Lors
d’un entretien avec le Daily Bell, Antal Fekete
parle de faire
exploser l'économie autrichienne moderne... dans le sens favorable du terme.
Qu’est-ce
que la vitesse de circulation de la monnaie ?
Pour
bien comprendre le sujet discuté ici, il est nécessaire de savoir ce qu’est
la vitesse de circulation de la monnaie. Je l’ai définie en détails dans mon
article ici
(en anglais).
Mais
voici une définition plus simple : V = PIB/M, V signifiant Vitesse de
circulation de la monnaie, M Masse monétaire et PIB Produit intérieur brut.
Quels
problèmes pose la vitesse de circulation de la monnaie
- Le
premier est la manière dont est mesurée la masse monétaire (la monnaie
est-elle représentée par M1, par M2, ou par M3 ? Chacune offre une
mesure différente de la vitesse de circulation de la monnaie de la
monnaie).
- Le
deuxième problème posé par la vitesse de circulation de la monnaie est
que le PIB est un concept assez nébuleux, puisque les dépenses
gouvernementales (utiles ou non) le font gonfler.
- Et
enfin, je ne pense pas que les prix puissent être mesurés avec
exactitude.
Extraits de l’entretien
Vous trouverez ci-dessous des extraits de l’interview
d’Antal Fekete, suivis de mes commentaires
personnels. Je suis souvent d’accord avec lui, mais il arrive que ce ne soit
pas le cas.
Daily Bell: Pourriez-vous définir la déflation et la désinflation d’un
point de vue monétaire et en relation aux prix ?
Antal Fekete: La déflation est évidemment
différente d’une baisse du niveau de prix. Les améliorations technologiques
en matière de production génèrent une baisse régulière des prix sous une
monnaie saine, qui n’a rien à voir avec une déflation. Il n’est pas correct
de définir la déflation comme une contraction de la masse monétaire. Nous
avons une masse monétaire en expansion, et pourtant, un grand nombre
d’économistes (dont moi-même) pensent que nous sommes actuellement en période
de déflation. Je préfère définir la déflation comme un ralentissement
pathogène de la vitesse de circulation de la monnaie de la monnaie.
Mish: Je suis d’accord avec Fekete sur l’idée que la déflation des prix soit un
évènement naturel basé sur les améliorations technologiques et de
productivité. Je pense également que les forces déflationnistes sont très
importantes. En revanche, je ne suis pas d’accord avec sa définition de la
déflation basée sur la vitesse de circulation de la monnaie. Au vu de
l’expansion des bulles sur les actifs, je pense que nous sommes actuellement
en période d’inflation. Il n’en est pas moins qu’une déflation du crédit et
des actifs soit proche (ce qui est ma propre définition de la déflation).
Daily Bell: Nous sommes d’avis qu’une déflation monétaire de longue
durée est quelque chose de très difficile à accomplir pour une banque
centrale au sein d’une économie de création monétaire. Qu’en
pensez-vous ?
Antal Fekete: « Accomplir » n’est
pas un terme correct. Personne ne veut de la déflation plus que d’une
condition pathologique dans son propre corps. « Générer » est un
terme plus adapté. Je ne suis pas d’accord avec votre idée que la création
monétaire par les banques centrales soit l’antithèse de la déflation. Je suis
certainement en minorité, mais je pense que le contraire est plus le
cas : l’expansion de la masse monétaire au travers d’achats
d’obligations par une banque centrale sur le marché ouvert est la cause
directe de la déflation. C’est certes contre-intuitif, mais ce n’en est pas
moins vrai.
Mish: Ce n’est absolument pas
contre-intuitif. La Fed imprime plus de monnaie que ce que les consommateurs
et les entreprises souhaitent emprunter, alors cette monnaie vient s’ajouter
aux excès de réserves. La vitesse de circulation de la monnaie diminue. La
définition de Fekete stipule que la baisse de la vitesse
de circulation de la monnaie soit synonyme de déflation, donc dans ce sens,
la Fed « génère » la déflation. C’est un simple truisme basé sur la
définition de Fekete. Ceci étant dit, il n’est pas
en minorité. En soutenant l’inflation des actifs, la Fed génère bel et bien
une déflation. La différence, c’est que Fekete
sous-entend que la déflation est déjà présente aujourd’hui, alors que je
j’estime qu’une déflation destructrice des actifs ressortira des politiques
actuelles de la Fed.
Daily Bell: Comme le dit Rothbart,
l’inflation des actifs nous mène vers ce qui semble être la déflation et la
désinflation. Les volumes monétaires doivent grimper pour ensuite baisser. Y’a-t-il une vérité là-dedans ?
