|
Le contrôle gouvernemental
des loyers des maisons et appartements représente une forme
particulière de contrôle des prix. La plupart de ses
conséquences ne sont guère différentes de celles
résultant du contrôle des prix en général, mais
quelques-unes réclament une attention particulière.
Les contrôles des loyers
sont parfois imposés en tant que partie d'un dispositif
général de contrôle des prix, mais ils sont le plus
souvent décrétés par une loi spéciale. Souvent
l'occasion est fournie par le déclenchement d'une guerre. On installe
un poste militaire dans une petite ville ; les maisons de rapport augmentent
les loyers de leurs chambres ; les propriétaires d'appartements et de
maisons augmentent aussi leurs loyers. Ce qui conduit à l'indignation
du peuple. Ou alors, des maisons sont bel et bien détruites par des
bombes dans certaines villes, et la nécessité de disposer
d'armements et d'autres provisions détourne matériaux et
travail de l'industrie du bâtiment.
Au départ, le
contrôle des loyers est imposé en raison de l'argument selon
lequel l'offre de logements n'est pas « élastique »
— c'est-à-dire qu'une pénurie de logements ne peut pas
être réglée immédiatement, quels que soient les
niveaux que puissent atteindre les loyers. Par conséquent,
affirme-t-on, le gouvernement, en interdisant la hausse des loyers,
protège les locataires contre l'extorsion et l'exploitation sans faire
aucun mal aux propriétaires et sans décourager les nouvelles
constructions.
Cet argument est erroné,
même en supposant que le contrôle des loyers ne restera pas
longtemps en place. Il oublie une conséquence immédiate. Si les
propriétaires ont le droit d'augmenter leurs loyers pour tenir compte
de l'inflation monétaire et des véritables conditions de
l'offre et de la demande, les locataires individuels chercheront à
faire des économies en prenant moins de place. Ceci permettra à
d'autres personnes de partager les logements dont l'offre est réduite.
Le même nombre de logements abritera plus de monde, jusqu'à ce
que la pénurie prenne fin.
Le contrôle des loyers, au
contraire, encourage un gaspillage d'espace. Il établit une
discrimination en faveur de ceux qui occupent déjà une maison
ou un appartement dans une ville ou une région données, et ceci
aux dépens de ceux qui se retrouvent dehors. En permettant aux loyers
de monter au niveau qu'ils atteindraient sur le marché libre, on
permet à tous les locataires ou locataires potentiels d'avoir une
chance égale d'acheter de l'espace. Dans des conditions d'inflation
monétaire ou de véritable pénurie de logements, les
loyers augmenteraient certainement si les propriétaires ne devaient
pas se conformer à un prix indiqué mais avaient tout simplement
le droit d'accepter les offres les plus compétitives des locataires.
Les effets du contrôle des
loyers empirent au fur et à mesure que le contrôle continue. On
ne construit pas de nouveaux logements, parce qu'il n'y a plus de bonnes
raisons de les construire. Avec l'augmentation des coûts de
construction (habituellement le résultat de l'inflation), l'ancien
niveau des loyers ne permettra pas de faire un profit. Si, comme il arrive
souvent, le gouvernement finit par le reconnaître et exempte les
nouveaux logements du contrôle des loyers, il n'y a toujours pas une
incitation aussi grande à construire de nouveaux bâtiments que
si les anciens logements échappaient eux aussi au contrôle des
loyers. Selon l'ampleur de la dépréciation monétaire
depuis le gel des anciens loyers, les loyers des nouveaux logements peuvent
se retrouver dix ou vingt fois plus élevés que les anciens,
à espace équivalent. (Ceci s'est produit en France après
la Deuxième Guerre mondiale, par exemple). Dans de telles conditions,
les locataires actuels des vieux bâtiments n'ont aucune envie de
partir, même si leur famille s'agrandit et que leurs conditions
d'hébergement se détériorent.
