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Il
m'a paru nécessaire d'avertir le lecteur, de temps en temps, que tel
résultat serait la conséquence de telle politique «
à supposer qu'il ne se produise pas d'inflation ». Dans les
chapitres consacrés aux travaux publics et au crédit, j'ai
annoncé qu'il me fallait surseoir à l'étude des
complications que l'inflation peut introduire dans tous ces problèmes.
Mais les faits et la politique monétaires sont liés si
intimement, et parfois d'une façon tellement inextricable, au
processus économique que cette dissociation des
phénomènes, même due aux nécessités de
l'exposition, était difficile. C'est pourquoi, dans les chapitres
traitant des conséquences des diverses interventions gouvernementales
ou syndicales sur l'emploi, le profit ou la production, il fallut cependant
faire une étude immédiate des incidences que peuvent avoir sur
ces facteurs les différentes politiques monétaires.
Avant
d'étudier les conséquences de l'inflation sur quelques cas
particuliers, voyons quelles sont ses conséquences d'une
manière générale. Et auparavant, essayons de nous
demander pourquoi on a constamment fait appel à elle, pourquoi elle a
de tout temps été populaire, pourquoi la musique enchanteresse
de cette sirène a séduit les gouvernements de tous les pays les
uns après les autres, et les a menés finalement sur le chemin
du désastre économique.
L'illusion
la plus évidente et pourtant la plus ancienne qui a conduit à
l'inflation, c'est la confusion entre la « monnaie » et la
richesse. Il y a près de deux siècles, A. Smith écrivait
déjà : « Que la richesse consiste en monnaie, en or ou en
argent, c'est là une notion populaire qui, tout naturellement,
provient du double rôle de la monnaie, laquelle est à la fois
instrument d'échange et mesure de la valeur... S'enrichir, c'est
acquérir de la monnaie ; richesse et monnaie sont, dans le langage
courant, considérées dans tous leur sens comme synonymes
».
La
véritable richesse est, naturellement, celle que l'on produit et
consomme : les aliments que nous mangeons, les vêtements que nous
portons, les maisons que nous habitons. Ce sont les chemins de fer, les
routes, les autos, les chantiers de construction navale et les usines d'aviation,
les écoles, les églises, les théâtres, les pianos,
la peinture et les livres. Pourtant, telle est l'ambiguïté des
mots richesse et monnaie, que ceux-là mêmes qui sont conscients
de cette confusion s'y laissent aller de nouveau au cours de leur raisonnement.
Chacun sait que s'il touchait davantage de monnaie il pourrait acheter plus
de choses ; s'il avait deux fois plus d'argent, il pourrait acheter deux fois
plus d'objets ; s'il en avait trois fois plus, il « vaudrait »
trois fois plus.
E
beaucoup en tirent la conclusion, qui paraît évidente, que si
l'État fabriquait plus de papier-monnaie et le distribuait à
tous, chacun de nous serait beaucoup plus riche.
Voilà
comment raisonnent les inflationnistes les plus naïfs. D'autres, qui le
sont moins, comprennent que si les choses étaient aussi simples,
l'État, pour résoudre toutes nos difficultés, n'auraient
qu'à imprimer des billets. Ils ont l'intuition qu'il y a quelque
erreur là-dessous ; aussi sont-ils prêts à poser des
limites à cet accroissement de billets qu'ils souhaitent voir
créer par le Gouvernement : qu'on en imprime juste assez pour
compenser ce déficit ou boucher le trou.
