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Chronique

« Jupitérien » dites-vous ?

Par Roger-Pol Droit

Publié le 23 juin 2017 à 01:01

Emmanuel Macron a déclaré très tôt, dès octobre 2016, sa volonté d'être un président « jupitérien ». Ce « jupitérien » a laissé les commentateurs perplexes. Certains ont souligné le projet de commander d'en haut, d'incarner l'autorité en restant en retrait. D'autres ont rappelé que Jupiter était roi des dieux, avait la foudre pour attribut, détenait le pouvoir suprême. Tous ont bien vu la rupture implicite avec le « président normal » : Jupiter ne dîne pas avec des journalistes, évite de se livrer, conserve ses secrets, trône dans les cieux. Voilà qui est exact, mais à compléter. Le dossier Jupiter permet d'en apprendre un peu plus.

D'abord sur la culture personnelle du nouveau président. Car cette référence n'est pas franchement hip-hop, plutôt Grand Siècle, Roi-Soleil et âge classique. Elle fleure bon La Bruyère, qui nomme malicieusement « satellites de Jupiter [...] ceux qui pressent et qui entourent le prince ». Jupiter hante aussi La Fontaine, de fable en fable : « Jupiter et le Métayer », « Jupiter et les Tonnerres », « Jupiter et le Passager »... Sans oublier Molière, qui fait dire « Per Jovem ! » (par Jupiter !) à un personnage du « Dépit amoureux ». Plus tard, l'adjectif conduit à Balzac, décrivant dans « La Duchesse de Langeais » une « contraction jupitérienne » des sourcils, à Proust, évoquant à son tour les « sourcils jupitériens » du duc de Guermantes. La piste se poursuit, Mauriac décrivant un « orage jupitérien ». Bref, c'est du relié pleine peau, du jésuite bon teint, le jupitérien ! Mais pas seulement.

Car c'est bien une affaire centrale de l'Antiquité romaine. A l'inverse de ce qu'on croit hâtivement, Jupiter n'est pas du tout Zeus. Certes, il le deviendra, peu ou prou, quand le dieu latin se verra attribuer, mais seulement sur le tard, les aventures mythologiques du dieu grec. En réalité, on ne saurait les confondre. Jupiter n'a jamais, comme Zeus, habité l'Olympe, pas plus qu'il n'est le fils de Cronos, qui dévorait ses enfants. Chez les Romains, c'est d'abord le dieu de la lumière : son nom, contraction de Diovis Pater, signifie « père du jour » ou « père céleste ». Surnommé Optimus Maximus (« le meilleur, le plus grand »), il est censé gouverner terre et ciel, commander aux autres dieux comme à tous les vivants. L'aigle, les nuages, la fulgurance des éclairs symbolisent son règne. Victor Invictus (« vainqueur et invaincu »), il garantit les frontières, les traités entre peuples, la validité des contrats et des serments. Dieu patricien, Jupiter est également gardien des propriétés, veille sur la cohésion des familles, des corps politiques et des institutions. Dans son temple du Capitole, la Confiance (Fides) et la Victoire l'assistent. Voilà qui dessine un périmètre du « jupitérien » somme toute assez peu... insoumis.

Malgré tout, la distance est grande qui sépare religion romaine et Ve République. Dans le système romain, héritier des « trois fonctions » de la culture indo-européenne - autrefois mises en lumière par Georges Dumézil (1898-1986) -, Jupiter incarne le pouvoir divin, alors que Mars préside aux activités guerrières, et Quirinus aux récoltes et à la prospérité commerciale. Cette tripartition n'est évidemment plus la nôtre : le président, garant des institutions, est aussi le chef des armées et impulse la politique économique. Pourtant, ce constat ne clôt pas encore le dossier.

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Car les Romains ont remplacé assez vite cette première triade Jupiter-Mars-Quirinus par une autre. Dans le nouveau trio, qui va se diffuser par la suite dans tout l'Empire, Jupiter tient toujours la première place, mais deux figures féminines siègent désormais à ses côtés : Junon, protectrice des femmes, et Minerve, déesse de la sagesse, de la guerre et des techniques. Libre à chacun de se demander s'il faut y voir une allégorie de l'évolution possible du quinquennat, une prophétie quelconque sur les futures détentrices d'influences décisives. Jupiter garde toujours une part de mystère, comme le savait déjà le poète Ovide : « Ce que firent les dieux champêtres, quels vers magiques ils prononcèrent et comment ils firent descendre Jupiter du ciel, nul mortel ne peut le savoir » (« Fastes », III, v. 323). Tout ce que nous savons, c'est que le dieu déclenchait les orages, alors que le président devra les traverser.

Roger-Pol Droit

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