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1. Un seigneuriage élevé.
La Banque de France vient de publier, le 10 avril 2009, son
résultat pour l'année 2008.
Le ou les rédacteurs du texte informent que :
* le résultat d’exploitation courant s'est élevé
à :
4 185 millions d’euros (+10%) ;
* le résultat net:
2 460 millions d’euros (+6%).
Pourquoi ces deux résultats et non pas un seul ?
A cause principalement du paiement à l'Etat au titre de
l'"impôt sur les sociétés" d'un montant de :
1 509 millions d'euros.
Soit dit en passant, ce fait est tout bonnement étonnant quand on sait
que, selon l'art.
L 142-1 de ses statuts :
"La Banque de France est une institution dont le capital appartient
à l'Etat".
Ubu, ce fameux personnage d'Alfred
Jarry, est vraiment au coeur de la
réglementation française.
1.A.
Que va faire la Banque de France de ce résultat ?
Le Conseil
général de la Banque de France a décidé de
procéder à l’affectation du résultat à
répartir - 2 460,52 millions d’euros - ainsi :
a) dotation réglementaire
à la réserve générale :
48,95 millions d’euros
qui sera portée à son plafond ;
b) versement d’un dividende
à l’État :
1 845 millions d’euros ;
soit dit en passant, l'Etat bicéphale "prédateur et
actionnaire" reçoit donc au total (1509+1845) :
3
354 milllions d'euros
en conséquence de non pas la production, mais la gestion monopolistique
privilégiée de la monnaie "euro" qu'a
conservée la Banque de France dans les frontières de la France
!
c) dotation à la
"Caisse de réserve des employés" :
126
millions d’euros
au titre des droits acquis pendant l’exercice 2008 ;
soit dit en passant, et à titre de comparaison, le budget
de l'OCDE pour 2009 est de :
303
millions d'euros ;
d) dotation à la
réserve spéciale :
440 millions d’euros ;
e) le solde, 0,57 millions
d’euros, a été laissé en report à nouveau.
1.B. Un "bon" résultat.
Le ou les rédacteurs du texte considèrent que le
résultat se maintient à un niveau "historiquement
élevé".
La Banque de France a en
effet un résultat - "revenu net de seigneuriage"
- qui se porte bien (cf. graphique ci-dessus) quoique le
législateur lui ait retiré le privilège de "battre
monnaie" et l'ait transféré à la Banque
centrale européenne à partir de 1999.
1.C. Il y a dix
ans...
Auparavant (1990-98), du temps où la Banque de France avait encore le
monopole privilégié de l'émission de billets, son
résultat avait connu comparativement une
"piètre" évolution (cf. graphique ci-dessous à
la même échelle) :
2. Mais la mer
monétaire monte et se creuse…
La publication de ce résultat va de pair avec des informations qui
dépeignent un paysage monétaire très
éloigné de la mer d'huile.
La représentation graphique ci-dessous de la "circulation
fiduciaire de la zone euro" n'est pas, curieusement,
commentée par le ou les rédacteurs : "chaque chose en son
temps" diront-ils peut-être...
Elle est pourtant riche d'enseignements.
Elle fait apparaître primo
que la "circulation fiduciaire" a connu une hausse
considérable ces trois dernières années puisqu'elle est
passée :
de près de 570 milliards d'euros fin 2005
à près de 770 milliards d'euros fin 2008.
En d'autres termes, la Banque centrale européenne a fait
fonctionner inexorablement la "planche à billets" :
plus de 200 milliards d'euros ont été émis en trois
ans (+35%),
soit en moyenne plus de 11% par an !
Secundo, le
recours à la "planche à billets" a été
en particulier marqué en octobre 2008 :
près
de 40 milliards d'euros émis,
soit 20% des 200 milliards émis sur les trois années.
3. La
stabilité des prix.
Quand on rapproche cette évolution inflationniste de
l'évolution de l'activité
économique dans la zone euro, il y a lieu d'être inquiet sur
la stabilité des prix, objectif de la Banque centrale
européenne "par statut", malgré ce qu'en disent
les commentateurs aujourd'hui comme par exemple, en France :
"En mars 2009, l'inflation retombe
à 0,3%, un plus bas depuis juin 1999.
Les prix à la
consommation ont augmenté de 0,2% en mars (+0,4% en février)
mais progressent de seulement 0,3% par rapport à mars 2008, soit la
plus faible hausse annuelle depuis juin 1999, a annoncé
l'Institut national de la statistique.
La hausse du mois de mars
'résulte principalement de la hausse des prix de l'habillement, des
chaussures (+6,0%) et des autres produits manufacturés (+0,5%)
à l'issue des soldes d'hiver', de même que celle des prix des
loyers, de l'eau et des services d'enlèvement des ordures
ménagères (+0,3%), relève l'Insee.