Le
pouvoir d'achat est sans cesse insuffisant, croient-ils, parce que
l'industrie ne donne pas assez d'argent aux ouvriers pour leur permettre,
comme consommateurs, d'acheter ce qu'ils ont produit. Il y a donc un manque
mystérieux quelque part. Certains vous le « démontreront
» grâce à des équations. Dans l'un des membres de
leur équation, ils comptent un terme donné une seule fois,
tandis que dans l'autre membre, sans le savoir, ils inscrivent le même
terme plusieurs fois. Il en résulte un écart alarmant entre ce
qu'il dénomment le paiement A et les paiements A+B. Ils se mettent
alors à faire campagne, déploient des drapeaux flamboyants, et
pressent le gouvernement d'émettre de nouveaux billets ou d'ouvrir de
nouveaux crédits pour qu'on puisse faire les payements B,
jusque-là défaillants.
Les
apôtres plus simplistes du « crédit social »
paraissent des gens ridicules, mais il y a bien d'autres écoles
d'inflationnistes, à peine un peu plus savants, qui nous offrent des
projets dits scientifiques, proposant d'émettre juste assez de
papier-monnaie ou de crédit pour remédier au prétendu déficit
ou écart chronique, ou périodique, dont ils ont
déterminé le montant.
2
Les
inflationnistes les plus éclairés reconnaissent que tout
gonflement du volume de la monnaie réduit le pouvoir d'achat de chaque
unité monétaire, autrement dit qu'il fait monter le prix de
toutes les marchandises. Mais cela ne les trouble pas. Au contraire, c'est
pour cette raison même qu'ils réclame l'inflation. Certains vous
démontrent que les pauvres débiteurs vont être en
meilleure posture vis-à-vis des riches créanciers. D'autres
croient que cela va donner une impulsion à l'exportation. D'autres
enfin pensent que c'est une mesure excellente pour guérir une
dépression, donner un « coup de fouet » à
l'industrie, et réaliser le plein emploi [1].
Les
théories qui expliquent de quelle manière les quantités
accrues de monnaie, y compris le crédit bancaire, affectent les prix,
sont innombrables. Les unes, comme nous venons de le voir, s'imaginent que la
quantité de monnaie peut s'enfler indéfiniment sans influencer
les prix. Elles ne considèrent ce gonflement monétaire que
comme un « pouvoir d'achat » généralisé, ce
qui permet à chacun d'effectuer des achats plus nombreux qu'avant.
Alors, de deux choses l'une, ou bien ils ne réfléchissent pas
que l'ensemble des consommateurs ne peut trouver à se procurer deux
fois plus de marchandises que si la production a augmenté
elle-même du double, ou bien ils s'imaginent que le seul obstacle qui
s'oppose à une production accrue n'est pas le manque de main-d'œuvre,
le nombre réduit des heures de travail, ou l'insuffisance de
capacité productrice, mais simplement le manque de moyens
monétaires, et ils affirment que si les gens veulent des marchandises
et ont assez d'argent pour les acheter, celles-ci seront fabriquées
automatiquement.
Un
second groupe, et il compte dans son sein des économistes
éminents, défend la théorie pour ainsi dire
mécanique de la monnaie, selon laquelle c'est la quantité de
monnaie qui détermine les prix.
D'après
eux, toute la monnaie qui circule dans un pays sert à payer toutes les
marchandises de ce pays. Il s'ensuit que la valeur de la quantité
totale de la monnaie, multipliée par sa « vitesse de circulation
», doit toujours être égale à la valeur de la
quantité totale de marchandises achetées. La valeur de
l'unité monétaire (à supposer qu'aucun changement ne se
produise dans la vitesse de circulation) doit donc varier exactement et en
raison inverse du montant total de la monnaie mise en circulation. Si vous
doublez la quantité de monnaie et de crédit bancaire, vous
doublez exactement d'autant le niveau des prix ; triplez-la et vous le
triplez exactement ; multipliez la quantité de monnaie n fois
et vous aurez multiplié n fois aussi le prix des prix des
marchandises.
Il
faudrait trop de place pour dénoncer ici toutes les erreurs de
jugement que comporte cette thèse en apparence plausible [2]. Nous allons au contraire essayer de voir
pourquoi et comment un accroissement de la quantité de monnaie produit
une montée des prix.
