Le scandale récent
de la viande de cheval nous a permis de poser une série
de questions sur la manière dont la qualité des produits
agroalimentaires est garantie. À contre-courant de la plupart des
opinions exprimées sur ce sujet dans les médias, qui tendent
à accuser le gouvernement de n’en avoir pas fait assez pour
prévenir ce problème, nous suggérions que cette tâche
ne devrait pas revenir aux autorités politiques. En fait, la multiplication
des réglementations dans ce domaine risque même
d’être inefficace.
Les
contrôles de la qualité des produits que nous mangeons en France
sont déjà soumis à une myriade de normes et
réglementations. Au niveau mondial, la sécurité
alimentaire passe par le fameux Codex Alimentarius coordonné à la fois par
l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et
l’agriculture (FAO) et l’Organisation mondiale de la santé
(OMS).
Au niveau européen, plusieurs directives concernant la
sécurité alimentaire fournissent des spécifications
quant aux standards sanitaires des produits agroalimentaires
commercialisés. Par exemple, le fameux article 18 de la General
Food Law légifère
déjà depuis 2002 « la traçabilité de
toute substance destinée à être incorporée ou
susceptible d'être incorporée dans des denrées
alimentaires ou des aliments pour animaux ».
À son
tour, le gouvernement français a considérablement multiplié
au cours des dernières années les procédures bureaucratiques concernant
l’enregistrement et la traçabilité
des données sanitaires : passeport, attestation et certificat
sanitaire, etc.
Force est pourtant d’observer que le nombre de plus en plus
important des réglementations ne suffit pas pour prévenir de
nouveaux scandales comme celui de la viande de cheval, qui a secoué au
début de l’année 2013 plusieurs pays de l’Union européenne.
En dépit de cette observation, les représentants du
gouvernement français proposent d’ajouter une nouvelle couche de
réglementations et d’étendre à tous les produits
à base de viande l’obligation de mentionner le pays
d'origine.
Il n’est pourtant pas difficile de comprendre que
l’obligation de spécifier le pays d’origine pourrait n’être
qu’une raison de plus de frauder et ne saurait empêcher un
commerçant malhonnête d’intervertir les étiquettes.
En ce qui concerne les fraudes qui trompent ou qui nuisent d’une
quelconque manière au consommateur, ce ne sont pas tant les
réglementations qui dissuadent ou arrêtent les malfaiteurs, mais
les peines et la fréquence des contrôles. En effet, outre les
coûts supplémentaires habituellement engendrés par ces nouvelles
réglementations pour les producteurs, elles n’ont pas
véritablement la capacité de prévenir les fraudes ou
d’arrêter les malfaiteurs.
De fait, à la lumière des nombreux scandales,
l’on s’aperçoit que les risques encourus par les
malfaiteurs sont très faibles dans le secteur agroalimentaire par
rapport à d’autres domaines. Alors que les fraudes alimentaires
visent des bénéfices pouvant facilement atteindre des millions
d’euro, les peines encourues sont au maximum de 2 ans
d’emprisonnement et de 37 000 euros d’amende. De ce point de
vue, il est symptomatique de constater que le scandale de la viande de cheval
n’a suscité à ce jour que la démission du PDG de Spanghero.
Quant aux contrôles, ils sont aléatoires et
sporadiques par rapport au nombre potentiel de fraudes, car les institutions
publiques en ayant le monopole s’appuient essentiellement sur des
autocontrôles des producteurs (rendus obligatoires par une loi du 19
mai 1998) et sur les quelques 2 000
inspecteurs de la Direction
générale de l'alimentation (DGAL) et de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et
de la répression des fraudes (DGCCRF) chargé de les
vérifier. Il suffit de
constater qu’un contrôle sur trois dévoile des fraudes et
concluent que soit la réglementation est trop lourde, le nombre de
contrôles sous-optimal et/ou que les peines encourus sont trop faibles.
S’il est tellement évident que de nouvelles
réglementations, aussi exigeantes soient-elles, ne peuvent pas
empêcher la fraude, pourquoi le gouvernement français a-t-il
annoncé de telles mesures ? Probablement parce qu’il
s’agit de la solution la plus avantageuse politiquement.
L’annonce d’une nouvelle réglementation est pratiquement gratuite
pour le gouvernement et peut néanmoins renforcer la confiance des
consommateurs/électeurs.
À terme, l’obligation d’ajouter une
étiquette de plus sur l’emballage sera toutefois coûteuse pour
le producteur et inefficace pour prévenir des fraudes. De plus, elle
suscite toutes sortes d’effets pervers. En effet, elle diminue à
la fois la responsabilité des producteurs et la vigilance des
consommateurs. Derrière le paravent des réglementations, les
consommateurs peuvent se sentir davantage à l’abri tandis que les
producteurs ont moins de raisons d’être vigilants.
Ainsi, ces scandales agroalimentaires révèlent avant
tout l’incapacité des autorités publiques à les
prévenir et à les punir. En reconnaissant cette impuissance, les
consommateurs devraient se montrer plus vigilants et plus exigeants. Cela encouragera
l’émergence de nouvelles entreprises spécialisées
dans le contrôle de qualité. Pour que cela deviennent
réalité, il faudra entre autre briser le monopole public des
labels, une problématique qui nous aborderons prochainement.
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