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Nous
avons vu à quels résultats néfastes aboutissent les
efforts des pouvoirs publics lorsqu'ils se mêlent d'élever les
prix des denrées de première nécessité. Il faut
s'attendre à des conséquences aussi désastreuses s'ils
s'efforcent de faire des lois pour établir le salaire minimum. Cela ne
saurait surprendre, car un salaire, en réalité, est un prix. Il
est regrettable pour la clarté de la pensée économique
que le prix des services ou du travail ait reçu un tout autre nom.
C'est cette confusion dans les termes qui empêche tant d'esprits de
reconnaître que ce sont les mêmes lois qui régissent les
salaires et les prix.
En
ce qui concerne les salaires, on se laisse troubler l'esprit par tant de
considérations sentimentales ou par tant d'incidences politiques que,
dans la plupart des discussions, on oublie les principes les plus
élémentaires. Des gens qui nieraient fermement que l'on
pût obtenir la prospérité en faisant monter artificiellement
les prix, ou qui seraient les premiers à démontrer que les lois
du prix minimum pourraient être grandement néfastes aux
industries mêmes qu'elles ont choisi d'aider, se feront pourtant les
défenseurs de lois de salaires minimum, attaquant sans
hésitation ceux qui en démontrent la nocivité.
Pourtant,
il devrait sembler évident qu'une loi sur le salaire minimum constitue
une arme bien modeste pour lutter contre la plaie des salaires de famine, et
que le bien qu'elle peut faire ne peut l'emporter sur ses
inconvénients que dans la mesure même où son but reste
modeste.
Plus
une loi de ce genre est exigeante, plus le nombre de travailleurs qu'elle
désire mettre à l'abri grandit, plus elle tente de faire monter
leurs salaires, et plus il est probable que ses mauvais effets l'emporteront
sur les bons.
Quand
on vote une loi qui fixe le salaire de base à 30 dollars par exemple
pour une semaine de 40 heures, il en résulte tout d'abord que tout
travailleur qui ne pourra fournir à son employeur un travail
équivalent à 30 dollars, perdra son travail.
Vous
ne pouvez faire que le travail d'un homme vaille tel prix, simplement en
décidant qu'on n'aura pas le droit de le payer à un prix
inférieur. Vous le privez tout simplement du droit de gagner ce que
ses capacités et sa situation lui permettent de gagner et, en
même temps, vous privez la société des services modestes
qu'il est capable de rendre. Finalement, vous n'aurez fait que remplacer un
salaire bas par du chômage. Vous faites du mal dans tous les sens sans
aucune compensation.
Il
n' y a guère qu'une exception à ce tableau. Elle se produit
quand un groupe de travailleurs reçoit un salaire nettement au-dessous
du salaire normal qui a cours sur le marché. Mais cela n'a chance
d'arriver que dans des circonstances particulières ou dans de petites
communes, là où la concurrence ne joue ni librement ni
convenablement. Pourtant, dans tous ces cas, le problème pourrait
être résolu, d'une manière plus souple et moins nocive,
simplement en groupant ces travailleurs dans un syndicat.
On
peut penser que si la loi oblige une industrie à donner un salaire
plus élevé à ses ouvriers, elle vendra ses produits plus
cher, si bien que le poids de cette augmentation de salaire retombera
finalement sur le consommateur. Mais ces transferts de charges ne se font pas
si facilement, et l'on ne se débarrasse pas si aisément non
plus des conséquences qu'entraîne une augmentation artificielle
de salaires. Il se peut, par exemple, que le relèvement des prix soit
impossible parce qu'il pousserait le client à chercher un produit de
remplacement. Ou bien, si le client consent à payer plus cher, il
achètera moins. Et tandis que certains ouvriers
bénéficieront d'une augmentation de salaire, d'autres seront
mis au chômage.
Enfin,
si les prix ne sont pas relevés, les producteurs marginaux seront
obligés de fermer leur usine, si bien que, finalement, par ce moyen
nouveau, on aura provoqué une réduction de la production avec
le chômage qui en est la conséquence.