Un
accroissement dans la quantité de monnaie ne se produit que pour des
raisons spécifiquement déterminées. Elle peut provenir
du fait que le gouvernement dépense plus qu'il ne peut ou ne veut le
faire, par le produit des impôts (ou des valeurs du Trésor que
les épargnants veulent acquérir sur leurs économies
existantes). Supposons, par exemple, que l'État imprime des billets
pour pouvoir s'acquitter de ce qu'il doit aux fournisseurs de guerre. Le
premier résultat de l'opération est que les fournitures de
guerre vont monter, et que les fournisseurs de guerre et leurs
employés auront entre les mains plus de monnaie qu'avant. (De
même que dans notre chapitre sur la fixation des prix, nous différions,
pour simplifier, les complications apportées par l'inflation, nous
passons maintenant sur les complications qu'implique la politique du
contrôle gouvernemental des prix. Quand nous nous y arrêterons,
nous constaterons qu'elles ne modifieront pas l'essentiel de notre analyse.
Elles conduisent simplement à une sorte d'inflation retardée,
qui réduit ou cache quelques-unes des premières
conséquences tout en aggravant les suivantes.)
Les
fournisseurs de guerre et leurs employés vont donc être
dotés de revenus en argent plus élevés. Ils vont les
dépenser suivant leurs besoins pour acheter marchandises et services.
Grâce à cette demande accrue, ceux qui les leur procurent vont
pouvoir augmenter leur prix. Et comme leurs ressources accrues leur
permettent de payer ces prix forts, ils n'hésiteront pas à la
faire plutôt qu'à se passer d'acheter ; car ayant davantage
d'argent, chaque dollar aura moins de valeur subjective à leurs yeux.
Appelons
ce groupe de fournisseurs et leurs employés le groupe A, et ceux
à qui ils achètent directement leurs marchandises et services
accrus, le groupe B. Ce dernier, en conséquence de la montée
des prix, va à son tour acheter davantage de marchandises et de
services à un troisième groupe C.
Le
groupe C, à son tour, élèvera ses prix et aura plus
d'argent pour acheter au groupe D, et ainsi de suite, jusqu'à ce que
cette montée des prix et des revenus se soit virtuellement mise
à couvrir toute la nation.
Quand
le processus sera complètement achevé, presque tout le monde
aura un revenu en monnaie plus élevé. Mais (si nous supposons
que la production des services et marchandises n'a pas augmenté) les
prix de ces marchandises et services auront augmenté dans la
même proportion, et la nation, elle, ne sera pas plus riche qu'avant.
Ce
qui ne veut pas dire, cependant, que le revenu et la richesse relative ou
absolue de chacun sera la même qu'antérieurement. Au contraire,
le processus de l'inflation modifiera certainement de manière
très différente les fortunes d'un groupe par rapport à
celles d'un autre groupe. Ce sont les groupes qui seront les premiers
à recevoir cet argent supplémentaire qui seront les plus
avantagés. Les revenus en argent du groupe A, par exemple,
augmenteront avant même que les prix ne montent, si bien qu'ils
pourront acheter d'autant plus de marchandises. Le revenu en argent du groupe
B lui sera alloué plus tard, alors que les prix auront
déjà quelque peu monté, ce groupe B pourra aussi acheter
des marchandises dans de bonnes conditions. Toutefois, pendant ce temps, les
groupes qui n'ont pas encore vu leurs revenus grandir sont cependant
obligés de payer plus cher les choses qu'ils achètent, puisque
les prix ont monté, ce qui veut dire qu'ils voient baisser leur niveau
de vie.
