crédit ? Non.
Mr Untermyer:
Mais la base du système
bancaire est bien le crédit ?
Mr Morgan:
Pas toujours. Le crédit
est une preuve des activités bancaires, mais il n’est pas de la monnaie. La
monnaie, c’est l’or, et rien d’autre.
Samuel Untermeyer était le
conseiller en chef du sous-comité Pujo du Comité de la Chambre pour les
affaires bancaires et la devise, qui a été établi pour enquêter sur
l’influence des banquiers de Wall Street et des financiers sur la monnaie et
le crédit aux Etats-Unis. Il cherchait à déterminer si un « trust
monétaire » existait à l’époque qui contrôlait les affaires et les
finances américaines, et si Mr Morgan en faisait partie.
L’échange ci-dessus n’est
qu’une petite partie du témoignage de Mr Morgan, qui a duré plus de trois
heures. Il s’agit cependant du passage le plus important de leur discussion
quant à la monnaie. La vérité avancée par Mr Morgan, « la monnaie, c’est
l’or, et rien d’autre, » est très peu comprise aujourd’hui.
Il est important de mentionner
ici que Mr Morgan est souvent cité comme ayant dit « l’or est une
monnaie, et rien d’autre, » ce qui est aussi vrai, mais passe à côté du
point à retenir ici. Il est clair que Mr Morgan définissait la monnaie d’une
manière qui semble peu familière voir étonnante à l’esprit moderne, c’est
pourquoi sa citation est souvent altérée pour être rendue plus
compréhensible. Ce qui, sans aucun doute, rend plus confus encore les esprits
d’aujourd’hui. Mr Morgan qui, un siècle plus tard, demeure encore un
personnage proéminent des finances américaines, n’a pas déclaré le dollar
comme étant la seule monnaie véritable. Pour lui, la monnaie, c’est l’or, et
rien d’autre.
Mr Morgan n’a pas non plus
cherché à définir l’or. Sa déclaration souligne simplement le rôle de l’or,
et non ce qu’il est - un élément naturel classé en 79e position du
tableau périodique.
Et pourtant, il y a bien plus
à tirer de ses propos, et de ses deux réponses aux questions de Mr Untermyer.
Une analyse approfondie révèlerait ce que Mr Morgan et tous ceux qui ont
écouté son témoignage comprenaient de la monnaie et du crédit. S’ils
n’avaient pas compris ce qu’ils étaient, alors Mr Morgan se serait vu
demander d’expliquer sa définition de la monnaie. Mais une telle question ne
lui a jamais été posée.
Que savaient donc Untermyer et
les autres que nous ne savons pas aujourd’hui ? Que voulait dire Mr
Morgan ? Et que reconnaissaient-ils tous à propos de la monnaie et du
crédit que nous ne reconnaissons pas aujourd’hui ?
Mr Morgan a défini plus que la
monnaie. Il a révélé la nature essentielle du processus par lequel les gens
sont rémunérés pour leur travail, qui représente l’épine dorsale de notre
société capitaliste. La monnaie provient du processus de marché, pas du
gouvernement.
La monnaie vient à exister de
la même manière que tous les autres biens et services. Tous sont le résultat
d’un travail diligemment appliqué à une tâche complétée au fil du temps dans
l’objectif de produire un résultat utile. Un agriculteur produit de la
nourriture, un maçon une maison, un ouvrier une voiture, et ainsi de suite.
Tous ces produits sont utiles. De la même manière, des services utiles sont
rendus. Un coiffeur coupe les cheveux, un serveur vous apporte à manger, etc.
Pour en revenir à l’argument de Mr Morgan, une société minière dépense du
temps et de l’argent à produire ce que nous appelons monnaie.
Les banquiers, contrairement
aux sociétés minières, en produisent des substituts que nous appelons
dollars, euros, livres, mais qui, comme les édulcorants artificiels ne sont
pas du sucre, ne sont pas de la monnaie. Ces devises sont forcées en
circulation par les lois sur le change légal, qui ont largement remplacé la
circulation de l’or en tant que monnaie. La triste conséquence en est que les
caractéristiques et les attributs de l’or ne sont aujourd’hui plus familiers
à nos semblables, qui ne parviennent plus à reconnaître sa véritable nature
et son utilité.
Les devises nationales que
sont le dollar, l’euro, le franc, la livre et les autres, sont basées sur le
crédit, et non sur le travail. En conséquence, elles peuvent être décrites
comme étant des devises de la dette, un terme adapté qui révèle leur
véritable nature en rendant évidente leur dépendance totale au crédit.
Un travailleur honnête et
talentueux a bien plus la possibilité d’emprunter que quelqu’un qui ne
présenterait pas ces qualités, et le crédit peut être quelque chose d’utile.
Avec le crédit, il est possible d’obtenir des biens et services dans el
moment présent en échange de la promesse d’un remboursement futur grâce au
travail de la personne à laquelle ce crédit a été octroyé.
Les banques octroient des
prêts dans l’espoir de voir le travail se poursuivre dans le futur afin que
ces prêts puissent être remboursés. Nous pouvons donc emprunter de la devise
liée à la dette à une banque si nous lui promettons de la lui rembourser.
Mais il arrive que cette confiance soit brisée. Toutes les promesses ne sont
pas tenues, et le crédit implique des incertitudes, et établit clairement une
différence fondamentale entre le risque de la monnaie et le risque d’une
devise liée à la dette.