Quand
on expose ces résultats, quelques esprits ne manquent pas de
répliquer : « Très bien, si vraiment telle industrie ne
peut maintenir son usine qu'en payant des salaires de famine, ce sera tant
mieux si le salaire de base l'oblige à disparaître. »
Cette vigoureuse réflexion ne tient pas compte des réalités.
On oublie d'abord que le client va être privé de la production
de cette industrie. En second lieu, on ne réfléchit pas que
cela revient à condamner au chômage tous les ouvriers de cette
industrie. Finalement, on ne veut pas voir que les salaires payés dans
cette industrie, si mauvais qu'ils fussent, étaient encore les
meilleurs parmi ceux qui pouvaient s'offrir aux ouvriers de cette industrie ;
sinon, ils seraient allés ailleurs. Si donc une industrie est
anéantie par l'effet d'une loi sur le salaire minimum, ses ouvriers
seront obligés d'entrer dans les places qu'ils avaient jugé
trop peu payées auparavant. Leur concurrence dans la recherche de ces
places va faire baisser les prix offerts primitivement, même dans ces
industries qu'ils avaient dédaignées. Pas moyen donc
d'échapper à la conclusion que la loi du salaire minimum
accroîtra le chômage.
2
La
loi sur le salaire minimum pose en outre un délicat problème,
celui de remédier au chômage qu'elle va créer. En
décrétant un minimum de salaire de, par exemple, 75 cents
à l'heure, nous défendons à quiconque de travailler
à moins de 30 dollars pour 48 heures par semaine. Supposons maintenant
que nous ne donnions que 18 dollars par semaine comme allocation de
chômage. Cela signifie que nous empêcherons un travailleur de
faire un travail utile, à, mettons 25 dollars par semaine, et que nous
lui donnerons 18 dollars par semaine à ne rien faire. Nous avons ainsi
privé la société de la valeur de son travail. Nous avons
privé l'ouvrier de son indépendance et du respect de
soi-même qui découle du sentiment qu'on doit se suffire à
soi-même et qu'on fait un travail utile, même s'il est mal
payé, et, en même temps, nous avons réduit le gain qu'il
eût pu recevoir par son effort personnel.
Telles
sont les conséquences de l'allocation de chômage, aussi
longtemps qu'elle est inférieure, ne fût-ce que d'un penny
à la somme de 30 dollars. Plus nous augmenterons cette allocation et
plus la situation empirera par d'autres côtés. Si nous donnons
30 dollars d'allocation au chômeur, alors nous donnons autant aux
hommes qui ne travaillent pas qu'à ceux qui travaillent. En outre,
quelle que soit l'indemnité allouée au chômeur, nous
créons par là même une situation nouvelle telle que
chacun ne travaille plus que pour la différence entre son salaire et
l'indemnité de chômage.
Si
l'indemnité de chômage est de 30 dollars par semaine, les
ouvriers à qui l'on offre un dollar par heure ou 40 dollars par
semaine ne sont en réalité payés que 10 dollars par
semaine, puisqu'ils pourraient obtenir le reste, soit 30 dollars, en ne
faisant rien.
On
aura peut-être l'idée que, pour échapper à ces
néfastes conséquences, on pourrait donner un secours de travail
au lieu d'une allocation de chômage, mais on ne fait alors que modifier
la nature de ces conséquences. Le salaire de secours signifie que l'on
va donner au bénéficiaire plus qu'il ne recevrait sur le
marché libre pour un même travail. Une partie seulement de cette
indemnité récompense donc son travail (travail d'une
efficacité parfois douteuse), l'autre n'est qu'une allocation de
chômage déguisée.
Il
eût sans doute mieux valu pour tout le monde que l'État,
ouvertement, ait accordé une indemnité de travail à tous
ceux qui étaient déjà embauchés. Nous ne
développerons pas ce point plus longtemps, car cela nous
entraînerait à considérer des problèmes trop
éloignés de notre sujet. Mais il importe de garder en
mémoire les difficultés que posent les indemnités de
chômage, et les conséquences qu'elles entraînent quand il
s'agit de voter la loi sur le salaire minimum ou l'augmentation de salaire
minimum déjà fixé [1].