On
peut rendre plus clair encore ce processus par une série d'exemples
chiffrés. Divisons arbitrairement l'ensemble économique entre 4
groupes principaux de producteurs A, B, C, D, qui reçoivent les
avantages de l'inflation dans cet ordre. Quand le revenu du groupe A est
déjà monté de 30 %, les prix des objets qu'ils
achètent n'ont pas encore bougé. Au moment où le revenu
du groupe B est monté de 20 %, les prix se sont élevés
seulement de 10 %. Mais quand le revenu du groupe C est monté de 10 %,
les prix, eux, en sont à 15 %. Et quand le revenu du groupe D n'a pas
encore bougé, les prix qu'il leur faut payer pour ce qu'ils
achètent ont monté de 20 %. En d'autres termes, les gains que
les premiers groupes de production retirent de l'inflation par des prix et
des salaires accrus sont nécessairement acquis aux dépens des
pertes supportées (comme consommateurs) par les derniers groupes de
producteurs, qui pourront cependant augmenter leurs prix et salaires.
Il
peut très bien se produire, si l'inflation subit un temps
d'arrêt après quelques années, qu'en définitive se
produise un accroissement moyen, disons de 25 % des revenus, et un
accroissement correspondant des prix, tous deux assez équitablement
répartis entre tous les groupes. mais cela n'effacera pas les gains et
les pertes de la période de transition. Le groupe D, par exemple,
même si son revenu et ses prix ont enfin monté de 25 %, ne
pourra, en définitive, acheter que la même quantité de
marchandises et services qu'avant le début de l'inflation. Il ne
pourra jamais rattraper la perte subie durant la période où son
revenu et ses prix n'avaient pas monté, bien qu'il eût à
ce moment à payer les 30 % de hausse sur les marchandises et services
qu'il achetait aux autres groupes de fabricants de la communauté A, B,
et C.
3
L'on
voit ainsi que l'inflation s'avère être un exemple de plus pour
illustrer notre leçon essentielle. Elle peut, en vérité,
profiter pour un moment à quelques groupes, mais seulement au
détriment des autres. Et à la longue, elle cause de grands
ravages à l'ensemble de la communauté économique.
Même
une inflation très relative et légère détraque la
structure de la production. Elle hypertrophie certaines industries et en
anémie d'autres. Elle implique un gaspillage du capital et son mauvais
emploi. Lorsque l'inflation s'arrête ou marque un temps d'arrêt,
le capital mal investi, que ce soit sous forme de machines, d'usines ou de
bureaux, ne peut plus donner d'intérêt et perd une grande part
de sa valeur.
Et
il n'est pas possible non plus d'arrêter doucement l'inflation, ce qui
permettrait d'éviter une dépression trop forte. Il n'est
même pas possible de mettre fin à l'inflation une fois qu'elle
est commencée, à quelque point fixé d'avance ou quand
les prix ont atteint le niveau qu'on avait désiré d'un commun
accord, car les forces politiques, autant que les forces économiques,
auront cessé d'être contrôlables. Vous ne pouvez affirmer
que la hausse des prix par l'inflation doit être de 25 %, sans que
quelqu'un ne vous rétorque que votre démonstration vaut aussi
bien pour une augmentation deux fois plus forte, soit 50 %, et quelqu'un
d'autre quatre fois plus forte, soit de 100 %. Et les partis politiques qui
l'ont préconisée, et en ont bénéficié,
insisteront pour qu'on la maintienne.
En
outre, en période d'inflation, il est impossible de garder le
contrôle de la valeur de la monnaie. Car, nous l'avons vu, le
système ne s'engendre pas de façon purement mécanique.
Vous ne pouvez dire à l'avance par exemple, que si la quantité
de monnaie s'accroît de 100 %, l'unité monétaire perdra
50 % de sa valeur, car, nous le savons, la valeur de la monnaie dépend
surtout des évaluations subjectives des hommes qui la
possèdent. Et ces évaluations ne dépendent pas seulement
de la quantité que chacun en détient. Elle dépend aussi
de la qualité de la monnaie. En temps de guerre, la valeur de
l'unité monétaire d'une nation, non rattachée à
l'or, s'élèvera sur le marché des changes avec la
victoire et tombera avec la défaite, sans tenir compte des changements
survenus dans le volume de sa circulation. L'évaluation présente
dépend parfois de l'impression qu'on a de ce que sera son volume futur.
