Montréal, 7 mai 2006 • No 178

 

COURRIER DES LECTEURS / READERS' CORNER

 

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CONTRE LE PORT D'ARME

 
 

          Dans le dossier des armes à feu, l'argument du droit de se défendre est celui qui est servi le plus fréquemment aux États-Unis et il semble être celui que vous nous donnez dans votre article. Sur le fond de l'argumentation, je n'ai rien à redire car il faut bien comprendre que devant une agression armée sans moyen de se défendre on ne peut faire grand-chose. D'emblée, je vous confierai que j'ai été victime d'une agression armée voilà déjà 40 ans. Les agresseurs étaient armés d'un revolver et d'un couteau.

          Mais commençons par la probabilité d’une situation d'agression armée. Statistiquement, vous avez beaucoup moins de chance au Canada d'être agressé dans un vol à main armée que d'être tué dans un accident de voiture ou sur un chantier de construction. Je crois que socialement, si nous avions à investir dans le domaine de la prévention, je préférerais que ça soit dans ces deux derniers domaines. Personnellement, je place les criminels de la route et les fabricants d'automobiles sur un pied d'égalité en matière de responsabilité. Par contre, le montant exorbitant que nous coûte l'enregistrement des armes à feu relève de la folie furieuse. J'aurais préféré qu’on mette l'argent dans la santé.

 

          Mais voyons donc qui, outre les bandits de grands chemins, sont responsables des agressions. Voici quelques statistiques tirées d’une fiche de renseignements de Statistique Canada sur la violence faite aux femmes:
 

• La moitié des Canadiennes (51%) ont été victimes d'au moins un acte de violence physique ou sexuelle depuis l'âge de 16 ans.

• Parmi l'ensemble des victimes de crimes violents commis en 2000, la grande majorité des victimes d'agression sexuelle (86%), de harcèlement criminel (78%), d'enlèvement ou de prise d'otage (67%) étaient de sexe féminin.

• Parmi l'ensemble des victimes de crimes violents de sexe féminin commis en 2000, 47% ont été victimes de voies de fait simples, 9% d'agression sexuelle, 9% d'agression armée causant des blessures corporelles, 7% de vol qualifié et 6% de harcèlement criminel.

• Les femmes sont beaucoup plus susceptibles d'être victimes d'un acte criminel commis par une personne qu'elles connaissent que par un inconnu. En 2000, 77% de l'ensemble des victimes de sexe féminin ont été agressées par quelqu'un qu'elles connaissaient (37% par un ami proche ou une connaissance, 29% par un conjoint actuel ou un ex-conjoint, 11% par un autre membre de la famille – y compris un parent) alors que dans 19% des cas, il s'agissait d'un inconnu.

          Considérant que la personne « agressante » est souvent une connaissance, je ne crois pas que ces femmes s’en seraient mieux tirées si elles avaient été armées. Peut-être vaudrait-il mieux utiliser la camisole de force comme moyen de prévention contre les conjoints violents et autres connaissances de la famille ou amis. M’enfin…

          Observons maintenant ce tableau tiré du document « L'évaluation du risque de violence: mesures, incidence et stratégies de changements » de James Bonta, Ph.D et R. Karl Hanson, Ph.D. (Recherche correctionnelle, Solliciteur général du Canada, 30 mai 1994):
 

Tableau 1. Crimes avec violence au Canada

 

Homicide

Moyen Relation accusé-victime Crimes avec violence
Année Taux (N) Arme à feu Connaissance Parent Inconnu Victime(F) Taux N
1982 2.72 (670) 37.0 44.6 38.3 17.1 33.1 685

168,646

1983 2.74 (682) 32.8 41.9 39.9 19.0 35.6 692 172,315
1984 2.65 (667) 34.3 39.0 38.2 22.8 34.8 714 179,397
1985 2.78 (704) 34.3 35.0 40.1 24.9 36.0 749 189,822
1986 2.22 (569) 30.8 34.8 39.8 25.6 35.8 801 204,917
1987 2.51 (642) 31.2 38.4 34.9 23.0 35.3 856 219,381
1988 2.22 (575) 29.4 42.6 30.0 27.4 35.1 898 232,606
1989 2.51 (657) 33.0 41.0 37.0 22.0 37.4 947 248,579
1990 2.47 (656) 30.0 40.0 37.0 24.0 36.0 1,013 269,501
1991 2.80 (753) 36.0 53.0 34.0 13.0 36.0 1,099 296,838
1992 2.70 (732) 34.0 52.0 32.0 16.0 33.0 1,122

307,491

 

Les homicides constituent de 0,3 à 0,4 p. 100 des crimes avec violence.
Les crimes avec violence constituent de 8 à 10 p. 100 des infractions au Code criminel.
Nota:
F = victime du sexe féminin.