Toutes les devises liées à la
dette présentent un risque de contrepartie. La raison en est très simple. Les
devises liées à la dette sont des actifs financiers. Elles ne sont pas
tangibles, et leur valeur n’est pas dérivée du travail. Plus précisément,
elles sont les obligations des banques et, comme tous les comptables le
savent, ce sont les actifs des banques – et non leurs passifs - qui ont de la
valeur.
Les devises liées à la dette
sont garanties par le crédit, plus spécifiquement les prêts sur les bilans
des banques. Si ces prêts ne sont pas remboursés dans leur intégralité, la
capacité d’une banque à honorer ses passifs – sa devise liée à la dette – se
trouve entravée, ce qui impacte négativement la devise liée à la dette de
cette banque. Si les défauts sont suffisamment importants, ils peuvent
générer des paniques bancaires et, ultimement, des faillites de banques.
Comme Mr Morgan l’a expliqué à
Mr Untermyer, le crédit n’est pas de la monnaie. Ainsi, les dollars de sont pas
de la monnaie, et ne circulent qu’en tant qu’unités de devise liée à la
dette, à la place de la monnaie. Cette réalité, selon laquelle les devises
nationales sont les obligations des banques – explique pourquoi elles
présentent un risque de contrepartie et, pour aller plus loin encore,
pourquoi la monnaie, c’est l’or.
Lorsque vous payez pour un
bien ou un service grâce à une pièce d’or, un actif tangible qui est le
produit du travail – de l’or – est échangé contre quelque chose de substance
et de valeur qui est aussi le produit du travail – le bien ou service acheté.
Avec l’or, cet échange prend fin au moment où le métal change de main. Voyons
ce qui se passe avec des dollars ou des unités d’autres devises.
Quand des dollars sont
utilisés pour acheter un bien ou service, l’échange ne prend pas fin. Un bien
de substance – le bien ou service – est échangé contre du crédit sous la
forme d’un substitut monétaire circulant à la place de la monnaie. Le bien de
substance n’a donc pas été rémunéré, puisque son vendeur a reçu en échange
des dollars qui présentent un risque de contrepartie. Cet échange ne prendra
pas fin avant que le vendeur se débarrasse de ses dollars en les donnant à
quelqu’un d’autre en échange d’un bien ou service. C4est là la signification
cachée du témoignage de Mr Morgan, qui était très bien comprise en 1912.
Seule la monnaie peut
permettre d’acheter un bien ou service. Seul un actif tangible permet de
clôturer un échange. L’or a été une monnaie pendant 5000 ans, bien que
d’autres actifs tangibles aient aussi été utilisés de temps à autres,
généralement en des temps extraordinaires ou des situations d’urgence ou,
pour le cas de l’argent, afin de permettre la circulation de dénominations
plus petites permettant de finaliser des échanges de moindre valeur.
Quel aurait donc été le
résultat si la Terre n’avait jamais contenu d’or ? Il semble logique de
penser que la monnaie n’aurait jamais émergé de la Préhistoire, ce qui
signifie que l’économie de marché n’en serait jamais sortie non plus.
L’or est spécial. Il a été
central au développement de la civilisation. Et l’or est unique. Les autres
actifs tangibles se détériorent, ternissent, rouillent, se consomment ou
finissent par disparaître. L’or s’accumule et ne disparaît jamais. Excepté
pour les quantités d’or perdues au travers de l’abrasion de pièces ou du
métal encore enfoui dans les épaves de bateaux ou encore enterré pour ne
jamais être découvert, tout l’or jamais produit existe encore aujourd’hui,
que ce soit sous forme de barres, de pièces ou de quoi que ce soit d’autre.
Tout au long de l’Histoire, de
l’or a été produit afin d’être utilisé comme monnaie. Même s’il ne circule
plus en tant que monnaie aujourd’hui, ou plus autant qu’en 1912, il demeure
encore de la monnaie.
Le témoignage de Mr Morgan ne
date que de quelques années après la panique de 1907 et l’effondrement de
Knickerbocker Trust Company, l’une des plus grosses banques new-yorkaises de
l’époque. Nous avons assisté à des paniques bancaires ces dernières
décennies, mais elles se sont toutes produites au sein d’un monde de devises
liées à la dette. Historiquement, les paniques bancaires sont causées par un
besoin de sécurité ou, en d’autres termes, de préservation de capital afin
d’éviter un risque de contrepartie. Un certain niveau de sécurité a ainsi pu
être obtenue au travers de la conversion en or des promesses non-tenues des
devises liées à la dette. Une banque vous doit de la devise liée à la dette,
alors que de l’or vous appartient directement.
La dernière ruée bancaire vers
l’or a eu lieu pendant la Grande dépression, que pratiquement plus personne
aujourd’hui n’a connue. Ce qui explique pourquoi si peu de gens prêtent
attention au risque représenté par les devises liées à la dette. Ils n’ont
jamais eu l’opportunité de tirer des leçons de leur expérience.
Il existe un vieux dicton qui
veut que la sagesse commence par appeler les choses par leur nom. Mr Morgan a
choisi ses mots avec exactitude et sagesse.
« La monnaie, c’est l’or,
et rien d’autre. »
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