Antal Fekete: Je dirais les choses quelque
peu différemment. La vitesse de circulation de la monnaie de la monnaie doit
grimper pour qu’elle puisse baisser.
Mish: La vitesse de circulation de la
monnaie n’a pas besoin de faire quoi que ce soit. Elle peut grimper, elle
peut baisser, mais elle peut aussi se maintenir. L’inflation des actifs qui
génère des bulles est encore autre chose. L’explosion de bulles représente un
évènement déflationniste, et je suis d’avis que selon le modèle de Fekete, la baisse de la vitesse de circulation de la
monnaie soit également synonyme de la déflation.
Daily Bell: Si des sociétés de crédit de tiers-parti comme American
Express venaient à s’effondrer, pourrions-nous parler de déflation
monétaire ?
Antal Fekete: L’effondrement de n’importe
quelle firme est un symptôme de la déflation. Il active un effet domino. La
déflation engendre davantage de déflation. La vitesse de circulation de la
monnaie de la monnaie ne cesse de diminuer.
Mish: Ce symptôme est inclus dans ma
définition. Ma définition est inclue dans ce symptôme. Mais nous ne disons
pas exactement la même chose. Selon moi, il est clair que nous soyons
aujourd’hui en période d’inflation, même si je suis d’avis que les forces
déflationnistes la surpasseront bientôt. La raison pour laquelle je crois que
nous sommes en période d’inflation est simple : les bulles sur les
actifs s’élargissent, ce qui est un symptôme évident et rationnel de
l’inflation.
Daily Bell: Lorsque les banques centrales maintiennent les taux
d’intérêt très bas, sommes-nous témoins d’une désinflation ou d’une
déflation ? Pourquoi ?
Antal Fekete: Le terme
« désinflation », qui suggère que la Fed puisse ouvrir ou fermer
les vannes, ne fait pas partie de mon dictionnaire. En réalité, la Fed ne
dispose pas d’un tel pouvoir. Elle peut certes ouvrir les vannes, mais
jusqu’à présent, nous ne l’avons jamais vue les fermer. Pire encore, elle n’a
absolument aucun contrôle sur la manière dont les gens utilisent les
excédents monétaires qui s’en déversent. Les plus intelligents achètent des
obligations, et pas des marchandises, comme l’espérait la Fed. Ils savent
qu’ils pourront toujours les revendre à la Fed sur le marché ouvert et en
tirer un profit intéressant. Sans risque. Pour répondre à votre question, la
banque centrale ne maintient pas les taux d’intérêt très bas, elle les force
à la baisse au travers de ses achats de dette gouvernementale sur le marché
ouvert, ce qui fait grimper le prix des obligations. Le revers de la
médaille, c’est le déclin simultané du taux d’intérêt. Bien évidemment,
l’objectif de cet exercice, selon l’argument de la théorie des quantités, est
l’apparition d’une inflation, et non d’une déflation. Le problème est que la
banque centrale ne sait pas ce qu’elle fait. Elle sème l’inflation mais
récolte la déflation. Ses politiques monétaires sont contre-productives, pour
rester poli.
Mish: Je ne suis pas d’accord avec la notion
développée ici, selon laquelle la Fed cherche à faire grimper les prix des
marchandises. Je dirais que la Fed cherche à élargir les entreprises, à faire
grimper les salaires, à élargir le crédit et à faire grimper les prix à la
consommation. Dans cet ordre. La hausse des prix des marchandises arrive au
moins cinquième dans la liste. J’aime en revanche l’explication de Fekete selon laquelle la Fed ne maintient pas les taux
très bas, mais les force à la baisse par ses achats d’actifs. Je suis tout à
fait d’accord avec l’idée que la Fed n’a aucune idée de ce qu’elle fait. Plus
spécifiquement, la Fed peut imprimer de la monnaie, mais n’a aucun contrôle
sur la manière dont elle est dépensée (et ne peut pas la forcer à être
dépensée). Aujourd’hui, les excès de réserves s’accumulent et ne sont pas
dépensés. C’est synonyme de déflation selon Fekete,
mais je ne suis pas du même avis. Fekete ignore les
prix des actifs (actions, obligations toxiques, immobilier). Quand les bulles
gonflent, nous avons une inflation. En termes simples, l’expansion des bulles
sur les actifs est une preuve suffisante de l’inflation. L’explosion de
bulles sur les actifs mène à la déflation, mais j’observe les prix des actifs
et la valeur du crédit d’un marché à l’autre pour le déterminer.