          Selon MM. Bonta et Hanson, l'« observation générale que nous permet de faire le tableau 1 est que le taux d'homicides (nombre d'homicides pour 100 000 habitants) est demeuré relativement stable au cours de cette période de 10 ans. Il en est de même pour la relation victime-accusé et le sexe de la victime. Bien que les hommes risquent le plus d'être victimes d'un homicide, les victimes ont été des femmes dans environ 35 p. 100 des cas. Par ailleurs, de 75 à 80 p. 100 des meurtriers étaient connus de leur victime. En ce qui concerne l'utilisation des armes à feu, il n'y a également guère eu de fluctuations.»

          Éloquent n’est-ce pas? Comme disait le philosophe: « Protégez-moi de mes amis, mes ennemis je m’en occupe. »

          Cependant, à ma grande surprise, on indique dans des études sérieuses américaines que la possession d’armes permettrait la prévention de crime comme le viol et les agressions et qui plus est n’engendrerait pas davantage de criminalité: « Que la disponibilité des armes n'explique pas des taux élevés d'homicide et de crime violent n'étonne pas la grande majorité des criminologues et sociologues. Plusieurs études de grande envergure montrent que les mesures de contrôle sont inefficaces en matière de prévention. Mentionnons Wright, Rossi et Daly (1983), Centerwall (1991), Kleck (1991 et 1997), et Lott (1998). »

          Et « tout en contrôlant pour de nombreux facteurs, il [Lott] a calculé que la libéralisation du port d'arme avait réduit les meurtres de près de 8%, les viols de 5% et les agressions violentes de 7%. Si tous les États américains avaient adopté une telle politique en 1992, pas moins de 1 500 meurtres et 4 000 viols auraient pu être évités. »

          J’en ai le souffle coupé. J’en arrive à une conclusion pessimiste sur la nature humaine et la relation avec nos connaissances:
 

1) un couple dont les deux protagonistes sont armés a plus de chance de demeurer vivant qu’un couple non armé;
2) un enfant armé préviendra les abus physiques et sexuels;
3) si tout le monde était armé, nous sauverions plus de vie…

          Déduire qu’il ne devrait pas y avoir de morts dans les conflits armés car les deux camps sont armés relèverait du syllogisme…on n'en est pas à une tautologie près.

          Mais on ne s’arrêtera pas là. Revenons au document de James Bonta, Ph.D, et R. Karl Hanson, Ph.D:
 

          Les chercheurs qui étudient les risques environnementaux pour la santé ont constaté que le fait de fournir à la population une information statistique quant aux conséquences qu'un dépôt de déchets toxiques, par exemple, peut avoir sur l'environnement ou sur la santé n'a guère d'incidence sur la crainte que les gens disent ressentir à ce sujet (Wandersman et Hallman, 1993). Étant donné que la communication de faits purs et simples ne suffit pas à apaiser les craintes relatives aux menaces pour l'environnement et la santé, il y a peu de raisons de croire qu'elle puisse atténuer celles que suscite la criminalité. La crainte de la violence demeurera hors de proportion avec les probabilités réelles de violence. Pour trouver un juste milieu entre les impressions de risque et les probabilités réelles de risque, il faut analyser attentivement tous les facteurs qui contribuent à la crainte de la violence dans le public.

          S'inspirant de la théorie des communications, Kasperson et ses collègues (1988) ont présenté un modèle de l'exagération sociale du risque. Au niveau le plus simple, l'accroissement (ou l'atténuation) de l'impression de risque dépend non seulement du contenu du message, mais aussi de la personne qui transmet celui-ci et de la façon dont le receveur le décode et l'évalue. Dans le cas de la violence, ces trois facteurs généraux et leurs interactions peuvent modifier les impressions de risque et la crainte de la violence. Voici, brièvement, comment agissent ces trois facteurs.

Quoi: La violence est un acte extraordinaire, aux conséquences graves. Ce sont ces caractéristiques qui retiennent l'attention des médias et que ceux-ci présentent au public. La nature émotionnelle des actes de violence facilite également le codage de l'information et lui donne du relief aux yeux des récepteurs du message. Alors que la fréquence des crimes avec violence est sous-estimée dans les mesures officielles, l'accroissement des actes de violence y est surestimée par rapport aux autres types de crimes. En s'appuyant sur ce type de mesures pour dégager des tendances, on ne peut qu'accroître les craintes du public.