En raison des faibles loyers
gelés pour les anciens bâtiments, les locataires qui y habitent
déjà, et qui sont légalement protégés
contre une augmentation du loyer, sont encouragés à gaspiller
l'espace, que leur famille se soit réduite ou non. Ceci concentre la
pression immédiate de la nouvelle demande sur le nombre relativement
faible des nouveaux logements. Ce qui tend à faire monter leurs
loyers, au début, à un niveau plus élevé qu'ils
n'auraient atteint sur un marché parfaitement libre.
Néanmoins, ceci
n'encouragera pas de manière proportionnelle la construction de
nouveaux logements. Les constructeurs ou les propriétaires des
appartements déjà existants, obtenant des profits
réduits et subissant peut-être même des pertes pour leurs
anciens appartements, auront peu ou aucun capital à placer dans la
construction. De plus, eux, ou ceux qui possèdent un capital provenant
d'autres sources, peuvent craindre que le gouvernement ne trouve à
tout instant une excuse pour imposer également des contrôles de
loyers sur les nouveaux logements. Et, de fait, il le fait souvent.
La situation du logement se
détériorera par d'autres façons. La plus courante est
que les propriétaires, si on ne les autorise pas à augmenter de
manière appropriée les loyers, ne se soucieront plus de réorganiser
les appartements ou d'y apporter d'autres améliorations. En fait, si
le contrôle des loyers est particulièrement irréaliste et
oppresseur, les propriétaires ne chercheront même pas à
réparer les appartements ou les maisons. Non seulement ils n'auront
aucune raison économique de le faire, mais ils peuvent même ne
pas avoir les fonds nécessaires. Les lois sur le contrôle des
loyers, entre autres effets, créent de mauvais rapports entre des
propriétaires qui sont forcés de se contenter de gains minimaux
ou même de pertes, et des locataires qui s'indignent du refus du
propriétaire d'effectuer les réparations adéquates.
Souvent, l'étape suivante
des législateurs, agissant sous des pressions uniquement politiques ou
sous l'influence d'idées économiques confuses, consiste
à supprimer les contrôles sur les appartements de « luxe
» tout en les conservant pour les appartement
de faible ou de moyen standing. L'argument en est que les locataires riches
peuvent se permettre de payer des loyers plus élevés, mais pas
les locataires pauvres.
Cependant, l'effet à long
terme de ce procédé discriminatoire est le contraire de ce que
ses avocats voulaient. On encourage et on récompense les constructeurs
et les propriétaires d'appartements de luxe ; on décourage et
on pénalise les constructeurs et les propriétaires des
logements à faibles loyers, dont on avait un plus grand besoin. Les
premiers sont libres de faire d'aussi grands profits que l'autorisent les
conditions de l'offre et de la demande ; les seconds n'ont plus aucune raison
(voire plus aucun capital) pour construire des logements à loyer
modéré.
Le résultat est un
encouragement comparatif à la réparation et à la
réorganisation des appartements de luxe et une tendance à
transformer les nouveaux bâtiments privés existants en appartements
de luxe. Il n'y a en revanche aucune incitation à construire de
nouveaux logements pour les personnes à faibles revenus, ni même
à conserver en bon état les logements existants pour ces
individus à faibles revenus. Les conditions de logement de ces derniers
vont, par conséquent, se détériorer sur le plan
qualitatif, et il n'y aura aucune augmentation sur le plan quantitatif.
Là où la population croît, la détérioration
et la pénurie des logements à faibles loyers iront de pire en
pire. On pourra en arriver à un point où de nombreux
propriétaires non seulement cessent de faire le moindre profit, mais
doivent faire face à des pertes croissantes et obligatoires. Ils
peuvent se trouver dans une situation où ils ne peuvent même pas
se débarrasser de leur propriété. Ils peuvent alors
abandonner réellement leur propriété et
disparaître, afin de ne pas être imposables. Quand les
propriétaires cessent de fournir le chauffage et d'autres services de
base, les locataires sont obligés de quitter leurs appartements. Des
quartiers de plus en plus nombreux deviennent des taudis. Au cours des
dernières années, à New York, il est devenu courant de
voir des blocs complets d'appartements abandonnés, fenêtres
brisées ou bouchées pour empêcher d'autres
déprédations de vandales. Les incendies volontaires deviennent
plus fréquents et les propriétaires sont suspectés.