Daily Bell: Si les banques centrales maintiennent les taux d’intérêt
artificiellement bas, comment cela contribue-t-il à la déflation
monétaire ? Que font les traders d’obligations pour faire de l’inflation
monétaire un phénomène déflationniste ?
Antal Fekete: Ce ne sont pas les taux
d’intérêt très bas qui créent la déflation, mais la baisse des taux
d’intérêt. Le processus est déclenché par les achats d’obligations par la
banque centrale sur le marché ouvert, dans un effort de poursuivre son
programme de QE, élicitant ainsi une décision similaire de la part des
spéculateurs sur obligations. Une réaction en chaine s’active : les
achats d’obligations par la banque centrale s’alternent avec les achats
d’obligations par les spéculateurs. La banque centrale annonce son programme
d’achat d’obligations. Les spéculateurs achètent avant son lancement, et s’en
débarrassent une fois que la banque centrale est là pour acheter, afin d’en
tirer des profits sans risque. L’objectif de la banque centrale, qui est
l’inflation des prix, ne se matérialise pas. Elle se retrouve frustrée par
les spéculateurs sur obligations qui achètent les nouvelles obligations en
route vers le marché des marchandises. Alors elle imprime davantage. Pour ce
faire, elle doit aller sur le marché ouvert et acheter plus d’obligations, ce
qui pousse les spéculateurs à réitérer. Le cycle se répète, et une spirale
vicieuse est engagée. La conséquence en est une spirale baissière des taux
d’intérêt qui détruit le capital.
Mish: Je suis d’accord avec la thèse de Fekete selon laquelle les spéculateurs pratiquent le
front-running. J’ajouterais également que l’on a réalisé que du capital avait
été détruit en cours de contraction. C’est quelque chose qui ne peut pas être
empêché.
Daily Bell: Croyez-vous en les cycles économiques de Mises ?
Sont-ils d’après vous valides ?
Antal Fekete: Très certainement, mais avec
quelques réserves. Ils n’assignent pas un QI très élevé aux hommes d’affaires
du secteur. Pourquoi ne tirent-ils pas de conclusions de leurs expériences afin
de les prendre en compte dans leurs calculs de la distorsion des taux
d’intérêt liée aux politiques monétaires ? J’aimerais améliorer la
théorie des cycles économiques de Mises en pointant un doigt accusateur vers
la spéculation sur les obligations motivée par les profits sans risque. Les
hommes d’affaires comptent parmi les hommes les plus intelligents de notre
monde. Ils sont les victimes des politiques monétaires insensées de la Fed.
Mish: Les banques enregistrent des profits
sans risques pour trois raisons : elles manquent de capital et ne
peuvent prêter, les entreprises qui le pourraient ne s’élargissent pas, et
les profits sans risques excèdent les profits à risque. Pour ce qui est des
victimes, tout le monde, à l’exception de ceux qui ont accès les premiers à
la monnaie, est une victime des politiques monétaires de la Fed.
Daily Bell: La Grande dépression était-elle une dépression
déflationniste ? Les prix des juniors minières ont grimpé sur la
période.
Antal Fekete: Tout à fait. Il est axiomatique
que les actions des sociétés minières grimpent en période de dépression. La
dépression n’est qu’un autre nom donné à la destruction de capital, et l’or
est la seule forme de capital qui soit immunisée contre la destruction. Si
vous consolidez les bilans d’un pays (à l’inclusion de ceux de son Trésor),
tous les actifs liquides se trouvent annulés, avec la seule exception de
l’or. L’or est le seul actif qui ne joue pas aussi le rôle d’obligation sur
les bilans de quelqu’un d’autre.
Mish: A dire vrai, une accumulation de
marchandises de valeur représente l’accumulation d’un actif qui n’est lié à
aucune obligation ailleurs. Je ne crois pas qu’il soit axiomatique que les
actions minières grimpent en période de déflation, mais il y a de fortes
chances que l’or y réponde bien.
Daily Bell: Sommes-nous actuellement en dépression
déflationniste ? Ou dans une sorte de stagflation ?
Antal Fekete: Nous traversons actuellement
une déflation qui se transforme en dépression. Le mot stagflation n’a pas sa
place dans mon dictionnaire.
Mish: La stagflation aurait dû mettre fin à
la théorie keynésienne. Keynes pensait qu’il était impossible pour une
récession et une inflation de se matérialiser en même temps. Les années 1980
sont un testament de l’absurdité de la théorie keynésienne.
Daily Bell: Les volumes monétaires ont-ils augmenté aux Etats-Unis et
en Europe ? Les prix ont-ils grimpé en conséquence ?
