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Il
est beaucoup question de "bulles", communément
qualifiées de "spéculatives", dans la grande presse
et la presse économique. Ainsi, nous avons connu, dans la
période récente, la "bulle" des dot coms, la
"bulle" immobilière, la "bulle" des
matières premières, ou la "bulle" des
bio-carburants et autres bulles
vertes. Et j’ai exprimé, dans une note
précédente, ma crainte que le rebond des marchés action
observé depuis le point bas de mars 2009, ne
soit qu’une "mini-bulle" qui se reforme au sein
d’une plus grande en train d’éclater.

La
connaissance des mécanismes bullaires est encore imparfaite. Personne
n’a, à ma connaissance, expliqué pourquoi, à un
moment donné, les foules se portaient sur tel type
d’investissement plutôt que sur tel autre, et je ne donnerai pas
de réponse à cette question, pourtant fascinante, parce que je
ne l'ai pas.
Mais il est d’autres éléments de connaissance des bulles
qui commencent à être bien connus, et qui font dire à
ceux qui les ont étudiés que toutes les bulles ne se valent
pas, qu’il existe plusieurs typologies de bulles, et qu’il est
utile de les connaître pour mieux les comprendre.
Pourquoi la bulle immobilière a-t-elle eu de tels effets
dévastateurs, alors que la bulle des dot-coms, par exemple, n’a
été qu’une péripétie vite
absorbée par les économies ?
Ces deux bulles sont différentes à la fois par la nature des
actifs sous-jacents, et par leur mode de financement.
Spéculation sur le rendement vs. Spéculation sur la
plus-value
Dans le cas des actions des sociétés de l’Internet
naissant, qui ont vu leurs valorisations boursières atteindre des
valeurs délirantes entre 1997 et mars 2000, date de
l’éclatement de la bulle (après une première
alerte en Aout 99), la "valeur" putative des actifs était liée
à une estimation excessivement optimiste des retours sur
investissement futurs. La bulle s’est dégonflée lorsque
les investisseurs se sont rendus compte que sur 10 dotcoms, une seule avait
un réel potentiel de rentabilité égal aux attentes, deux
ou trois resteraient des grosses PME de l’Internet, et une bonne moitié
n’étaient que des coquilles vides sans vrai business model.
Rappelez-vous des valorisations délirantes de multimania ou de boo.com
avant leur chute !
Le phénomène n’est pas nouveau, et les historiens
rappelleront l’analogie avec la bulle des chemins de
fers anglais qui s’est produite à partir de 1840.
Là aussi, les investisseurs ont surestimé le potentiel
commercial de ce nouveau moyen de transport. Par conséquent, les
valorisations des compagnies de chemin de fer ont atteint des sommets, et des
lignes sans réel potentiel commercial ont été
financées à perte. Lorsque la banque d’Angleterre
dût réaugmenter ses taux d’intérêts pour
freiner l’emballement du crédit, les investissements se mirent
à fuir les projets les moins rentables, coupant le robinet du
crédit aux compagnies concernées, et faisant chuter la valeur
des actions des compagnies qui n’avaient pas fait faillite.
Le phénomène de hausse des cours, dans ce cas, n’est pas
lié à la rareté des projets à financer, mais
à la rareté des "bons" projets. Il n’en va pas
de même dans les bulles portant sur l’immobilier
résidentiel.
Au contraire, la bulle sur l’immobilier résidentiel que nous
venons de vivre porte sur un actif dont les occupants, propriétaires,
n’attendaient aucun gain de rendement, aucun profit de nature
industrielle, mais simplement une prise de valeur "en dormant", une
plus-value assurée en cas de revente. Comme mes lecteurs le savent,
cette sur-valorisation a été entrainée à la
fois par des distorsions graves du marché du crédit (nombreux
articles à partir de cette page), et par un
facteur de rareté lié aux réglementations du sol
appliquées dans une douzaine d’états, qui a fait que la
bulle ne s’est pas produite sur tout le territoire américain.
Conséquences de l’éclatement des bulles
Les conséquences de l’éclatement de ces deux types de
bulles sont différentes.
Dans le premier cas, certes, des investissements productifs ont
été mal valorisés, certes, il y a eu sur-investissement
dans des secteurs industriels au potentiel prometteur mais surestimé.
Mais il n’en est pas moins resté de gros progrès
technologiques, des lignes de chemin de fer qui, une fois
rationalisées, ont soutenu les échanges et permis à la
Grande Bretagne de continuer son développement, ou des logiciels et
infrastructures de l’internet qui ont permis de poursuivre à un
rythme plus sage le développement apaisé de
sociétés sérieuses.