Qui: L'information au sujet des risques vient de sources multiples. Comme nous l'avons déjà signalé, les médias jouent un rôle essentiel à cet égard. Il y a aussi les spécialistes (par ex., les chercheurs et les professionnels du milieu de la justice pénale) et les organismes gouvernementaux chargés de gérer le risque. Les désaccords entre les spécialistes et la méfiance croissante à l'égard des organismes sociaux ne font qu'accroître l'appréhension du public. Les révélations récentes au sujet d'infractions sexuelles commises au sein d'institutions de confiance, comme l'Église et les organismes de services sociaux, ont par exemple ébranlé la confiance du public dans ces institutions. Autre triste exemple: les mauvais traitements dont les enfants autochtones ont été si fréquemment victimes dans les pensionnats. Après avoir nié à maintes reprises la possibilité de tels actes, nous devons maintenant non seulement regagner la confiance du public, mais aussi entreprendre la réforme de nos institutions afin de protéger les générations futures contre des mauvais traitements de ce genre.

Comment: L'information transmise est jugée et évaluée en fonction de nombreux critères. La crainte pour sa sécurité personnelle est le critère auquel on songe en premier, mais il n'est pas le seul. Parmi les autres critères qui peuvent servir à évaluer la menace et l'impact de la violence, signalons les jugements portés sur la sécurité des enfants, l'incidence sur les activités quotidiennes et la perte de revenu (par ex., être incapable de travailler). Grasmick et McGill (1994) ont même laissé entendre que les croyances religieuses jouent peut-être un rôle plus important qu'on ne l'a cru jusqu'ici dans la crainte de la violence. Nous ne faisons qu'explorer la liste des différents facteurs qui influent sur le codage de l'information. [Je suppose aussi qu’avoir été victime de violence criminelle affecte le jugement sur la perception d’insécurité...]

          Ainsi éclairé de ces différents facteurs, j’en conclus que les prohibitionnistes comme les promoteurs des armes de poing vivent les mêmes craintes, mais envisagent des moyens différents pour composer avec. Les deux camps vivent un sentiment d’insécurité très humain.

          Lorsque l’on compare la barrure d’une porte à la possession d’une mitraillette Uzi, il y a un pas que je m’interdis de franchir: personne n’agressera une autre personne avec une barrure de porte. Parce qu’il est évident que le problème et la menace viennent de l’intérieur et non de l’extérieur selon toutes les statistiques consultées, à quoi serviraient la mitraillette Uzi contre le « mononcle » aux mains baladeuses ou le conjoint abuseur et violent? Le crime passionnel est imprévisible, à moins d’avoir affaire à un conjoint harceleur qui de toute évidence ne vous lâchera pas même si vous avez en main une Kalachnikov – à preuve les guerres de gangs. Le meilleur moyen, dirait Laborite, est la fuite. Quittez la ville, la province.

          À moins d’avoir affaire à des psychopathes ou des drogués sur un « power trip », l’agression armée du dépanneur, de la banque ou du commerce ne se fait qu’avec peu de violence directe. Je veux dire par assaut physique étant donné que le vol à main armée est bien sûr un acte de violence, si on respecte les règles élémentaires de sécurité: aucun geste d’opposition ou provocation. Il est certain que dans la vie, rien ne nous garantit la sécurité absolue à moins de s’enfermer dans un coffre-fort comme le propriétaire du magazine Hustler. Personne n’est à l’abri d’une poussée psychotique d’un individu, qu’il soit armé ou pas.

          J’en arrive à la conclusion que de deux maux je choisis le moindre. Et le moindre est le non armement. Mais comme il s’agit d’une option personnelle, je ne veux l’imposer à qui que ce soit – c’est ce que j’appelle la liberté différenciée. Je demeure donc optimiste, en ce qui me concerne, et me dit que le hasard a bien fait les choses en ne plaçant pas mon lieu de résidence dans le Bronx ou à Harlem, en Bosnie ou au Rwanda. Et que mes voisins, jusqu’à maintenant, se sont comportés en bons citoyens.

Jean Séguin

 

Réponse d'Yvon Dionne:

Monsieur Séguin,

          Vous semblez vouloir évacuer le problème spécifique des armes à feu en mettant l'accent sur d'autres préoccupations. Vous dites par exemple qu'il serait préférable de dépenser ces montants dans d'autres domaines étatiques comme la santé dite publique (ce qui nous ramène au même problème de fond, celui de l'intervention de l'État), ou que la principale violence est celle vis-à-vis les femmes, ou alors que l'on peut faire confiance à la sécurité d'État puisque, somme toute, le besoin d'autodéfense est peu probable.

