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Après-Lehman : deux leçons apprises, une leçon perdue

+ PODCAST - La faillite de la banque Lehman Brothers a rappelé l'existence du risque systémique et permis d'ouvrir une nouvelle voie de politique économique. Elle a aussi révélé une effarante irresponsabilité.

Fabien Clairefond pour « Les Echos ».
Fabien Clairefond pour « Les Echos ».

Par Jean-Marc Vittori

Publié le 21 sept. 2018 à 18:21

Bien vu, Richard ! « Nous sommes excités par les opportunités à venir », écrivait-il début 2008. Et c'est vrai que nous avons été très excités. Comme l'avait prévu Richard, ou plutôt Dick Fuld, le patron de Lehman Brothers, dans le rapport 2007 de sa banque. La crise financière de 2007-2008 et sa réplique européenne de 2011-2012 ont constitué des événements incroyables.

Pour des journalistes économiques, c'était l'équivalent du « Big One » pour les fondus de secousses sismiques (le « Big One » est le tremblement de terre qui risque un jour d'emporter la côte californienne). Aux « Echos », ce fut une époque passionnante de découvertes, de numéros spéciaux, de pédagogie, d'échanges - et parfois d'insomnies pour chercher à comprendre ce qui se jouait.

Corset desserré

Dix ans plus tard, la poussière est retombée. Entre-temps, le monde a beaucoup appris, même s'il est sorti d'une crise de la dette en accumulant plus de dettes encore. Deux leçons sont essentielles. La troisième n'a pas été retenue - et c'est donc sans doute là que se préparent les prochains chocs.

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La première leçon semble évidente : la finance fait système. Elle est en cela très différente des autres secteurs de l'économie. Les constructeurs automobiles ne passent pas leur temps à se vendre des voitures. Si l'un d'eux s'effondre, les autres survivent. Il en est tout autrement dans la finance. Les banquiers passent leur temps à se prêter de l'argent. Si l'un d'eux tombe, il peut entraîner tous les autres. C'est ce qui a failli se produire avec la chute de la maison des frères Lehman.

On savait que la finance fait système au moins depuis les crises du XIXe siècle. La tempête des années 1930 l'a rappelé avec force. Toute une série de dispositifs avait été mise en place dans la foulée : séparation des activités, coussins d'amortissement, surveillance des banques. Mais sous la pression des financiers, le corset a été desserré au fil du temps, en particulier pendant les années 1980-1990. Au début des années 2000, le « risque systémique » était considéré comme une curiosité.

Finance de l'ombre

C'est ici que les changements ont été les plus profonds. Les banques doivent désormais avoir beaucoup plus de noisettes. En dix ans, les fonds propres (dans leur définition « Tier-1 ») sont passés de moins de 4 % des crédits et placements des banques européennes et américaines à plus de 15 %, soulignent les experts du McKinsey Global Institute. Les régulateurs ont aussi créé des cousins de liquidité et des rembourrages supplémentaires pour les établissements systémiques.

Ces réglementations microprudentielles ont été complétées par une couche macroprudentielle, où les autorités de tutelle tentent d'appréhender et de limiter les fameux risques de systèmes. Faut-il aller plus loin ? Le débat est vif. Dans les banques, le cadre réglementaire est déjà lourd, et effroyablement complexe. Le danger migre vers le « shadow banking », la finance de l'ombre composée des acteurs non bancaires et souvent non régulés qui participent au financement de l'économie.

Accepter un déficit persistant

La deuxième leçon porte non plus sur la banque mais sur la politique économique. Elle est claire - à défaut d'avoir été énoncée. Au plus fort de la crise, les deux grands leviers ont été actionnés à fond. Les déficits budgétaires ont explosé et les taux d'intérêt à court terme ont été ramenés à zéro.

Ensuite, il y a eu divergence. Les banquiers centraux ont exploré de nouveaux territoires, achetant massivement de la dette publique et privée. Au contraire, les gouvernants ont battu en retraite. Ils ont serré la vis budgétaire pour contenir le déficit et ainsi rassurer les investisseurs. Plus ils l'ont serré, plus la croissance a toussé, limitant, voire annulant la baisse du déficit.

Il y a trois ans, un économiste de l'Université de l'Indiana, Eric Leeper, s'était taillé un franc succès en opposant « science monétaire » et « alchimie budgétaire ». En réalité, c'est l'inverse qui s'est passé. La politique budgétaire est restée douloureusement engoncée dans des règles rigides alors que la politique monétaire a réussi en fabriquant des mixtures inconnues. Lors de la prochaine crise majeure, la solution est simple : accepter un déficit persistant, la banque centrale étant prête à acheter les obligations d'Etat en cas de refus des investisseurs. « Whatever it takes », pour reprendre l'expression du patron de la Banque centrale européenne Mario Draghi. « Quoi qu'il en coûte », ce qui posera bien sûr d'autres questions.

Une amende ridicule

La dernière leçon porte sur la responsabilité. Elle est stupéfiante. Personne ne porte la responsabilité de la plus grande crise financière depuis près d'un siècle. Dick Fuld a rouvert une petite boutique de finance après la faillite de Lehman Brothers, alors que sa banque avait pris des positions terriblement risquées et trafiquait ses chiffres. Le cabinet d'audit qui avait certifié les comptes de Lehman, Ernst & Young, a payé une amende ridicule de 10 millions de dollars. Le directeur des risques d'une banque en faillite a retrouvé une autre direction dans une autre banque. Les agences de notation n'ont pas été sanctionnées pour leurs conflits d'intérêts (elles conseillaient les émetteurs de produits titrisés pour qu'ils obtiennent le meilleur rating). Les régulateurs qui ne voulaient plus réguler ont eu des moyens supplémentaires. Les économistes qui vantaient la supériorité absolue du marché enseignent toujours dans les meilleures universités.

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Cette impunité générale constitue un terreau parfait pour la prochaine crise financière. Comme elle a constitué un terreau parfait pour la crise politique des grandes démocraties, qui ne fait que commencer.

Jean-Marc Vittori 

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