Dans le second cas, la création réelle de valeur a
été faible. L’éclatement de la bulle ne fait que
ramener le cours des actifs spéculatifs à leur norme
historique, voire, au moins temporairement durant la phase de
réajustement, en dessous. Il n’y a pas eu plus de maisons
construites dans les états où la bulle a été
intense que là ou elle a été inexistante, bien au
contraire. Seuls les gagnants de la spéculation foncière (ceux
qui ont converti du foncier non constructible en constructible) et ceux qui
ont vendu à temps et racheté dans des endroits non bullaires
ont gagné ce que ceux qui se sont fait piéger par le miracle de
la propriété survalorisée ont perdu.
Quelques nuances
Certes, tout n’est pas "blanc" ou "noir". Certains
spéculateurs sont entrés sur la bulle des dotcoms dans
l’espoir d’un profit rapide, par achat et revente au bon moment.
Il y a donc bien eu des spéculateurs de pure plus-value qui se sont
greffés sur un phénomène général de
spéculation sur des rendements futurs excessifs. Il n’en reste
pas moins que dans leurs fondamentaux, les bulles des dotcoms ou des chemins
de fer étaient des bulles entreprenariales.
Par contre, quand bien même bien des ménages empruntant
"contre la valeur" de leur maison n’en n’ont pas eu
nécessairement conscience, la bulle sur l’immobilier
résidentiel a été une pure bulle de spéculateurs,
dans lesquels les ménages ont spéculé sur leur
capacité à revendre cher leur maison en cas de banqueroute, et
où les banquiers ont spéculé sur la capacité de
réaliser une plus value sur des maisons apportées en garantie
d’un emprunt.
Là encore, la classification proposée n’est pas de
type binaire. Certaines bulles dans l’immobilier commercial, les
bureaux, ont été "mixtes", entre attentes sur les
rendements futurs et espérance de revente avec profit liée
à un facteur de rareté.
Enfin,
je n'évoque pas d'autres bulles, encore différentes, comme
celles qui peuvent se former sur des matières premières
à cause de ruptures brutales dans l'équilibre de l'offre et de
la demande, pour conserver cet article dans des proportions raisonnables.
Financement par l’épargne vs. financement
sur-leveragé.
En 1840, le niveau de fonds propres des banques anglaises était
très supérieur à ce qu’il est aujourd’hui,
et malgré les interventions d’une banque centrale sur la monnaie
et les taux d’intérêt, la discipline de
l’étalon or qui pesait alors sur la livre a eu tôt fait de
couper les ailes aux emprunteurs imprudents. Ajoutons que les compagnies de
chemin de fer, aux standards de l’époque, ont dû maintenir
des niveaux de fonds propres suffisants pour pouvoir emprunter : les
ratios de dette sur fonds propres (le "levier"), durant cette
bulle, n’ont jamais atteint les sommets que l’on a
observés ces dernières années dans les banques.
De même à la fin des années 90, les dot.coms se
sont financées à coup d’appels au capital. Les
investisseurs ont massivement joué leur argent, et les entreprises
concernées, quand bien même elles ont eu recours au
crédit, ont d’abord risqué les fonds propres
apportés par des actionnaires eux même peu leveragés.
Ajoutons que lorsque ces sociétés se sont endettées,
elles ont beaucoup fait appel à l’émission
d’obligations sur les marchés boursiers, obligations souscrites
en partie par des épargnants jouant leurs économies mais
globalement peu financés par la dette.
Au contraire, la bulle immobilière a été financée
par des banques à taux de fonds propres faibles, qui devaient donc se
refinancer en grande partie par l’emprunt sur les marchés de
capitaux, et qui ont prêté à des ménages eux
même très peu solvables et pauvres en apport personnel,
c’est à dire eux-mêmes très leveragés.
Bref, les bulles technologiques, de nature entreprenariales, ont
été majoritairement financées par de
l’épargne et des effets de levier raisonnables, alors que les
bulles immobilières ont été essentiellement
alimentées par du crédit bancaire trop laxiste, avec des effets
de levier considérables.
Conséquences du mode de financement des bulles lors de leur
éclatement
Dans le cas des bulles à fort financement par l’épargne,
l’éclatement ne fait que laisser au mauvais investisseur ses
yeux pour pleurer, mais les effets de levier raisonnables induits
n'entraînent pas un choc insurmontable pour l’économie.
L’argent du mal-investissement continue de circuler, il va juste se
réallouer sur d’autres projets plus rentables.
L’éclatement de telles bulles est donc un phénomène
certes pénible pour ceux qui laissent leur chemise, mais
fondamentalement pas dramatique pour l'économie dans son ensemble.
Au contraire, l’éclatement d’une bulle financée par
très fort effet de levier laisse sur le carreau des milliers
d’agents économiques insolvables, dont la défaillance
désolvabilise à leur tour les créanciers, et ainsi de
suite, dans une spirale vicieuse qui ne s’arrête que lorsque la
pyramide de dettes à fondu par faillite, par échange de dettes
contre du capital, ou tout autre mécanisme susceptible de "déleverager"
les agents économiques, pardon pour le néologisme peu
élégant.
