En Français, le titre se traduit
par Nef des Fous, un livre publié en 1498 ; l’illustration est d’Albrecht
Durer. Il est inspiré du sixième tome de La République, de Platon. En
voici la première ligne : Conçois en effet quelque chose comme ça se
produisant soit sur plusieurs navires, soit sur un seul : un patron par la
taille et par la force
au-dessus de tous ceux qui sont dans le navire, mais presque sourd et y
voyant aussi peu que s'y connaissant en matières de navigation.
Je doute que Platon ait pu
contempler l’idée d’une banque centrale interventionniste basée sur des
notions arbitraires plutôt que sur les instructions pratiques de l’Histoire.
En revanche, il a
involontairement établi le concept de ces agences de déstabilisation, conçues
par un « roi philosophe » dont la sagesse guidait la communauté. Au
sein du système actuel de réserve fédérale, notre patron théorique est le
capitaine d’un navire théorique. L’ironie, c’est que n’importe quelle tribu,
n’importe où, peut élaborer le concept d’un dirigeant omniscient et
omnipotent.
Ce qui est intéressant, c’est
que la société moderne pratique ait toléré cette idée si longtemps. Peut-être
la situation changera-t-elle une fois que les spéculations actuelles auront
été épuisées et que les prix des actifs plongeront.
Quelques décennies durant, cet
écrivain s’est demandé si le besoin naturel en un système bancaire centralisé
stable a pu être remplacé par le besoin en financements illimités pour le
développement d’une nouvelle expérience de gouvernement illimité.
Mais imaginons ici que les
banquiers centraux soient simplement persuadés de pouvoir « gérer »
une économie nationale. Leur plus grosse erreur est le concept d’économie
isolée par des frontières politiques. Il n’existe pas d’économie nationale, c’est
pourquoi il nous faut nous demander combien de temps cette idée fausse pourra
perdurer.
Une nouvelle sur la guerre nous présente
une critique intéressante du dévouement face à l’échec. Nous pourrions la
qualifier de parabole d’erreurs chroniques incapables d’autocritique.
Le romancier C.S. Forester est
connu pour ses nouvelles sur la Royal Navy, notamment Hornblower.
Parmi ses nouvelles qui ne sont pas liées à la mer, nous comptons The
African Queen (1936) ainsi qu’une nouvelle sur la première guerre
mondiale, The General (1935).
Cette dernière est un retour sur
la manière dont les généraux de ce terrible conflit se sont trompés, pendant
si longtemps. Bien qu’il s’agisse d’une nouvelle, elle ne manque pas de
transmettre un message, notamment en termes de théories et de résultats.
« L’opinion de l’Assemblée
était de son côté. L’attaque de Loos avait été correcte en théorie. Il n’y
avait eu d’erreur qu’en termes de détails pratiques et de manque d’hommes et de
matériel. Tout pouvait être arrangé. Des hommes capables de diriger un
demi-million d’hommes pouvaient être trouvés. Ainsi qu’un demi-million d’hommes.
Ou encore les armes et munitions nécessaires à la préparation d’une artillerie
adéquate. »
Voilà qui n’est pas sans me
rappeler la promesse de Draghi de « faire tout le nécessaire » :
« Les esprits de l’assemblée
se sont aussitôt revigorés, et après seulement quelques minutes, la bataille
idéale était déjà discutée… Avec de telles visions devant eux, ils pouvaient
difficilement être blâmés pour avoir ignoré les détails minimes qu’étaient
les mitrailleuses et les barbelés. Ces détails sont devenus insignifiants en
comparaison au pouvoir qu’ils s’imaginaient à leur disposition. »
« D’une
certaine manière, c’était un peu comme un débat entre un groupe de sauvages
qui auraient cherché à extraire une vis d’un morceau de bois. Habitués
seulement aux clous, ils ont tenté d’extraire la vis par la force, et après
un premier échec, ont tenté d’appliquer plus de force encore… à l’aide de
leviers et de points d’appui, afin que plus d’hommes encore puissent user de
leur force. On ne pourrait pas les blâmer pour ne pas avoir deviné qu’en
tournant la vis, elle serait sortie du bois après bien moins d’efforts, parce
que c’est une notion très différente de ce qu’ils avaient connu jusqu’alors,
et celui qui aurait proposé cette solution se serait vu ri au nez. »
Bien évidemment, le déploiement
de nombreux chars par les Britanniques était ici l’équivalent d’un tournevis.
Les chars et leur mobilité ont matériellement aidé à mettre fin à une guerre dévastatrice,
qui a aussi marqué la défaite de l’expérience européenne avec les
gouvernements autoritaires.
Avec leur transition vers l’interventionnisme
d’Etat par la force dans les années 1960 puis par leur belligérance dans les
années 1990, les banquiers centraux continuent encore d’utiliser un marteau
arrache-clous pour retirer une vis.
Plutôt que de prendre du recul
et de critiquer le système ou encore leur propre insouciance, ils continuent
de vouloir financer une bureaucratie ambitieuse. Pour maintenir en marche
cette machine de financement, ils doivent faire gonfler des bulles sur toutes
les classes d’actifs. Pour l’heure, ils croient encore en avoir le pouvoir,
et ils pensent que s’ils redoublent sans cesse d’efforts, ils finiront par
arriver à leurs fins. Ils ne peuvent pas douter de ou encore critiquer la
méthode employée. Pas même un instant. Pas même en privé.
Mais les bulles financières
engendrent des contractions, et le prochain effondrement nous attend au
tournant. Et cet effondrement ouvrira les yeux du public, qui prendra
conscience et critiquera les échecs relatifs à l’usage de ses impôts. Les
explosions de bulles, depuis la toute première en 1720, ont toujours été
suivies de récriminations.
Et le public réalisera aussi
que, peu importe le titre qu’on leur donne, les aventuriers financiers des
agences de l’Etat restent des aventuriers financiers. L’ambition a dépassé le
scrupule. Et pour mettre fin à la situation, le public devra forcer une
réforme des banques centrales qui impliquera une devise dénationalisée qui,
par choix, sera convertible en or. Et avant tout autre chose, les banques
centrales devront répondre de leurs actes. Un audit de la Fed sera un bon
début.
Pour leur propre postérité, les
banquiers centraux découvriront enfin le marteau arrache-clous.
D’ici là, notre Nef des Fous
continuera d’avancer vers les rochers.