          Vous préférez le choix d'une bonne serrure à une UZI; permettez-moi de vous dire qu'il est préférable d'avoir à la fois des bonnes serrures, un système d'alarme, et un bon calibre .12 chargé de chevrotine (c'est mieux qu'une UZI, et même qu'une Kalachnikov). J'ai connu des gens âgés, non loin de chez moi à la campagne, qui ont été ligotés pendant que des jeunes bandits fouillaient la maison pour de l'argent. Ces deux personnes sont mortes peu de temps après. La « sécurité publique » n'a jamais fait enquête pour savoir si leur traumatisme était dû à l'agression. Ces jeunes sont en liberté. La probabilité est sans doute faible que nous soyions agressés, mais vous démontrez dans le cas des femmes que cette probabilité est élevée (quand on inclut toutes les sortes d'agression et nous savons que dans le cas de certaines femmes traumatisées, heureusement peu nombreuses, le simple regard suffit).

          Le 911 sera toujours en retard. Rejeter ce qui va de soi, comme la propriété de moyens de défense, équivaut à accorder le monopole de la sécurité aux politiciens et à leurs fonctionnaires. Cette dépendance peut avoir des conséquences tragiques puisque les pays où les citoyens ont été désarmés sont précisément ceux où il y a eu et où il y a des génocides et de la violence étatique. La principale violence, en effet, est historiquement celle venant des États. Seulement au 20e siècle: 170 millions de victimes. (Voir Innocents Betrayed qui porte en haut de page une citation du libertarien Ron Paul, maintenant membre républicain du Congrès: « Innocents Betrayed... shows why gun control must always be rejected. »)

          Il ne faudrait donc pas singulariser la violence contre les femmes. Les hommes se suicident plus souvent, mais ça ce n'est pas important... Vous illustrez votre texte avec des chiffres sur la violence contre les femmes. Vous vous demandez si cela aurait changé quelque chose si elles étaient armées d'une façon ou d'une autre. C'est justement la question qu'il faut se poser tout en examinant les causes de cette situation (voir « Exploring Crime Patterns in Canada », Statistique Canada 85-561). Le protectionnisme d'État dont bénéficient les femmes a contribué à les rendre irresponsables, mais il est encourageant de voir que de plus en plus de femmes prennent des cours d'autodéfense au lieu de joindre les groupes féministes qui sont toujours en mal de misandrie. Ces femmes font la preuve que les hommes et les femmes sont faits pour vivre ensemble. (Voir For Women Only sur le site de la National Firearms Association. La NFA y reproduit un article paru dans le Canadian Firearms Journal sur quelques trucs d'autodéfense. Le meilleur « truc » n'est pas celui que l'on pense.)

          J'ai montré à mon épouse comment se servir de mes armes à feu; nous avons du poivre de Cayenne à plusieurs endroits à la maison; il y a un sabre accroché au mur; il y a une machette à un autre endroit; j'ai un couteau Rapala pour faire des filets; nous avons aussi un système d'alarme, etc. (sans compter mes armes cachées dont je n'oserais parler de peur de faire peur...) Il y a un écriteau à mon entrée, près de la sonnerie, qui dit: « Achtung! Beware! Attenzione! Ici habitent des gens armés jusqu'aux dents. Sonnez et demandez la permission avant d'entrer. Sinon, c'est à vos risques et périls. » C'est le cas de le dire puisque je me suis fait refaire les dents, au plus grand plaisir de ma dentiste! Pour l'instant il n'y a personne qui s'est risqué. C'est comme on dit: avec une force de dissuasion on évite les problèmes. Pas nécessaire d'avoir des armes nucléaires qui sont l'apanage des États...

          Il y aura toujours des criminels (quoique la définition se soit élargie avec l'étatisme croissant) et il est illusoire de compter sur l'État pour s'en protéger. Ce sont les gens faibles et sans défense qui sont les plus susceptibles de devenir des victimes.

          L'État et la santé publique (qui a récupéré la question des armes à feu) veulent faire de nous des membres d'une société aseptisée pour que nous vivions dans une sorte de bulle dont ils auront le contrôle. J'ai répondu il y a un mois à un projet de « recherche » de la santé dite publique, pour des étudiantes en médecine; je leur ai suggéré de rendre au moins optionnels des cours dans le maniement des armes à feu dans les écoles, de sorte que les gens puissent savoir à quoi s'en tenir et que les armes à feu ne soient plus une sorte de mystère devant lequel on est impuissant. Au contraire, les armes à feu ne requièrent que de la précision, aucune force physique. Les femmes considèrent de moins en moins les armes à feu (ou toutes les armes) comme des symboles masculins. Et c'est tant mieux.

Y. D.
 

 

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