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« Gilets jaunes » : une révolte de sortie de crise

CHRONIQUE - Des milliers de casseurs, des dizaines de milliers de « gilets jaunes », la contestation sociale resurgit quand l'économie va mieux. Comme en 2006 ou en 1995.

Paris a vécu samedi les émeutes les plus violentes depuis un demi-siècle. 
Paris a vécu samedi les émeutes les plus violentes depuis un demi-siècle. (Come Sittler/REA)

Par Jean-Marc Vittori

Publié le 10 déc. 2018 à 15:59

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La nuit fait de bien belles images. Il y a dix-huit mois, un homme jeune et seul traversait la cour du Louvre pour venir célébrer sa victoire, sous l'oeil des caméras. Emmanuel Macron, qui venait d'être élu président de la République française, regardait loin devant, plein ouest, du côté de la place de l'Etoile. Mais il ne pouvait pas voir les incroyables scènes de guérilla urbaine qui s'y dérouleraient dix-huit mois plus tard, avec des dizaines de voitures incendiées, un Arc de triomphe tagué, une Marianne énucléée.

Autant dire que le président a un problème majeur à régler. Paris a vécu l es émeutes les plus violentes depuis un demi-siècle. Il y a là une question essentielle de sécurité et de maintien de la paix civile. Pas simple à traiter : si les émeutiers ne sont pas des damnés de la terre (ils volent des bouteilles de whisky plutôt que des paquets de pâtes), ils n'en sont pas moins des milliers. Bien organisés, très outillés et extrêmement déterminés. C'est un problème technique, qui doit être résolu par les forces de l'ordre.

Ignorés de la République

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Le problème majeur, lui, est politique. Depuis mi-novembre, Emmanuel Macron affronte une révolte inédite. Les « gilets jaunes » voulaient d'abord protester contre la hausse des taxes sur les carburants, exprimer leur désespoir, réclamer de la considération. Ils n'en pouvaient plus d'être les ignorés de la République. Ils ont ensuite élargi leurs revendications et réclamé la démission de Macron.

Mais ces « gilets jaunes » sont peu nombreux. Le ministère de l'Intérieur en a recensé 283.000 le 17 novembre, 166.000 le 24 et 136.000 le 1er décembre. Si ces chiffres sont discutables, d'autant plus que le mouvement est éparpillé, il paraît en revanche peu contestable que les manifestants sont beaucoup moins nombreux que ceux d'autres défilés. En 2010, le même ministère de l'Intérieur en avait recensé plus de 1 million contre la réforme des retraites, un million qui n'avait rien obtenu. Sur les images diffusées à profusion par les chaînes d'info apparaissent tout au plus quelques dizaines de « gilets jaunes » - sauf à La Réunion. Sans casse, le mouvement serait marginal.

Très ciblée, très approuvée

Pour l'équipe au pouvoir, le vrai problème est ailleurs : c'est le soutien massif des Français à ce mouvement marginal. Trois sur quatre, voire cinq sur six y seraient favorables ( selon la façon dont le sondeur pose la question). Impossible pour le gouvernement d'ignorer la défiance du peuple. Surtout qu'il a encore dans ses cartons une palanquée de changements ambitieux.

A vrai dire, ce n'est pas la première fois que survient une rébellion très ciblée qui est très largement approuvée par l'opinion publique. C'est même un classique. Les manifestations contre la réforme des retraites de 2010 avaient l'approbation de 70 % des Français. Tout comme celles de 2006 contre le contrat première embauche, réservé aux jeunes qui pouvaient être plus facilement licenciés. En 1995, les deux tiers des Français exprimaient leur sympathie pour la grève de la SNCF et de la RATP contre la réforme des régimes spéciaux de retraite.

Ces mouvements ont un point commun : ça va plus mal au moment où ça devrait aller mieux. Le politique part dans le rouge alors que l'économie est revenue dans le vert. En 1995, la France commençait à peine à se remettre de la récession de 1993. Un nouveau président, Jacques Chirac, avait promis de lutter contre la fracture sociale. C'est le moment que choisit son Premier ministre, Alain Juppé, pour s'attaquer aux régimes spéciaux. Même si son projet était parfaitement justifiable pour des raisons de justice sociale, il devra retirer piteusement son projet. Deux ans plus tôt, son prédécesseur, Edouard Balladur, avait pourtant fait passer comme une lettre à la poste le durcissement des retraites du privé. Mais le pays était en pleine récession.

Moyen inacceptable

Même scénario en 2006. L'économie avait frôlé la récession en 2003, dans la foulée de l'explosion de la bulle Internet. L'emploi avait beaucoup tardé à redémarrer. Et au moment où le chômage baisse enfin, le Premier ministre Dominique de Villepin invente un système où les entreprises peuvent mettre un jeune à la porte sans raison. Le but était de faciliter l'embauche des jeunes. Mais le moyen était inacceptable pour les syndicats d'étudiants qui menèrent la lutte - et la gagnèrent.

L'histoire est un peu différente cette fois-ci. L'économie française a encaissé deux chocs en 2008 puis en 2011, suivis de trois années de stagnation sans précédent. Elle a commencé à frémir en 2015 avant de dépasser enfin les 2 % en 2017. Et c'est le moment que choisit le gouvernement pour accélérer la hausse des taxes sur l'essence, là encore avec d'excellentes raisons. La flambée du pétrole a accentué la pente. Et Une révolte des revenus modestes qui n'ont d'autre choix que de prendre la voiture pour aller travailler à 20 ou 50 kilomètres de chez eux ont enfilé leurs « gilets jaunes ».

Revendications salariales

P our le gouvernement, la sortie de crise s'annonce très, très compliquée. Les entreprises sont elles aussi concernées, même si elles ont été pour l'instant épargnées. Si les casseurs sont des milliers et les « gilets jaunes » des dizaines ou des centaines de milliers, il y a ici des millions d'hommes et de femmes. La grogne monte pour les mêmes raisons, sur fond d'inflation requinquée et de profits élevés. Les revendications salariales ont déjà provoqué des grèves dans les raffineries de Total et à la banque BNP Paribas. La tension monte chez Peugeot Citroën. Les sorties de crise sont souvent difficiles. Surtout quand la crise suivante semble déjà s'esquisser.

Jean-Marc Vittori 

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