De Jupiter à Colbert
La foudre est tombée de l'Elysée jeudi 27 juillet. L'Etat français va donc nationaliser les chantiers navals STX France de Saint-Nazaire. L'exécutif entend ainsi éviter que l'italien Fincantieri devienne majoritaire dans le capital des Chantiers de Saint-Nazaire, son rival historique, en lieu et place du coréen STX, tombé en faillite. Si la décision a été annoncée par le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, elle porte incontestablement la marque du président de la République. Depuis son élection, Emmanuel Macron n'avait pas fait mystère de sa volonté d'aboutir, sur ce dossier, à une solution conforme à ce qu'il estime être l'intérêt de la France. Et son geste jupitérien remémore ses interventions brutales lorsqu'il était lui-même ministre de l'Economie - Carlos Ghosn, le PDG de Renault-Nissan n'est pas le seul à en avoir gardé un vif souvenir.
L'argumentaire de l'exécutif est mince. Bruno Le Maire a insisté sur la nécessité de protéger les intérêts stratégiques de la France, nécessité qui permet de justifier la préemption de l'Etat. Mais l'accord esquissé du temps de François Hollande assurait cette protection. Il précisait notamment que le français Naval Group pourrait accéder au site de Saint-Nazaire, le seul assez grand en Europe pour accueillir la construction des coques de porte-avion. En revanche, les dégâts collatéraux pourraient être majeurs. Le rachat de STX par l'Etat est un camouflet pour les Italiens, pas seulement pour Fincantieri, mais aussi pour tout un pays qui a le plus souvent réservé un bon accueil aux nombreux investisseurs français venus y faire leurs emplettes. Il va de plus repousser la perspective d'une consolidation européenne de l'industrie navale de défense, indispensable pour résister à la concurrence qui monte en Chine, en Turquie et ailleurs.
Les dernières vraies nationalisations en France remontent à l'époque de François Mitterrand, au début des années 1980 (en 2004, l'Etat avait acheté seulement 21 % du capital d'Alstom sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy, alors à Bercy). Auparavant, il y avait eu celle de 1945, sous Charles de Gaulle. Mais la décision sur STX fait davantage penser à Colbert, le secrétaire d'Etat à la Marine de Louis XIV qui fit replanter les forêts françaises afin que les chantiers navals puissent se passer du bois scandinave pour construire leurs navires de guerre. C'était une autre époque. La nationalisation de STX a comme seule justification valable l'espoir d'aboutir à un accord jugé meilleur avec Fincantieri. En cas d'échec, elle risque d'aboutir à l'un de ces fiascos industriels dont la France n'a que trop souffert. C'est un mauvais signal.