L'association 40
millions d'automobilistes a lancé une pétition en ligne quelques heures après la
publication par l'Agence France presse d'un pré-rapport du Conseil
national de la sécurité routière (CNSR).
Dans ce dernier, le
CNSR propose d'abaisser la vitesse de circulation sur les nationales et
départementales de 90 à 80 kilomètres/heure, afin de
sauver 450 vies chaque année. Un calcul que réfute 40 millions
d'automobilistes, qui dénonce les « préceptes de quelques
lobbies anti-voiture reprenant des formules mathématiques antiques ».
Bataille de
chiffres
Nous pourrions
tenter de calculer le bénéfice et la perte résultant
d’un changement de la limite de vitesse. Il faudrait pour cela estimer
le coût du temps supplémentaire sur la route qu’une baisse
de la limite de vitesse engendrerait (en se basant par exemple sur le salaire
horaire moyen) et le coût engendré par une hausse du nombre
d’accidents routiers.
Cette approche
comptable du problème ferait sans doute hurler les associations qui
utilisent l’argument correct mais hors-sujet selon lequel la vie
humaine n’a pas de prix.
Mais il est
à noter que ces mêmes associations sont les premières
à se montrer favorables à des normes européennes d’émission. Ces normes restreignent les choix
des européens à des voitures plus petites et moins sûres,
augmentant ainsi le nombre de blessés et de morts sur la route.
Mais,
laissons-là la bataille de chiffres, il y a plus simple. Le monde est
un laboratoire et certains pays peuvent nous montrer d’autres
façons de faire.
Les allemands
vont-ils dans le décor ?
Un tiers seulement
des autoroutes allemandes (surtout autour des zones urbaines) ont des
limitations de vitesse. Les automobilistes choisissent leur propre rythme de
conduite sur le reste des autoroutes.
Les données indiquent qu'il y a peu de différence entre les taux de
mortalité sur les routes avec et sans limitations de vitesse. De plus,
au cours des 20 dernières années, le nombre d'accidents mortels
en Allemagne a diminué de 71 %, malgré une augmentation de 17 % du nombre de
véhicules sur la route et une augmentation de 25 % du trafic. Le taux
de mortalité de la circulation en Allemagne (5,6 accidents par
milliard d’automobile-heure) est inférieur au taux
français (7,01 – voir le tableau 1 en page 157 du document en
lien ci-dessus).
Apparemment, les
automobilistes allemands sont capables d’ajuster leur allure sans
l’assistance de leur État.
Espaces
partagés, espaces sécurisés
Confier la
responsabilité de leur sécurité aux automobilistes est
au cœur d’une pratique récente adoptée par plusieurs
villes européennes : l’espace partagé.
Ces villes font
disparaître la jungle des panneaux de signalisation, des lampadaires
et, dans certains cas, des trottoirs sur certaines intersections affluentes.
Les voitures et les piétons se retrouvent donc à se partager la
route.
Le résultat est contre-intuitif : on enregistre moins
d’accidents et une augmentation du nombre de piétons dans ces
intersections.
Comment expliquer
cela ? Les conducteurs compensent l'absence de règles de circulation
visibles en étant plus attentifs aux autres. Tout se passe comme si un
volume réglementaire excessif nous empêchait de nous concentrer
sur la chose la plus importante sur la route : être attentif.
Pour les tenants du
tout-règlementaire, des règles strictes sont la réponse
à tous les maux. Pourtant, comme l'expérience le
démontre, la réglementation n'est pas la
seule et peut-être même pas la meilleure solution. Aussi
fou que cela puisse paraître à certains, traiter les gens comme
des adultes responsables et leur faire confiance pour faire les bons choix
peut conduire à de meilleurs résultats pour tous.
Vous
n’êtes pas convaincus ? Imaginons ensemble des solutions
alternatives.
Ce qui pourrait
exister si la sécurité routière n’était
plus un monopole
Adapter en temps
réel les limitations de vitesse avec le niveau de trafic et la
météo est maintenant faisable. Imaginez une autoroute où la
vitesse limite est de 150 km/h par beau temps et avec peu de trafic, mais
descend à 50 km/h au moment où on enregistre le plus grand
nombre d’accidents, le samedi soir entre minuit et trois heures du
matin.
Mieux, imaginez que
la sécurité routière récompense la conduite
responsable au lieu de pénaliser la conduite dangereuse. Les
gestionnaires des routes pourraient proposer de diminuer le prix de leur
usage en fonction du respect des limitations de vitesse.
L’expérience semble positive lorsqu’elle est tentée.
Les routes à
péages seraient des lieux d’expérimentations
idéaux pour ces nouvelles pratiques.
Mais revenons
à cette pétition de l'association 40 millions d'automobilistes.
«Quand le
Droit se fait extrême, l’injustice le devient»
Pourquoi le public
conteste-t-il l'application des lois de la circulation davantage que celle
des autres lois ?
Probablement parce
que l'application des lois pour excès de vitesse est capricieuse :
ceux qui transgressent les limitations de vitesse sont punis si rarement et
de façon si inconsistante que la punition devient de facto
aléatoire.
L'utilisation
commune des radars routiers comme source de revenus pour l’État sape également la
légitimité des règles de sécurité
routière.
Pour le meilleur ou
pour le pire, les limitations de vitesse sont un domaine où nos lois
sont en décalage avec nos comportements. Bien que tout le monde soit
opposé aux comportements véritablement dangereux sur la route,
beaucoup de personnes respectueuses des lois violent systématiquement
les limitations de vitesse.
Les normes
comportementales sont en effet souvent au moins aussi importantes que la loi
écrite dans notre façon d’agir.
La lecture
automatique de plaques minéralogiques ou l’apparition et le
développement futur de l’usage des drones laissent à
penser qu’il serait technologiquement possible de contrôler
à 100% le respect des limitations de vitesse.
Certains pourraient
voir cela comme souhaitable mais, au-delà de l’aspect orwellien de la chose, les conséquences peuvent
être très négatives.
« La loi,
c’est la loi », dit le proverbe populaire. Mais il existe
toujours une interaction complexe entre la pratique sociétale et le
droit écrit – une sorte de négociation continuelle entre
les deux – qui permet au système de fonctionner. Une application
automatique de la loi évacue toutes ces subtilités. Comme le disait Cicéron, Summum jus summa injuria -
quand le Droit se fait extrême, l’injustice le devient.
Compte tenu de la
relation ambiguë des Français avec ces lois, si les limitations
de vitesse étaient appliquées à 100%, les
Français devraient soit modifier leur comportement de
manière drastique, soit modifier la loi, soit ressentir au quotidien
cette extrême injustice, pesante et oppressive.
Selon la logique de l’action collective, ce serait sans doute la
troisième option qui s’imposerait.
Il parait donc plus
adapté de se faire l’avocat de l’expérimentation en
matière de sécurité routière, en créant
les espaces privés adaptés.
Une pétition pour faire sortir l’État de la
sécurité routière aurait ma signature. Et la vôtre
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