3
Ce
qui précède n'a pas pour but de démontrer qu'il n'y a
aucun moyen d'augmenter les salaires. Cela veut seulement prouver que la trop
facile méthode de le faire par un ukase du Gouvernement est mauvaise,
et même que c'est la pire.
Peut-être
est-ce ici le meilleur moment pour souligner que ce qui différencie
pas mal de réformateurs de ceux qui n'acceptent pas leurs projets, ce
n'est pas leur plus grande philanthropie, mais surtout leur plus vive
impatience. La question n'est pas du tout de savoir si nous voulons voir tout
le monde aussi heureux et florissant que possible. Entre hommes de bonne
volonté cela va de soi. La véritable question est de savoir
comment s'y prendre pour atteindre ce but. Et pour ce faire, il ne faut
jamais perdre de vue quelques vérités
élémentaires : il est impossible d'abord de distribuer plus de
richesse qu'il ne s'en crée. Et il est impossible ensuite de
rétribuer le travail, dans son ensemble et à la longue, plus
que ne vaut ce qu'il produit.
La
meilleure façon de hausser les salaires est donc d'accroître la
productivité du travail. Plusieurs méthodes peuvent y
être employées : accroître le capital investi,
c'est-à-dire le nombre des machines qui soulagent le travail de
l'ouvrier ; perfectionner l'outillage et le renouveler par des inventions et
transformations ; veiller à une meilleure conduite de l'usine de la
part des chefs et des cadres ; obtenir un meilleur rendement de la part des
ouvriers ; améliorer la formation professionnelle. Plus le travailleur
de l'usine accroît sa production, plus s'accroît la richesse
totale de la communauté. Plus il produit, plus son travail a de valeur
pour les consommateurs, et par conséquent pour les employeurs
eux-mêmes. Et plus son travail aura de valeur pour son employeur, mieux
il sera payé.
Les
hauts salaires, on le voit, naissent de la production et non pas des
décrets du Gouvernement.
Note
[1] En 1938, quand le salaire horaire
moyen payé dans toute l'industrie des États-Unis était
d'environ 63 cents de l'heure, le Congrès établit un minimum
légal de seulement 25 cents. En 1945, le salaire moyen avait
monté jusqu'à 1,02 $ de l'heure et le Congrès porta le
minimum légal à 40 cents. En 1949, le salaire moyen
s'était élevé à 1,40 $ de l'heure et le
Congrès augmenta à nouveau le minimum pour l'instituer à
75 cents. En 1955, le salaire moyen avait grimpé à 1,88 $ et le
Congrès établit le minimum à 1 $. En 1961, avec un
salaire moyen de 2,30 $ de l'heure, le minimum fut porté à 1,15
$, puis fut augmenté en 1963 à 1,25 $. Pour résumer la
suite, le salaire minimum fut porté à 1,40 $ en 1967, à
1,60 $ en 1968, à 2,00 $ en 1974, à 2,10 $ en 1975 et à
2,30 $ en 1976 (alors que le salaire moyen de toute l'industrie, agriculture
exceptée, était de 4,87 $). Puis, en 1977, alors que le salaire
horaire moyen effectif de l'industrie non agricole était de 5,26 $, le
salaire minimum fut augmenté à 2,65 $ de l'heure, avec une
clause pour l'augmenter encore lors de chacune des trois années
suivantes. Ainsi, quand les salaires horaires en cours montent, les avocats
du salaire minimum décident d'augmenter le minimum légal en
conséquence. Bien que la législation suive la hausse du taux
des salaires ayant cours sur le marché, on entretient encore le mythe
selon lequel c'est la loi sur le salaire minimum qui aurait conduit à
faire monter les salaires du marché (Note de l'édition de
1979, traduite par Hervé de Quengo).
Remerciements
: Hervé de Quengo, et traduction par Mme Gaëtan Pirou
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