Antal Fekete: Comme je l’ai déjà expliqué il
y a un certain temps, la hausse de la masse monétaire ne fait pas
nécessairement grimper les prix. La théorie de la quantité de monnaie est
erronée. Malgré une multiplication par huit de la masse monétaire aux
Etats-Unis, le prix du pétrole a été divisé par deux, et ceux du cuivre, du
fer et de certains autres métaux ont également décliné, chose que beaucoup
estimaient impossible il y a quelques mois. Si vous ne voyez pas de déflation
là-dedans, laissez-moi vous poser une question : jusqu’où devront
plonger les prix pour que l’on ose enfin utiliser le mot en D ?
Mish: Selon la Théorie de la monnaie et
du crédit, « la masse monétaire a une relation proportionnelle et
directe avec le niveau de prix ». Fekete
pointe du doigt les baisses de prix et stipule « Si vous ne voyez pas de
déflation là-dedans, laissez-moi vous poser une question : jusqu’où
devront plonger les prix pour que l’on ose enfin utiliser le mot en
D ? ». Selon sa propre définition, une baisse des prix ne constitue
pas une déflation. Je suppose cependant qu’il adopte ici le point de vue de nombreux
autres économistes (une baisse de prix constitue une déflation).
Malheureusement, beaucoup croient que c’est le cas. J’appelle ça le lavage de
cerveau des économistes par la Fed. Il n’en est pas moins que Fekete se trompe également. Les prix ont grimpé. Ceux des
marchandises ont baissé. La bulle sur les actifs (actions, immobilier,
obligations toxiques) sont impossibles à mesurer correctement. J’appelle ça
une inflation. Fekete appelle ça une déflation.
Mais nous sommes d’accord. Une contraction déflationniste approche.
Daily Bell: Le pétrole a semble-t-il été manipulé à la baisse. Cela
constitue-t-il une déflation des prix, ou est-ce simplement une
manipulation ?
Antal Fekete: La théorie de la manipulation
a été inventée par ceux qui ont trop peur de regarder les choses en face.
Nous devrions être plus intelligents qu’eux : aucune combine de
valorisation n’a pu fonctionner sur une durée significative, quelle que soit
la marchandise concernée. Que les législateurs de Washington aient profité
d’une baisse du prix du pétrole pour punir Poutine est un problème tout
autre.
Mish: Je suis tout à fait d’accord. La
baisse des prix des marchandises est liée à l’économie globale, pas la
manipulation du prix du pétrole.
L’entretien se poursuit après ça, et je conseille aux plus
curieux de le lire. Penchons-nous maintenant sur quelques graphiques de la vitesse
de circulation de la monnaie.
Vitesse de circulation de la monnaie de M1
Vitesse de circulation de la monnaie de M2
Comme vous pouvez le voir, la vitesse de circulation de la
monnaie dépend de la manière dont la monnaie est mesurée. Et même les
Autrichiens ne sont pas d’accord sur ce point.
Ma définition
Ma définition de l’inflation est l’expansion de la masse
monétaire et du crédit par du crédit valorisé à prix marché. Ma définition de
la déflation est une contraction de la masse monétaire et du crédit, grâce à
du crédit valorisé à prix marché.
Fekete et moi-même avons des définitions
différentes du concept autrichien d’expansion monétaire. Et dans un sens,
nous sommes sur le même bateau. Aucun d’entre nous ne pense que l’expansion
monétaire est susceptible de générer une énorme inflation monétaire.
- Le
problème de la définition de l’inflation en tant que hausse des prix à
la consommation est qu’elle ignore les bulles sur les actifs.
- La
définition de Fekete ignore également
l’expansion des bulles sur les actifs.
- Juger
l’inflation sur la simple base de la masse monétaire peut pousser à
croire que nous avons toujours été en période d’inflation, même lorsque
les banques, les prix des actifs et les prix à la consommation
s’effondraient simultanément.
Un grand nombre d’Autrichiens qui se sont reposés sur la
seule masse monétaire ont cru pendant des années que nous étions à l’aube
d’une inflation importante voire d’une hyperinflation. Fekete
et moi-même avons tous deux vu juste.
D’un point de vue purement pratique, je pense que ma
définition explique le monde réel mieux que celle des autres.
Selon mon modèle, les Etats-Unis ont traversé une
déflation entre la fin 2007 et le mois de mars 2009. A cette date, Bernanke est parvenu à ranimer la demande en crédit, et
le marché boursier a pu décoller.
Une autre période de déflation devrait s’installer quand
les bulles sur les actifs éclateront. Mais tant qu’elles continuent de
s’élargir, je ne pense pas que la déflation soit le meilleur terme pour
décrire les évènements qui se dérouleront.