Et, comme il arrive pour les opérations spéculatives dans les
Bourses de marchandises, chacun voit l'évaluation qu'il donne à
la monnaie subir l'influence, non seulement de sa propre opinion, mais de ce
qu'il croit que sera celle des autres.
Tout
cela explique pourquoi, lorsqu'une fois la super-inflation est
installée, la valeur de l'unité monétaire
décroît à un rythme beaucoup plus rapide que la
quantité de monnaie ne s'accroît réellement, ou ne risque
de s'accroître. Quand on atteint ce stade, le désastre n'est pas
loin d'être complet, et l'on en est à la banqueroute.
4
Et
pourtant, l'engouement pour l'inflation ne cesse pas. On dirait qu'aucun pays
n'est capable de profiter de l'expérience d'un autre, et qu'aucune
génération n'est capable d'apprendre la leçon à
tirer des souffrances de ses prédécesseurs. Chaque
génération, chaque pays, poursuit le même mirage. Chacun
cherche à étreindre cette rose de Jéricho qui se fond en
poussière et en cendres dans la main. Car il est dans la nature
même de l'inflation de donner naissance à des illusions sans
nombre.
De
nos jours l'argument favori en faveur de l'inflation est qu'elle va remettre
en marche les rouages de l'industrie, qu'elle va nous sauver des pertes
irréparables de la dépression et du chômage et nous
apporter le « plein emploi ».
Ce
raisonnement dans sa forme la plus simpliste repose toujours sur la fameuse
et immorale confusion entre la monnaie et la véritable richesse. Il
affirme qu'on va recréer un nouveau pouvoir d'achat et que les effets
bienfaisants de ce nouveau pouvoir d'achat vont se multiplier et
s'étendre en cercles de plus en plus larges comme ceux que fait une
pierre jetée dans l'eau. Le véritable pouvoir d'achat n'est pas
là, nous l'avons vu ; il consiste à fabriquer de nouveaux
produits. Il ne peut être accru simplement parce qu'on aura
frappé de nouvelles pièces, ou imprimé de nouveaux
papiers appelés dollars. Dans une économie d'échange, le
processus fondamental consiste en ce que A échange les produits qu'il
vient de fabriquer contre ceux que B vient de fabriquer aussi [3].
Ce
que l'inflation accomplit vraiment, c'est qu'elle change les rapports entre
les prix et les coûts de production. On lui demande avant tout de faire
monter les prix des marchandises en fonction des salaires, afin de restaurer
le produit et encourager l'investissement de capitaux dans les secteurs
où se trouvent des ressources oisives, rétablissant ainsi un
rapport possible entre les prix et les coûts de production.
Il
est facile de comprendre qu'on obtiendrait ce résultat beaucoup plus
facilement et plus honnêtement par une réduction du taux des
salaires. Mais les partisans les plus savants de l'inflation vous
démontrerons que, pour des raisons politiques, c'est une chose tout
à fait impossible. Ils vont même parfois plus loin et ils
accusent ceux qui, pour tenter de résorber le chômage proposent
de réduire les salaires, d'être « contre la classe
ouvrière ». Pourtant ce qu'ils proposent, eux, disons-le tout
net, c'est de la tromper, puisqu'ils préconisent de réduire les
salaires réels (c'est-à-dire le pouvoir d'achat) par une
augmentation des prix.
