David Cameron
a développé le concept de Big Society lors de sa campagne électorale
de 2010 et l’a ensuite mis en application une fois arrivé au pouvoir.
L’Institut de l’Entreprise a publié l’année dernière une étude documentée sur le sujet. Tentons donc
de comprendre de quoi il s’agit.
Le concept de Big
Society a été inventé pour prendre le contrepied de l’héritage
travailliste « qui ne voyait le salut du service public que dans une
dépense publique toujours croissante ». L’idée est alors de
« transformer radicalement le fonctionnement de la sphère publique en
prenant appui sur le potentiel que constitue la société civile, tout en réduisant
la dépendance des individus à l’État ». Bref, il s’agit de se rappeler
que la « société-providence » existait avant l’État du même nom.
Margaret
Thatcher aurait dit que « la société n’existe pas, seuls existent les
individus ». David Cameron corrige en quelque sorte le propos en
affirmant que « la société existe bel et bien ; ce n’est juste pas
la même chose que l’État ». C’est même « sa confusion avec l’État
qui a affaibli la société civile ». La Big Society est donc un
remède au big government.
Arrêtons-nous
un instant sur l’arrière-fond intellectuel du concept de Big Society.
Car l’idée est née dans les think tanks proche des conservateurs,
principalement le Centre for Social Justice de Ian Duncan Smith, ancien patron du
Parti Conservateur, Policy Exchange auquel a appartenu le parlementaire
Jesse Norman, et ResPublica fondé par Phillip Blond.
Phillip Blond
et Jesse Norman s’en prennent tous deux « aux dysfonctionnements du
marché et à une certaine conception du capitalisme », mais ils se
différencient par leur rapport au libéralisme.
Blond,
théoricien d’un « conservatisme rouge » (Red Toryism),
entend apporter un « remède aux échecs du libéralisme ». Il
s’inspire des « penseurs conservateurs du XIXème siècle,
radicalement critiques de la modernité industrielle et capitaliste, et se réfère
explicitement à la tradition du conservatisme social d’un Disraeli – le One nation Toryism ».
Blond, dans son ouvrage « Red Tory », paru en 2010, fait le
constat que les « libéraux se sont montrés incapables de tenir la double
promesse d’un capitalisme populaire et de la prospérité pour tous, tandis que
les travaillistes, malgré une augmentation considérable des dépenses
publiques […] n’ont pas réussi à sortir les catégories les plus défavorisées
de la pauvreté. En réalité, malgré leur opposition de façade, libéraux et
progressistes partagent un fond commun : le libéralisme économique des
premiers s’est allié au libéralisme social des seconds pour détruire les
structures intermédiaires de la société, laissant les individus désemparés et
atomisés face à l’État ».
Pour Phillip
Blond, il est urgent de sortir du « néo-étatisme des travaillistes mais
aussi du « néo-libéralisme » en reconnaissant « l’inscription
première des individus dans une communauté – famille, quartier, église,
association, etc. – l’addition de ces différentes communautés constituant la
société civile ».
Les services
publics apportent des « solutions uniformes et standardisées »
alors que les « attentes se sont individualisées ». C’est pour cela
qu’ils ne fonctionnent plus selon Bond, la sphère publique étant incapable de
« susciter l’innovation ‘d’en haut’ ». Pour répondre à ce
« besoin de personnalisation », il faut donc des services de
proximité à l’écoute des citoyens, fournis par des entreprises ou par
associations, des coopératives ou des mutuelles.
Indiquons
enfin que Phillip Blond « propose de refonder le conservatisme sur trois
piliers : un ‘État civique’, qui se mette au service de la société
civile, et cesse de privilégier l’individu au détriment des structures
intermédiaires ; un ‘marché moralisé’, qui remette les vertus de
réciprocité et de confiance au cœur des échanges économiques ; une
« société associative’, enfin, au travers de la reconnaissance du
caractère naturellement sociable des individus et du fait qu’il existe des
formes de solidarité qui échappent à l’emprise de la sphère publique ».
L’autre
théoricien de la Big Society est Jesse Norman. Au contraire de Blond,
Norman veut réconcilier le conservatisme tory avec un
« libéralisme à visage humain ». Pour cela, il puise son
inspiration chez Oakeschott. Ce dernier distinguait deux types de
sociétés : « la ‘société entreprise’ (universitas) et la
‘société civile’ (societas). La société-entreprise est toute entière
organisée en fonction d’un but collectif – quelle que soit la nature de ce
but, religieux, politique, économique – auquel ses membres doivent
contribuer. Au contraire, la ‘société civile’ définit certains cadres et
certaines procédures pour régler la vie en commun de ses membres, sans
définir de fins collectives fixées une fois pour toutes ». Norman
s’appuie donc sur cette distinction pour « fonder une société réellement
pluraliste et libre, non dominée par l’autorité centrale de l’État ».
Dans la vision
de la Big Society élaborée par Jesse Norman « ne subsiste
nullement l’idée d’un retour à un hypothétique ordre moral perdu. Il s’agit
au contraire de permettre l’épanouissement d’une pluralité de groupes et
d’associations inévitablement divers et aux valeurs irrémédiablement
plurielles ».
Le
« libéralisme » de Norman est « fondé sur l’importance des
institutions intermédiaires de toutes sortes ». C’est un véritable
pluralisme qui doit s’appliquer à l’État et au marché. Norman s’oppose ainsi
au souverainisme thatchérien et au moralisme d’État, mais aussi à
l’uniformisation qu’entraîne le crony capitalism.
Comme le
rappellent les auteurs de l’étude, « les idées de Phillip Blond ont
largement inspiré le discours phare prononcé par David Cameron en 2009 dans
le cadre de la Hugo Young Lecture ». C’est, en effet, à cette
occasion que Cameron utilisait pour la première fois l’expression Big
Society. Mais son alliance avec les Libéraux-Démocrates l’oblige à mettre
de l’eau dans son vin. C’est donc la version Jesse Norman de la Big Society
qui a fini par prévaloir au sein du Parti Conservateur.
Une version
dans laquelle la critique économique est atténuée, et dans laquelle la part
belle est faite aux thèmes plus consensuels de décentralisation,
subsidiarité, communauté et empowerment.
Dans un
prochain article, nous nous attacherons à la mise en œuvre de la Big
Society par le gouvernement Cameron.
À suivre.
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