Un autre effet est
l'érosion des revenus des villes, car la valeur des
propriétés, qui sert de base pour les impôts, continue de
baisser. Les villes font faillite ou ne peuvent plus continuer à
fournir les services de base.
Quand ces conséquences sont
tellement claires qu'elles crèvent les yeux, ceux qui ont
imposé le contrôle des loyers ne reconnaissent bien sûr
nullement leur erreur. Au contraire, ils dénoncent le système
capitaliste. Ils prétendent que les entreprises privées ont
à nouveau « échoué » ; que « les
entreprises privées ne peut pas faire ce travail. » Par
conséquent, disent-ils, l'État doit intervenir et construire
lui-même des habitations à loyer modéré.
Tel a été le
résultat presque universel dans tous les pays qui furent
impliqués dans la Deuxième Guerre mondiale ou qui ont
imposé le contrôle des loyers afin de contrecarrer l'inflation
monétaire.
Ainsi, le gouvernement lance un
gigantesque programme de logement — aux frais du contribuable. Les
maisons sont louées à un taux qui ne rembourse pas les frais de
construction et de l'opération. Une méthode typique de
procéder consiste pour le gouvernement à payer des subventions
annuelles, soit directement aux locataires sous la forme de loyers faibles,
soit aux constructeurs ou directeurs des logements d'État. Quel que
soit l'arrangement retenu, les locataires de ces constructions sont
subventionnés par le reste de la population. On paie une part de leur
loyer à leur place. On les sélectionne pour ce traitement de
faveur. Les possibilités politiques de ce favoritisme sont trop
évidentes pour qu'il soit nécessaire de les souligner. On
crée un groupe de pression qui croit que le contribuable leur doit ces
subventions, qui sont pour eux un droit. Un autre pas est fait vers
l'État-providence total.
La dernière ironie du
contrôle des loyers est que plus il est irréaliste, draconien et
injuste, plus ardents seront les arguments politiques pour le maintenir. Si les
loyers légalement gelés représentent en moyenne 95 % de
ce qu'ils seraient avec un marché libre des loyers, et que seule une
injustice mineure est faite aux propriétaires, alors il n'y a pas
d'objection politique forte à la suppression du contrôle, parce
que les locataires n'auront à payer qu'une augmentation moyenne de 5
%. Mais si l'inflation monétaire a été tellement forte,
ou que les lois sur le contrôle des loyers ont été
tellement répressives et irréalistes, que les loyers
gelés par la loi ne représentent que 10 % de ce qu'ils seraient
sur un marché libre et qu'une grande injustice est faite aux
propriétaires, alors s'élèvera un grand tollé
dénonçant les maux abominables qu'engendrerait la suppression
du contrôle et l'obligation faite aux locataires de payer un loyer
correspondant à la situation économique. L'argument est le
suivant : il serait effroyablement cruel et déraisonnable de demander
aux locataires de payer une augmentation si soudaine et si forte. Même
ceux qui s'opposent au gel des loyers sont alors disposés à
concéder que la suppression des contrôles doit être un
processus prudent, progressif et prolongé. En fait, dans de telles
conditions, peu d'opposants au gel des loyers ont le courage politique et la
connaissance économique pour même demander cette suppression
progressive. En résumé, plus irréaliste et plus injuste
est le contrôle des loyers, plus il sera politiquement difficile de
s'en défaire. Dans de nombreux pays, un contrôle ruineux des loyers
a été conservé des années après que les
autres formes de contrôle des prix ont été
abandonnées.