Ils
oublient que la classe ouvrière est maintenant très avertie des
problèmes du travail. Les syndicats les plus puissants qui la dirigent
possèdent des corps d'économistes qui suivent les indices des
prix et qui ne laissent pas tromper l'ouvrier ; dans les conditions actuelles,
la tactique qu'ils préconisent est incapable d'atteindre leurs buts
économiques et politiques. Car ce sont précisément les
syndicats les plus puissants, ceux dont les salaires auraient besoin
d'être le plus réduits, qui lutteront le plus pour les faire monter
jusqu'au niveau de n'importe quelle hausse de l'indice du coût de la
vie. Tant que cette influence des puissants syndicats prévaudra, les
relations entre les salaires et les prix seront paralysées. Et
l'échelle des salaires, dont la structure est déjà
déformée, le sera de plus en plus, car la grande masse des
travailleurs non syndiqués, dont les taux de salaires, même
avant l'inflation n'étaient pas au niveau de ceux des autres (et
peuvent même avoir encore été indûment
réduits de par l'intransigeance des syndicats) seront encore plus
déprimés pendant la période de transition à cause
de la montée des prix.
5
Les
avocats les plus retors de l'inflation, en bref, ne sont pas sincères.
Ils ne défendent pas leur cause avec une totale franchise et ils finissent
par se duper eux-mêmes. Ils commencent par vous parler de
papier-monnaie, tels les plus naïfs des inflationnistes, comme si
c'était une forme de la richesse qu'on puisse créer à
volonté sur la presse à billets. Ils discutent gravement de ce
« multiplicateur » grâce auquel chaque nouveau dollar
imprimé et dépensé par l'État devient comme par
magie l'équivalent de plusieurs autres dollars qui s'ajoutent à
la richesse du pays.
En
somme, ils détournent l'attention du public et la leur des causes
réelles de la dépression actuelle. Car ces causes, la plupart
du temps, résident dans un déréglage des rapports
salaires-coûts-prix, du mauvais ajustement entre les salaires et les
prix, entre les prix des matières premières et celui des
produits finis, ou entre un prix et un autre, entre un salaire et un autre.
Il y a toujours quelque point ou ce déréglage a supprimé
le stimulant à la production ou a paralysé celle-ci, et
étant donné l'interdépendance organique de notre
économie d'échange, la crise se propage. La production ne
pourra repartir tant que l'on n'aura pas corrigé ces ajustements
défectueux.
Certes,
il est vrai que l'inflation peut parfois les corriger, mais c'est une
méthode violente et dangereuse. Car les corrections qu'elle introduit
ne sont pas faites ouvertement et honnêtement, mais grâce
à une illusion. C'est comme si l'on vous faisait lever une heure plus
tôt, en vous faisait croire qu'il est 8 heures quand il en est 7. Ce
n'est d'ailleurs peut-être pas pure coïncidence si notre monde
moderne a eu besoin d'imposer ce mensonge d'avancer toutes ses pendules d'une
heure pour obtenir le résultat d'un lever plus matinal, et s'il est
également contraint d'avoir recours à l'inflation pour obtenir
un résultat analogue en matière économique.
Car
l'inflation tend un voile d'illusions sur tous le processus
économique. Elle trompe presque tout le monde, même ceux qui
souffrent par elle. Nous avons tous l'habitude de compter notre richesse et
mesurer notre revenu en termes de monnaie. Cette habitude mentale est si
profonde que même les économistes de profession et les
statisticiens ne peuvent rompre avec elle. Ce n'est pas tâche facile
que de se représenter toujours les rapports économiques en
termes de marchandises réelles et de bien-être réel. Quel
est celui d'entre nous qui ne se sent pas plus fier et plus riche quand on
lui dit que le revenu national a doublé (évalué en
dollars, naturellement) par comparaison avec celui d'avant l'inflation ?
Même le petit employé qui gagnait 25 dollars par semaine et qui
en gagne maintenant 35 croit qu'il est plus riche en quelque manière,
bien que la vie soit deux fois plus chère, que lorsqu'il en gagnait
25. Certes, il n'est pas aveugle et il voit bien que la vie a monté.
Mais il n'est pas non plus aussi conscient de sa véritable situation
qu'il ne l'eût été si le coût de la vie n'avait pas
changé, et qu'on eût réduit son salaire en monnaie,
de manière à ne lui laisser que le même pouvoir d'achat
diminué qu'il a aujourd'hui, avec son salaire plus
élevé, et cela par suite de la hausse des prix.