Ces augmentations sont 'en
partie compensées par les baisses des prix de l'énergie
(-2,0%), des services de transports et communications (-0,8%) et des produits
frais (-1,1%)'. Les prix des autres produits alimentaires et des autres
services sont stables, ajoute l'Insee. "
Toujours est-il que, dès à présent, cette opinion
partagée a conduit le gouvernement de l'Etat de la France à
décider une nouvelle baisse du taux d'intérêt des
"livrets A" - non fiscalisés - à 1,75%, le 1er mai
prochain, sur le conseil du gouverneur de la Banque de France.
4. L'or à
l'encan …
Il y a d'autant plus lieu d'être inquiet sur la stabilité des
prix que la publication de la Banque de France donne l'autre information -
là encore sans commentaire - qu'en 2008, la Banque de France a vendu
– "cédé" dans sa terminologie -
103
tonnes d’or ;
• le stock d’or s’établit ainsi à fin
2008 (depuis...)
:
2 491 tonnes ;
• sur 4 ans, ont été vendues :
516 tonnes
pour un montant de :
7,8
milliards d’euros.
Cela correspond donc à une baisse du stock d'or de 17,2%.
5. Le grand
écart …
En d'autres termes, d'un côté, la Banque centrale
européenne a mené une politique inflationniste remarquable
(+35% sur trois ans) et de l'autre, la Banque de France – banque
centrale nationale parmi d'autres de l'eurosystème,
sans privilège de manipuler la "planche à billets"
– a réduit son stock d'or (17,2% en quatre ans).
Mais la Banque
centrale européenne elle-même a vendu de l'or, par exemple :
"au 31 décembre
2008, la BCE détenait 17 156 546 onces d’or fin (18 091 733 onces
en 2007)
[soit une diminution de 9,5% à rapprocher de la hausse
moyenne signalée de 11% de la quantité des billets...].
Cette diminution a
résulté :
(a) de ventes à
hauteur de 963 987
onces d’or fin effectuées
conformément à l’accord sur les avoirs en or des banques
centrales entré en vigueur le 27 septembre 2004, dont la BCE est
signataire, et
(b) du transfert par la
Banque centrale de Chypre et la Bank Ċentrali
ta’ Malta/Central Bank of Malta à la BCE de, respectivement,
19151 et 9649 onces
d’or fin lors de l’adoption de la monnaie unique par Chypre et
Malte, conformément à l’article 30.1 des statuts du SEBC.
La baisse de la valeur en
euros de ces avoirs, qui a résulté de ces opérations, a
été plus que compensée par une hausse significative du
cours de l’or en 2008". (BCE, Comptes annuels 2008,
p.14)
Et les banques
centrales d'autres pays de l'eurosystème
ont également vendu de l'or.
En conséquence, il s'avère que, de facto, la contrepartie - directe ou
indirecte - en or des coupures de billets en euro a diminué
sensiblement alors que la quantité de celles-ci a augmenté,
elle aussi, sensiblement. Sacré "grand écart" !
Il ne s'agit, malgré tout, de rien d'autre qu'un
phénomène qui résulte du rapprochement des deux
faits proposé par le présent billet.
6.
L'hyperinflation à l'horizon...
Mais le phénomène - d'où la dénomination
"grand écart" qui lui est donnée - n'est pas sans
rappeler le phénomène mécanique de l'étalon-or
où l'émission inconsidérée de billets par une
banque à monopole privilégié d'émission
provoquait la fonte de son stock d'or jusqu'à ce que soit décrétée
l'inconvertibilité des billets en or, faute de mieux, par
elle-même ou par le législateur et avant d'autres effets
économiques désastreux comme l'hyperinflation ...
Bref, alors, le grand écart était automatique et se terminait
mal !
Ce rappel ne saurait conduire à faire une analogie entre ce qui se
produisait hier en étalon or, i.e. en vrai étalon, et ce
qui se produit aujourd'hui en "étalon politique", i.e. en
faux étalon.
De jure, il n'y
a pas aujourd'hui de couverture des billets libellés en euro par de
l'or - même si la Banque centrale européenne détient
de l'or à l'actif de son bilan... -.
L'analogie serait donc absurde.
"Alors, il s'agirait d'un phénomène atavique
à étudier ?", penseront certains. Peut-être...
En attendant, je vous laisse deviner où tout cela peut mener la
stabilité des prix, "toutes choses égales par
ailleurs".
Georges Lane
blog.georgeslane.fr
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Georges
Lane enseigne l’économie
à l’Université de Paris-Dauphine. Il a collaboré
avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire J. B. Say que
dirige Pascal Salin, et figure parmi les très rares intellectuels
libéraux authentiques en France.
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