De fait, on peut dire que les bulles d’investisseurs financées
par appel large à l’épargne sont les moins dangereuses
pour l’économie, alors que les bulles d’attentes de plus
value sur des biens non producteurs de valeur, financées par le
recours abusif au crédit, sont potentiellement les plus
désastreuses.
La monnaie, le crédit et les bulles
Contrairement à ce qu’affirment certains auteurs par ailleurs
tout à fait respectables, il n’est pas nécessaire que les
taux d’intérêts soient bas pour que se crée une
bulle. Le début des phénomènes bullaires, tant sur le
chemin de fer Britannique, que sur l’immobilier US, ou sur les
dot-coms, est survenu lors de phases de taux d’intérêts
élevés, voir même en phase de légère
augmentation. Ainsi, aux USA, la hausse de l'immobilier a commencé
dès 1999, alors que les baisses de
taux reprochées à Alan Greenspan n'ont commencé
que fin 2001.
Par contre, dans les deux premiers cas, la baisse, pour de toutes autres
raisons, des taux d’intérêts par les banques centrales,
alors que la bulle était en formation, a contribué à
amplifier sa taille au-delà de ce qu’elle aurait
été si
une pure monnaie de marché avait existé, poussant
à la hausse les taux d’intérêts au fur et à
mesure que la demande de crédit augmentait.
Une monnaie de marché, fondée, par exemple, sur des signes
monétaires représentant des créances sur des actifs
tangibles détenues par les banques émettrices (par exemple
l’étalon or), constitueraient non pas un garde fou absolu contre
bulles, car elles n’empêcheraient pas les erreurs
d’estimation collectives sur la valeur des choses. Mais elles agiraient
comme une valve de sécurité qui empêcherait les
bulles de crédit d’atteindre des proportions dommageables
pour l’économie, et ce serait déjà beaucoup.
Sortir de la bulle actuelle
La bulle actuelle est une bulle de pyramide de dettes, fondées sur des
espoirs abusifs de gains liés à un facteur de rareté
d’un bien non productif.
La réponse des gouvernements à cette bulle a consisté
majoritairement à essayer de maintenir artificiellement les cours de
l’immobilier élevé (primes à l’achat aux
USA, Scellier
en France, etc…), tout en émettant de la dette publique
pour racheter la mauvaise dette privée. C’est la pire des
façons de procéder, puisqu’elle transforme
l’état en spéculateur sur la valeur de revente d’un
bien, mais dans des conditions où l’on sait qu’il
n’a aucune chance de récupérer la valeur des créances
rachetées. Même la FED estime que les 11.6 milliers de milliards
de dollars de rachats et garanties diverses accordées pour sortir de
la crise ne sont couverts qu’à 75%, et encore cette
estimation parait elle outrageusement optimiste à nombre
d’observateurs.
La seule bonne réponse aurait été de laisser
l’immobilier retourner à ses cours historiques, et à
déléverager la pyramide de dettes suivant des
mécanismes d’échanges de dette contre capital
déjà évoqués ici, de façon à
transformer les reliquats de la bulle en prises de risques fondées sur
des fonds propres.
D’autre part, les gouvernements devraient sérieusement se
pencher sur les facteurs de rareté qui font de l’immobilier un
bien aussi volatil. Songeons que la Grande
Bretagne subit sa quatrième bulle en 40 ans ! Mais les
trois précédentes (70,79,90) avaient été plus
qu’aujourd’hui financée par des apports personnels et donc
un effet de levier des ménages moins important, du fait des taux
d’intérêts plutôt élevés qui
prévalaient alors. Elles n’avaient donc pas eu la même
ampleur et les mêmes conséquences économiques que
l’actuelle, quand bien même elles ont renchéri un poste de
dépenses de façon préjudiciable au pouvoir d’achat
et à la compétitivité de l’économie
britannique.
Abroger toutes les réglementations qui poussent à la hausse la volatilité
de l’immobilier lorsque la demande est accrue par un crédit bon
marché, pour en finir
avec les bulles immobilières, serait l’une des
meilleures décisions à prendre pour l’économie des
années futures.
Enfin, revenir à un système monétaire
auto-discipliné, dans lequel une hausse de la demande de crédit
renchérit le crédit avant qu'il ne soit trop tard, est la
condition sine qua non d'une sortie de cette économie "stop and go"
dont les phases de contraction peuvent se révéler
particulièrement dévastatrices.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur et auteur, est
Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France,
"Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement à
l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il ose
proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement:
crise publique, remèdes privés", dec 2007,
Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La doc
française, avec Pierre de la Coste
Publié avec l’aimable autorisation de Vincent
Bénard – Tous droits réservés par Vincent
Bénard.
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