L'inflation
est pour lui l'autosuggestion, l'hypnotisme, l'anesthésique qui a
émoussé la douleur de l'opération. L'inflation est
l'opium du peuple.
6
C'est
là d'ailleurs sa fonction politique. C'est en effet parce que
l'inflation brouille tout, que nos gouvernements de moderne économie
dirigée y ont recours si fréquemment. Nos avons vu au chapitre
IV, pour ne prendre qu'un exemple, qu'il est faux de croire que de nouveaux
travaux publics créent forcément du travail. Si on les paie
avec le produit de l'impôt, alors avons-nous constaté, chaque
dollar dépensé par l'État pour ces travaux est pris dans
la poche du contribuable, qui ne l'a plus pour faire face à ses
propres dépenses, si bien que, pour tout emploi ainsi
créé par l'État, un emploi privé se trouve
détruit.
Mais
supposons que les travaux publics ne soient pas financés par les
impôts. Supposons qu'ils le soient par un déficit des finances
publiques, c'est-à-dire par l'emprunt ou par le jeu de la presse
à billets. Alors le résultat que nous venons de décrire
semble ne pas se produire. Ces travaux publics paraissent devoir être
couverts par un « nouveau » pouvoir d'achat. On ne peut vraiment
pas soutenir qu'il a été pris sur les contribuables, et pour
l'instant la nation paraît avoir obtenu quelque chose pour rien.
Mais
appliquons notre leçon et voyons les conséquences plus
lointaines. Il faudra bien, tôt ou tard, rendre l'argent
emprunté. L'État ne peut indéfiniment accumuler dettes
sur dettes, sinon il fera banqueroute, comme l'observait en 1776 Adam Smith :
«
Quand les dettes d'un État se sont accumulées jusqu'à
une somme donnée, il y a peu d'exemples, me semble-t-il, qu'elles
aient été payées honnêtement et
complètement. Pour en affranchir le Trésor, si jamais on y est
parvenu, il a toujours fallu faire banqueroute, parfois ouvertement, mais
toujours effectivement, quoique par de prétendus payements ».
Donc,
quand l'État en vient à rembourser la dette qu'il a
contractée pour réaliser de grands travaux publics, il lui faut
augmenter les impôts au-delà de ce qu'il a
dépensé. Et à ce moment, nécessairement, il
supprime par cela même plus de travail qu'il n'en a créé.
Ces impôts supplémentaires, non seulement enlèvent au
contribuable un pouvoir d'achat correspondant, mais en outre, ils découragent
la production, réduisant d'autant la richesse et le revenu global du
pays.
La
seule façon d'échapper à cette conclusion serait de
supposer (comme le font naturellement les apôtres des dépenses
sans fin) que les hommes politiques au pouvoir ne feront ces dépenses
que pour parer à ce qui, sans cela, serait une période de
dépression ou de déflation, et qu'ils rembourseront ces dettes
aussitôt que l'on retrouvera une période qui, autrement, serait
une période de boom ou d'inflation. Ceci n'est qu'une trompeuse
hypothèse, car malheureusement les hommes politiques au pouvoir
n'agissent jamais ainsi, tant sont précaires les prévisions
économiques et fortes les pressions politiques.
Les
dépenses budgétaires par le déficit systématique
donnent naissance à des intérêts si puissamment
organisés qu'ils en demandent la maintien à tout prix.