Les excuses politiques offertes
pour la poursuite du contrôle des loyers dépassent
l'entendement. La loi explique parfois que ces contrôles peuvent
être abandonnés quand le « taux des chambres à louer
» se situe au-dessus d'un certain seuil. Les fonctionnaires soutenant
le contrôle des loyers soulignent triomphalement que le taux n'a pas
encore atteint ce seuil. Bien sûr que non. En lui-même, le fait
que les loyers légaux sont maintenus tellement en deçà
des loyers du marché augmente artificiellement la demande d'espace
locatif en même temps qu'il décourage tout accroissement de
l'offre. Ainsi, plus les plafonds des loyers sont, de manière
déraisonnable, maintenus bas, plus il est certain que la « rareté
» des maisons et des appartements à louer continuera.
L'injustice imposée aux
propriétaires est flagrante. Il sont, nous
devons le répéter, obligés de subventionner les loyers
payés par leurs locataires, souvent au prix pour eux de grande pertes
nettes. Les locataires subventionnés peuvent fréquemment
être plus riches que le propriétaire forcé d'assumer une
partie de ce qui serait sinon le loyer du marché. Les politiciens
ignorent cet aspect. Ceux qui travaillent dans un autre secteur
économique, qui soutiennent l'imposition ou la conservation du
contrôle des loyers parce que leurs coeurs
battent pour les locataires, ne vont pas jusqu'à suggérer
d'assumer eux-mêmes, par l'impôt, une part de la subvention au
locataire. Le fardeau retombe entièrement sur la petite classe des
individus suffisamment méchants pour avoir construit ou
possédé des logements locatifs.
Peu de mots portent un plus grand
opprobre que « propriétaire de taudis » [« slumlord », mot construit sur « slum », taudis (« slums
» voulant aussi dire les bas quartiers), et « landlord »,
propriétaire ou logeur. NdT]. Et de quoi
s'agit-il ? Il ne s'agit pas de quelqu'un qui possède une
propriété coûteuse dans un quartier à la mode,
mais de quelqu'un qui ne possède qu'une petite propriété
dans les bas quartiers, où les loyers sont les plus bas et où
les paiements sont les plus lents, les plus erratiques et les moins fiables.
Il n'est pas facile d'imaginer pourquoi (hormis une méchanceté
naturelle) quelqu'un qui pourrait se payer un logement locatif décent
déciderait de devenir à la place un propriétaire de
taudis.
Quand on met en place des
contrôles de prix déraisonnables sur des articles de
consommation immédiate, comme le pain par exemple, les boulangers
peuvent tout simplement refuser de le cuire et de le vendre. La
pénurie devient immédiatement évidente et les
politiciens sont obligés d'augmenter les prix plafonds ou de les
supprimer. Les logements sont eux des biens très durables. Il faut
parfois attendre plusieurs années avant que les locataires commencent
à sentir les résultats du découragement à
créer de nouveaux bâtiments et à réparer et
maintenir normalement les anciens. Cela peut prendre encore plus de temps
avant qu'ils ne se rendent compte que la rareté et la
détérioration des logements sont directement liées au
contrôle des loyers. Entre-temps, tant que les propriétaires
obtiennent un quelconque revenu net, supérieur aux impôts et
à l'intérêt de l'hypothèque, ils n'ont pas d'autre
choix que de continuer à conserver et louer leur propriété.
Les politiciens — qui gardent à l'esprit que les locataires
représentent plus de bulletins de vote que les propriétaires
— continuent de manière cynique le contrôle des loyers,
bien après avoir dû abandonner le contrôle
général des prix.
Nous revenons ainsi à notre
leçon de base. La pression en faveur du contrôle des loyers
vient de ceux qui ne considèrent que ses bénéfices
imaginés à court terme pour un groupe de la population. Mais
lorsque nous considérons ses effets à long terme pour tout
le monde, y compris les locataires eux-mêmes, nous devons
reconnaître que le gel des loyers n'est pas seulement de plus en plus
vain, mais de plus en plus destructeur, au fur et à mesure qu'il
devient plus sévère et plus longtemps il demeure en
application.
[Ce chapitre a
été ajouté dans l'édition de 1979, dans laquelle
la numérotation des chapitres suivants est décalée d'une
unité. NdT]
Remerciements :
Hervé de Quengo, et traduction par Mme Gaëtan Pirou
|
|