Si
l'on ne cherche pas honnêtement le moyen de s'acquitter de cette dette
grossie par le temps et si, au lieu de cela, on persiste à recourir
à l'inflation, alors on en provoque les résultats que nous
avons déjà décrits. Car dans l'ensemble le pays ne peut
rien avoir pour rien. L'inflation est elle-même une forme
d'impôts, c'en est d'ailleurs la plus mauvaise, et celle qui
pèse le plus lourdement sur les plus faibles. Quand on vous soutient
que l'inflation touche tout le monde et de façon équivalente
(ce qui, nous l'avons vu, n'est jamais vrai), on pourrait répondre que
ce serait exactement comme de mettre une taxe générale et
légère sur toutes les ventes, la même sur le lait et le
pain que sur les diamants et les fourrures. L'on pourrait également
dire qu'elle équivaut à une simple taxe, de même
pourcentage pour tous et sans aucune exception, sur tous les revenus. Ce
serait un impôt non seulement sur toutes les dépenses, mais aussi
sur l'épargne et sur l'assurance-vie. Ce serait en fait un simple
impôt sur le capital, sans exception, et pour lequel le pauvre aurait
à payer le même pourcentage que le riche.
Mais
l'inflation cause pis que cela car, nous l'avons vu, elle ne peut pas toucher
tout le monde également. Il y en a toujours qui souffrent plus que
d'autres. En proportion, elle affecte souvent le pauvre plus que le riche.
Car elle est une sorte d'impôt qui échappe au contrôle des
autorités. Elle frappe dans toutes les directions selon son caprice.
Le taux du prélèvement qu'elle opère n'est pas fixe et
ne peut être prévu. Nous savons ce qu'il est aujourd'hui, nous
ignorons ce qu'il sera demain, et demain nous ne saurons pas ce qu'il sera le
jour suivant.
Comme
tout autre impôt, nous devons tous tenir compte de l'inflation pour
prendre des décisions aussi bien pour notre dépense personnelle
que pour nos affaires. Elle décourage les qualités de prudence
et d'économie. Elle encourage le gaspillage, le jeu, les
prodigalités de toutes sortes. Sa nature est telle qu'elle rend la
spéculation plus avantageuse que la production. Elle déchire le
tissu des rapports normaux d'une économie stable. Ses injustices sans
excuse entraînent ceux qu'elle atteint vers des palliatifs
désespérés. Elle sème es germes du fascisme et du
communisme. Elle incite les peuples à réclamer des
contrôles totalitaires. Elle s'achève invariablement dans l'amer
désenchantement et dans l'écroulement de toute l'économie.
Notes
[1] C'est, résumé
à l'essentiel, la théorie des keynésiens. J'ai
analysé cette théorie en détail dans The Failure of
« New Economics » (New Rochelle, N.Y. : Arlington House,
1959). (Note de l'édition de 1979, traduit par Hervé de
Quengo).
[2] Le lecteur que cette question
intéresse pourra consulter les volumes de B.M. Anderson, La valeur
de la monnaie (1917, nouvelle édition 1936) ou Ludwig Von Mises, La
théorie de la monnaie et du crédit (éditions
américaines 1935, 1953) [ou le livre de l'auteur de ces lignes, The
Inflation Crisis, and How to Resolve It (New Rochelle, N.Y. : Arlington
House, 1978). (Ajout de l'édition de 1979, traduit par Hervé
de Quengo).]
[3] Voir John Stuart Mill, Principes
d'Économie Politique (livre III, ch. XIV, par. 2) ; A. Marshall, Principes
d'Économie Politique (livre VI, ch. XIII, sect. 10) et dans Financement
de la Prospérité américaine, écrit par un
groupe d'économistes « Réfutation de la critique que
Keynes adresse à la doctrine que l'offre crée la demande
», par B.M. Anderson. [Cf. aussi le symposium édité par
l'auteur de ces lignes : The Critic of Keynesian Economics (New
Rochelle, N.Y. : Arlington House, 1960. (Ajout de l'édition de
1979, traduit par Hervé de Quengo).]
Remerciements
: Hervé de Quengo, et traduction par Mme Gaëtan Pirou
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